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Regard critique · Justice sociale

Chèque formation et crédit-adaptation : le CESRW dresse un bilan contrasté

Le CESRW vient de publier une « Evaluation du dispositif “Incitants financiers à la formation des travailleurs occupés dans les entreprises” ». Petit coupd’œil.

01-05-2011 Alter Échos n° 314

Le CESRW1 (Conseil économique et social de la Région wallonne) vient de publier une « Evaluation du dispositif “Incitants financiers à la formationdes travailleurs occupés dans les entreprises” ». Petit coup d’œil.

Centrée sur les deux outils phares du dispositif, les chèques formation et, dans une moindre mesure, le crédit-adaptation, l’évaluation est complète et serévèle relativement ambitieuse, en partie grâce à une relation apparemment fructueuse avec la cellule chèques formation du Forem qui a permis d’affiner lesdonnées utilisées et d’arriver à des constats partagés au sein du CESRW. Il n’empêche, la collecte de ces mêmes données par le Forem, auprès desopérateurs notamment, s’est quelquefois révélée assez complexe pour ce qui concerne les chèques formation, même si la situation tend às’améliorer. Ainsi, en 2005, 65 % des opérateurs avaient transmis des données complètes à ce sujet, pour 86,8 % en 2009. Une situation ayant notammentpour conséquence que l’on ne connaît toujours pas, à l’heure actuelle, le nombre exact de travailleurs profitant du système des chèques formation et qui apoussé le CESRW à y consacrer sa première recommandation de l’évaluation ; recommandation qui vise à imposer aux opérateurs la transmission desdonnées requises avant d’obtenir le remboursement des chèques.

Les chèques formation

Le chèque formation est un incitant financier destiné à faciliter la formation des indépendants, des dirigeants d’entreprises et de leur personnel. D’une valeur facialede 30 euros, celui-ci s’achète au prix de 15 euros, le paiement de l’autre moitié étant assuré grâce à l’intervention de la Région wallonne.Concrètement, le chèque est destiné à payer les heures de formation suivies par un travailleur (salarié ou indépendant à titre principal), y comprisle travailleur intérimaire présent dans la PME au moment de la formation et le conjoint aidant du travailleur indépendant.

Sont donc concernées les personnes physiques (indépendants) et morales (sociétés commerciales, sociétés civiles à forme commerciale, groupementseuropéens d’intérêt économique ou groupements économiques, sous certaines réserves) ayant au moins un siège d’exploitation en région de languefrançaise et répondant aux critères suivants :

• occuper moins de 250 travailleurs inscrits à l’Office national de sécurité sociale (ONSS) ;
• avoir soit un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 40 millions d’euros, soit un total du bilan annuel n’excédant pas 27 millions d’euros ;
• être indépendante.

Les modules de formation font l’objet d’un agrément de la part de la Région wallonne et les formations doivent être générales, qualifiantes ettransférables. Depuis 2010, les indépendants à titre complémentaire ont également accès au dispositif.

Source : http://emploi.wallonie.be et www.ifapme.be

Quelques chiffres :

• de 2005 à 2009, le volume de chèques remboursés a augmenté de 33,3 %, le nombre d’entreprises bénéficiaires de 21,3 % et le budgetconsommé de 58,5 %. Le budget consommé en 2009 s’élève à 10,75 millions d’euros, soit une croissance de 16 % par rapport à 2008 ;
• la construction et l’industrie manufacturière sont deux des principaux secteurs utilisateurs des chèques, totalisant respectivement 31,4 % et 25 % des chèquesremboursés ;
• en 2009, les bénéficiaires du dispositif étaient principalement des employés (37,3 %), des ouvriers (34,5 %) et des indépendants(22,1 %) ;
• les diplômés de l’enseignement supérieur et universitaire représentent 43,7 % des bénéficiaires (pour 36,1 % de la population wallonne enemploi) et les diplômés de l’enseignement secondaire 32,7 % (alors qu’ils représentent 40,5 % de la population en emploi) ;
• en 2009, près de 25 % des bénéficiaires étaient domiciliés dans la Direction régionale de Liège alors que les DR de Charleroi, Namur etVerviers totalisent chacune 10 % des bénéficiaires. Une répartition par province indique que 40 % des bénéficiaires sont domiciliés dans laprovince de Liège ;
• 24 % des chèques remboursés sont consommés par des indépendants et des entreprises unipersonnelles qui constituent près de 50 % des entreprisesutilisatrices. Près de 40 % des chèques sont consommés dans des entreprises de moins de cinq travailleurs, qui constituent deux tiers des entreprises utilisatrices.

« Cette recommandation est d’ailleurs en voie de mise en œuvre », se félicite Bernard Jockin, conseiller au CESRW, avant de s’étendre sur d’autresconsidérations liées au dispositif. « Le chèque formation est un des dispositifs les plus « sexy » disponibles sur le marché. (…) Il fonctionne très bienen termes quantitatifs, même presque trop bien. Le champ d’application n’a pas été défini au départ en termes de formations admissibles : on a dit « desformations générales, qualifiantes, transférables ». Et il y a surtout aussi un gros support à l’offre. » Un support qui entraîne notamment certaines pratiques,apparemment pas illégales mais problématiques. Payé 15 euros alors qu’il en vaut 30, valable pour une heure de formation, le chèque peut ainsi entraîner une forme degratuité pour l’utilisateur si celui-ci suit une formation à 15 euros de l’heure, par exemple. Il lui suffira pour cela de payer l’heure de formation avec son chèque, d’unevaleur de 30 euros, et de se faire rembourser la différence (15 euros) par l’opérateur…

Dans cette ambiance « généreuse », certaines dérives font également leur apparition. Une fraude tout de même estimée à5 % du volume des chèques est ainsi constatée pour un dispositif animé par un phénomène de « dynamique naturelle d’accroissement » assezimpressionnant (voir encadré).

Du qualitatif au lieu du quantitatif ?

Dans ce contexte, l’évaluation note que « si la croissance quantitative du dispositif est un élément important et positif (…), les objectifs quantitatifs nedoivent pas occulter les dimensions plus qualitatives, notamment en termes de travailleurs et d’entreprises bénéficiaires ». « Faire du chiffre ne suffit pas. Or nousavions le sentiment qu
‘il n’y avait que des objectifs quantitatifs concernant les chèques formations », commente à ce sujet Bernard Jockin avant d’ajouter un peu plustard : « Si on parle de qualitatif, on se dirige vers des questions concernant les caractéristiques des travailleurs bénéficiaires. Pour arriver àdire : un dispositif public de formation doit viser prioritairement les travailleurs moins qualifiés, les plus âgés, les femmes. »

Or, à ce niveau, des inégalités sont mentionnées dans l’évaluation. Ainsi, concernant la dimension de genre, la part des femmes utilisatrices des chèquesformation est passée de 34,3 % des bénéficiaires en 2005 à 26,9 % en 2009 (« Un des constats majeurs », d’après Bernard Jockin),celles-ci étant par ailleurs globalement plus qualifiées que les bénéficiaires masculins. Rayon explications, Bernard Jockin énumère plusieurspossibilités : la moindre proportion de femmes parmi la population active occupée (44,4 % en 2008), le fait que celles-ci travaillent plus à temps partiel et se formentdonc moins, la non-éligibilité du non-marchand au dispositif alors que ce secteur concentre un grand nombre de femmes ou encore le fait que les secteurs les plus utilisateurs dudispositif sont des secteurs techniques et industriels, majoritairement masculins (l’évaluation note d’ailleurs la part importante et croissante de bénéficiaires ouvriers,majoritairement masculins) (voir encadré).

Autres « problèmes » : le CESRW pointe également une surreprésentation assez nette des bénéficiaires détenant un diplômede l’enseignement supérieur et universitaire et une sous-représentation des diplômés de l’enseignement secondaire. Elle note également que les travailleurs de plusde cinquante ans ne représentent que 16,5 % des bénéficiaires alors qu’ils constituent 24 % de la population active occupée wallonne.

Les secteurs auront-ils la main ?

Si des solutions sont donc à trouver, Bernard Jockin met en garde contre des mesures par trop unilatérales. « Toutes les dimensions, qu’elles soient de genre, dequalification ou d’âge sont interdépendantes, si vous touchez à l’une, cela fait bouger les autres. Ainsi, si l’on veut augmenter le pourcentage de femmes, on va aussi encoreaugmenter le pourcentage de bénéficiaires plus qualifiés, étant donné que les femmes en formation sont plus qualifiées que les hommes ! De plus, si on affinel’analyse, on se rend compte des spécificités sectorielles. » Conséquence : le CESRW recommande au Forem d’élaborer à l’attention de chaque secteuret fonds sectoriel une fiche reprenant les principales données concernant l’utilisation du dispositif dans ce secteur (répartition hommes/femmes, ouvriers/employés, parâge, géographique) de façon à leur permettre de mettre en œuvre, s’ils le jugent nécessaire, des actions d’information vis-à-vis des entreprises dusecteur.

Une recommandation que Bernard Jockin considère comme la plus innovante de l’évaluation. « Si c’est suivi, cela pourrait donner lieu à de beaux débats etêtre le préalable à de belles actions au niveau des secteurs. Et d’ailleurs, je n’y vois pas d’obstacle », lance-t-il avant d’émettre toutefois un petitbémol. « La seule crainte que l’on pourrait avoir serait que cela fasse encore augmenter la consommation des chèques formation dans une période où on essaiepetit à petit de commencer à maîtriser [NDLR les dépenses]. » Des moyens limités qui, outre un recentrage sur la qualité des formations dont l’on adéjà parlé, amènent également le CESRW à se pencher sur les types de formations auxquels donnent droit les chèques. Ainsi, en 2009, près de 26000 chèques auraient été consommés dans des formations dans les domaines du bien-être et du développement personnel, soit 4 % du total des chèquesremboursés. De plus, dans son analyse du marché de l’emploi de juin 2010, le Forem soulignerait que les formations en développement personnel auraient connu une croissance de682 % entre 2007 et 2009. Ce qui pousse le CESRW à considérer qu’un renforcement du lien entre formation subsidiée et l’activité ou le projet professionnel doitêtre envisagé. « Il y a d’ordinaire une certaine ligne de fracture avec d’un côté le patronat qui défend des formations plus en lien avec l’activitéprofessionnelle et de l’autre les syndicats qui en font plus un droit individuel, que ce soit en lien ou non avec une activité professionnelle, explique Bernard Jockin. Or ici, les deux bancsdisent ensemble qu’il faut envisager un resserrement du lien entre les formations suivies et l’activité ou le projet professionnel. »

Notons enfin pour conclure le chapitre chèques formations que l’évaluation constate des disparités régionales assez nettes et constantes dans le recours des entrepriseset travailleurs au dispositif (voir encadré). Plus positif, le CESRW constate également que le dispositif des chèques formations rencontre toujours un de ses objectifs initiauxqui consiste en le soutien à la formation dans les entreprises de petite taille et qu’il existe une rotation importante des entreprises utilisatrices.

Du crédit-adaptation

Concernant le crédit-adaptation, la situation semble différente quoique… également similaire en certains points. En effet, au contraire du chèque formation, le CESRWnote que « la mesure crédit-adaptation semble donc s’inscrire dans une dynamique de stagnation, voire de recul au cours des dernières années ». Ainsi, de2007 à 2009, le nombre de travailleurs bénéficiaires aurait diminué de 1 %, le nombre d’heures réelles subsidiées de 11,2 % et les budgetsalloués et consommés respectivement de près de 15 % et de 8 %. « Ce qui constitue tout de même quelque chose d’anormal. Nous nous trouvons dans desdispositifs complémentaires qui fonctionnent différemment », note Bernard Jockin, avant de chercher une explication. « Le dispositif du crédit-adapation estplus sensible à la crise de par ses caractéristiques » (voir encadré), continue-t-il.

Le crédit-adaptation

Le crédit-adaptation est un dispositif qui a pour objectif de promouvoir la formation au sein des entreprises en leur accordant une subvention destinée à couvrir en partie lesfrais inhérents à la formation des travailleurs qu’elles occupent et qui implique nécessairement l’existence d’un plan de formation au sein de l’entreprise. Il permet uneintervention horaire forfaitaire par travailleur de neuf euros s’il s’agit d’une PME et de six euros s’il ne s’agit pas d’une PME. La formation doit être qualifiante,spécifique et collective (minimum trois travailleurs). La durée maximale est de 150 heures par travailleur sur une période de deux ans.

Sour
ces : http://atlas.wallonie.be et www.leforem.be

Quelques chiffres :

• l’industrie manufacturière (43,2 % des dossiers) et la construction (13,7 %) sont, comme pour les chèques formation, deux des principaux secteursutilisateurs ;
• en 2009, les bénéficiaires du dispositif étaient principalement des ouvriers (50 %) et des employés (41,8 %) ;
• les diplômés de l’enseignement supérieur et universitaire représentent 27,5 % des bénéficiaires et les diplômés de l’enseignementsecondaire 38 % ;
• en 2009, près d’une entreprise utilisatrice sur quatre (24,8 %) provenait de la DR de Liège ;
• les établissements employant moins de cinq salariés ne représentent que 4 % des entreprises utilisatrices.

Souvent liée à de nouveaux investissements au sein de l’entreprise, peu courants en période de vaches maigres, la formation est en effet régulièrement lapremière à trinquer dans ce type de configuration économique. « Alors que le chèque formation, plus sexy et fonctionnant comme une sorte de « bancontact » pour laformation, a de par ces caractéristiques mieux supporté la crise », souligne Bernard Jockin.

Néanmoins, malgré ces différences, les deux dispositifs, on l’a dit, connaissent un nombre de similitudes non négligeables en ce qui concerne leurscaractéristiques, qu’il s’agisse de la rotation importante entre entreprises utilisatrices, du public concerné (24,9 % de femmes en 2009 et 15,4 % de travailleurs de cinquanteans et plus pour le crédit-adaptation), ou des spécificités sectorielles très variées. Ce qui, concernant le crédit-adaptation, pousse le CESRW àeffectuer la même recommandation que pour les chèques formation : l’élaboration, à l’attention des secteurs et fonds sectoriels, de fiches reprenant les principalesdonnées concernant l’utilisation du dispositif dans leur secteur de façon à leur permettre de mettre en œuvre, s’ils le jugent nécessaire, des actions d’informationvis-à-vis des entreprises du secteur.

1. CESRW :
– adresse : rue du Vertbois, 13c à 4000 Liège
– tél. : 04 232 98 11
– courriel : info@cesrw.be
– site : www.cesrw.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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