À Charleroi, si les tentes ont été démontées le long du quai de Sambre, la problématique des sans-abris demeure. Le 10 février, une rencontre avecla ministre wallonne de l’Action sociale et de la Santé, Christiane Vienne, a laissé un fort sentiment de frustration tant aux SDF qu’aux travailleurs sociaux.
Rétroactes
À la mi-janvier, pour marquer son soutien à l’initiative française des “Enfants de Don Quichotte”1, Solidarités nouvelles Charleroi2avait installé des tentes sur le quai de Sambre pour “dénoncer les problèmes de logement, la situation des sans-abri , des travailleurs précaires à la ruesans oublier les sans-papiers ” et aussi “afin que ‘cette misère qu’on ne saurait voir’ ne soit plus cachée, bannie…”
Dans un communiqué, l’association rappelait alors que “l’urgence de lits ne répond pas à la problématique cruciale du logement à Charleroi. De plus enplus de « sans » (-abri,-papiers…) n’ont plus accès aux centres d’accueil de nuit : leurs portes se ferment pour eux. Soit parce qu’ils sont «installés » dans leur misère (comme on dit) et ont utilisé toutes les nuitées « autorisées », soit parce qu’ils sont sanctionnés pourleur comportement, soit tout simplement… parce qu’il manque de places.” Le communiqué insistait aussi sur le fait que “le nombre de personnes sans-abri ou en situation deprécarité à Charleroi ne cesse d’augmenter, la détresse sociale de s’aggraver.”
Le 1er février, après 15 jours d’occupation, les SDF démontaient leurs tentes. En cause, un certain climat de violence : incendie d’une tente, bagarre avec destoxicomanes.
Rencontre avec la ministre
Le 10 février, profitant de la venue de Christiane Vienne au CPAS de Charleroi, Solidarités nouvelles avait installé trois tentes devant le CPAS pour y accueillir la ministre.Si la ministre n’est pas rentrée sous la tente, elle a toutefois accepté de rencontrer les SDF et les travailleurs sociaux. Denis Uvier, animateur de rue chez Solidaritésnouvelles, est bien connu des SDF. Dans une lettre, il a rappelé à la ministre que l’action menée en janvier “n’était certes pas du camping pour le plaisir et nousn’avons pas non plus organisé un concours de Miss Camping [ndlr : allusion à une réflexion de la ministre], car l’accès était libre à celles et ceux qui sesentaient utiles dans cette action. Il l’a interrogé sur le fait que parmi les SDF se soient trouvés trois “cas” de schizophrénie avérés, sur le sortdes sans-papiers, sur la problématique des chiens dont les SDF doivent se séparer pour être hébergés…
“L’échange a été chaud, commente Denis Uvier. La ministre n’a rien voulu entendre. Pour elle, le chien c’est ‘au chenil’.” “Ce qui n’est pas trèsintelligent”, observe David Praile de Solidarités nouvelles. “Pour un SDF, un chien, c’est un ami, une question de sécurité, cela permet aussi deréchauffer3.” Et Denis Uvier de poursuivre : “Elle n’est pas réceptive du tout sur la question des animaux. Pourtant, à Paris, il existe des endroitsoù les sans-abris peuvent loger avec leurs chiens et c’est propre. Même chose pour les problèmes pathologiques, des gens sont livrés à eux-mêmes, leshôpitaux les ‘chassent’, les laissent en errance dans la rue… Nous, les travailleurs sociaux, nous sommes mis en danger dans notre travail, car des gens se protègent derrièredes papiers “je suis caractériel”. Et dans la rue, les gens ne suivent pas leur traitement.”
Lits inoccupés?
Lors de l’échange avec la ministre, les structures représentatives étaient là (Le Dortoir – CPAS, dortoir social du dispositif d’urgence sociale ; Le Rebond,centre d’accueil d’urgence ; Ulysse, abri de nuit). La ministre a pointé le fait que nombre de lits étaient inoccupés. “Les représentants du Dortoir (CPAS) l’ontcontredite en expliquant qu’il y a des lits pour les hommes et pour les femmes et qu’on ne donne pas les lits des femmes aux hommes, explique Denis Uvier. Les lits sont pleins, ont expliquéles responsables, ce qu’il manque ce sont des moyens humains et financiers.”
À la suite des affirmations de Christiane Vienne, Denis Uvier a décidé de se tenir devant les centres d’accueil chaque soir pour faire le compte de ceux qu’on accepte et deceux qu’on refuse et sur base de quels motifs.
“Parfois, après une nuit, la personne doit remplir une obligation supplémentaire (projet pédagogique, aller au CPAS, etc.) pour pouvoir revenir la nuit suivante, maisest-ce qu’on lui dit ?”, s’interroge notre interlocuteur. Souvent, s’il y a de la place, il y a des interdits: il y a la question des animaux ; l’abri de nuit de Châtelet ne prend pas desans-papiers, parce que c’est illégal… En ce moment, il y a beaucoup de gens qui restent sur le carreau. Il faut se mettre à leur place. Par exemple, ils doivent se retrouver devantUlysse à 21h et doivent attendre jusqu’à 22h. Là, s’il y a beaucoup de demandes, on procède au tirage aux cartes pour savoir qui aura un lit ou non. Selon que la personnetire une rouge ou une noire, elle aura droit ou non à un lit. Certains sont persuadés de ne jamais avoir de chance. Une fois que c’est fini, le travailleur social appelle le dispositifsocial d’urgence qui se charge du dispatching entre les lieux d’hébergement. Il sélectionne qui vient et qui ne vient pas et on n’a jamais d’explication, mais c’est au travailleursocial d’annoncer cela. Lorsqu’il y a des refus, cela engendre de la violence. Hier encore, il y a eu une bagarre et il a fallu appeler la police.” Et Denis Uvier de conclure : “Si laministre veut vraiment connaître la réalité des SDF, je l’invite à faire une maraude avec moi… sans médias.”
Ouvertures
“Il y a eu un engagement du président du CPAS de Charleroi sur les différentes questions soulevées et pour trouver des solutions au niveau de la communauté descommunes, d’offrir des logements adaptés…”, constate néanmoins David Praile. “La ministre a aussi déclaré qu’il y avait quand même une ouverture, commequoi il y a peut-être des moyens, qu’il faut la rencontrer, qu’elle va interpeller le ministre du Logement, mais pour le moment, il y a peu de perspectives concrètes”,constate-t-il. “On souhaite une vraie prise de conscience de ce qui se passe sur le terrain et des moyens humains et financiers. Au niveau local, le problème n’est pas un problèmede gens extérieurs à Charleroi. Ce n’est pas parce qu’il y a des places inoccupées que cela veut dire qu’il y en a en suffisance. L’offre n’est tout simplement pasadaptée.”
1. Les Enfants de Don Quichotte.
2. Solidarités Nouvelles, rue Léopold 36A à 6000 Charleroi –
tél. : 071 30 36 77 – fax : 071 30 69 50 – courriel : sn.secretariat@skynet.be – site : http://des-tentes.be
3. Une étudiante en psychologie est en train de réaliser un travail de fin d’étude sur le lien entre le SDF et son chien. Elle recueille des témoignages en compagnie deDenis Uvier.