Les stages et les allocations d’attente ont changé. Objectif avoué : inciter les jeunes à se lancer dans le monde de l’emploi. Certains craignent que ces mesures fragilisent un public déjà bien mal en point.
L’emploi des jeunes, on ne parle plus que de ça. Partout en Europe, le sujet est devenu la nouvelle marotte d’un grand nombre de gouvernements. Et l’Union européenne n’est pas en reste, elle qui vient de débloquer 120 millions d’euros pour la Belgique dans le cadre de la « Youth Guarantee » (voir encadré). Mais qui dit emploi dit aussi chômage. Car si l’on parle des jeunes à l’heure actuelle, ce n’est pas parce ceux-ci croulent sous les opportunités de travail, mais plutôt parce qu’ils peinent à en trouver. Au point que certains parlent aujourd’hui de bombe sociale à retardement.
C’est dans ce contexte troublé que la Belgique a décidé il y a près de deux ans de modifier ce qu’on appelait jusqu’alors le stage et les allocations d’attente. Un système qui permettait – et permet toujours – à une personne sortant des études de bénéficier d’une allocation sans avoir travaillé ni cotisé (ou peu, voir encadré). Parmi les conditions à remplir : passer par une période d’attente – appelée stage – où l’on ne touche pas d’argent. Et s’inscrire comme demandeur d’emploi au sortir de ses études, avant d’avoir atteint l’âge de 30 ans.
« Carnage » en vue ?
Depuis le 1er janvier 2012, il ne faut donc plus dire stage d’attente et allocation d’attente, mais stage d’insertion professionnelle et allocation d’insertion professionnelle. Attention : le toilettage du système n’a pas été que sémantique. D’autres modifications ont été apportées. Ce qui est dorénavant le stage d’insertion a été allongé et les allocations ont été limitées à trois ans. But de l’opération d’après le cabinet de Monica De Coninck (SP.a), ministre fédérale de l’Emploi : inciter les jeunes à se lancer dans le monde de l’emploi, à plus forte raison alors que la Belgique « est le seul pays où l’on perçoit des allocations sans jamais avoir cotisé ». Autre point important : depuis le 1er août 2013, les jeunes en stage d’insertion sont également contrôlés par l’Onem (Office national de l’emploi) aux septième et onzième mois du stage (voir encadré). Objectif : vérifier que les jeunes cherchent du travail. Et bien évidemment les inciter à en trouver plus vite.
Mais de l’autre côté de la barrière, notamment du côté des syndicats et du Conseil de la jeunesse1, on voit les choses autrement. Pour beaucoup, ces mesures risquent de fragiliser des jeunes déjà bien mal en point sur le marché du travail. Elles diffuseraient de plus l’image de jeunes paresseux à qui « on doit donner un coup de pied au cul pour trouver du travail », d’après Pierre Ledecq, permanent national Jeunes CSC. « Il s’agit d’une forme de régression qui ne sert à rien. On dit que l’on va activer les chômeurs, plutôt que de chercher à créer de l’emploi. En prolongeant le stage d’insertion, on retarde l’entrée des jeunes sur le marché de l’emploi et on augmente les risques de dépendance de ceux-ci vis-à-vis de leur famille », continue-t-il. Un avis que partage le Conseil de la jeunesse1 où l’on fait remarquer que « beaucoup de jeunes ont du mal à couvrir leurs frais de recherche d’emploi ». Le fait d’avoir prolongé le stage d’insertion et donc retardé l’accès aux allocations d’insertion serait une mauvaise chose. Ce que confirme le cabinet d’Évelyne Huytebroeck (Écolo), ministre de la Jeunesse à la Communauté française. « Il suffit de prendre connaissance des (trop rares) travaux sur le phénomène “Tanguy” (NDLR : du nom de ce film mettant en scène un “jeune” de près de 30 ans vivant encore chez ses parents) pour comprendre les effets pervers de cette mesure », nous dit-on.
Des effets pervers qui pourraient d’ailleurs se transformer en « carnage » à partir du 1er janvier 2015, si l’on en croit les jeunes FGTB. C’est en effet la date à laquelle les premières fins d’allocation d’insertion seront enregistrées. « Les jeunes sont très mal informés. Beaucoup n’ont pas de vision globale de ce qui va leur arriver et des démarches qu’ils sont censés accomplir », s’inquiète Angela Sciacchitano, coordinatrice wallonne des jeunes FGTB, chiffre à l’appui. Pour elle, 100 000 personnes seraient ainsi concernées par la mesure rien qu’en Wallonie.
Pas d’économies contre-productives
Malgré ces prédictions apocalyptiques, le cabinet de Monica De Coninck maintient : il s’agit d’inciter les jeunes à chercher de l’emploi. Et surtout pas de faire des économies. Rappelons toutefois que la décision d’effectuer un contrôle des jeunes au septième et onzième mois du stage d’insertion avait été prise à l’issue du conclave budgétaire de mars 2013. Et qu’elle était censée générer une économie de 61,8 millions d’euros en 2014… « Il ne s’agissait pas de faire d’économies contre-productives. Nous n’avons d’ailleurs économisé que 29 millions », se défend le cabinet De Coninck qui déclare avoir largement assoupli le système depuis son annonce. À titre d’exemple, il fallait initialement deux évaluations positives consécutives, lors de ces contrôles, pour accéder aux allocations d’insertion. Ce qui n’est plus le cas (voir encadré) et expliquerait le moindre montant d’euros économisé.
Néanmoins, beaucoup pestent sur le signal donné par ces contrôles. Pour Pierre Ledecq, l’objectif de la ministre n’est pas de faire des économies, mais d’envoyer un message au public : les jeunes sont tenus de se serrer la ceinture comme tout le monde. Et tant pis si cela les fragilise encore un peu plus. Une charge qui pousse le cabinet de Monica De Coninck à botter en touche… en direction des Régions. Pour « adoucir » l’effet de ces contrôles, « Il faut investir dans l’accompagnement des jeunes demandeurs d’emploi », nous dit-on. Un accompagnement qui, rappelons-le, est mené par les services régionaux comme Actiris, le Forem ou le VDAB.
Témoin de cette volonté d’impliquer les services régionaux : la ministre fédérale de l’Emploi a prévu – dans un « Plan de lutte pour l’emploi » daté de juin 2012 – la mise en place de 10 000 stages rémunérés destinés aux jeunes en stage d’insertion (voir encadré). À charge pour les Régions de les proposer aux jeunes. Et donc de les créer avec les fonds fédéraux prévus à cet effet, estimés à 41,8 millions si d’aventure les 10 000 stages prévus devaient voir le jour. Des stages au nombre de 3900 en Wallonie, 1650 à Bruxelles et 4450 en Flandre.
Ici encore des voix s’élèvent pour pointer certains risques. Le cabinet Huytebroeck craint ainsi que le stage « contribue à retarder le moment où les jeunes peuvent réellement s’insérer sur le marché de l’emploi et avoir un statut suffisamment sécurisant pour se lancer dans la vie ». Le Conseil de la jeunesse redoute quant à lui des « effets d’aubaine » pour les employeurs. Ceux-ci pourraient être tentés de ne prendre des jeunes en stage que pour bénéficier d’un travailleur à bon marché, même si le Conseil souligne que « ces stages ne sont pas une mauvaise chose puisqu’ils pourraient mettre le jeune en contact avec le monde de l’emploi ». Autre point souligné, notamment par les syndicats : le risque de concurrence entre bénéficiaires des stages et les autres jeunes se trouvant sur le marché de l’emploi. Ce qui fait réagir le cabinet de Monica De Coninck. « Il faut prendre ce stage pour ce qu’il est. C’est un stage pour une période définie, pour un public défini », nous dit-on.
La Wallonie plus scrupuleuse ?
À Bruxelles, les stages rémunérés devraient être mis en place dès le 1er octobre, même s’il est impossible de savoir combien de stages ont déjà été créés. C’est là l’un des défis qui attend les Régions : trouver des employeurs prêts à accueillir les jeunes. « Il est clair qu’il est impératif pour les Régions de trouver des places de stages. Mais les entreprises auront aussi leur responsabilité », prévient Philippe Mattart, chef de cabinet d’André Antoine (CDH), ministre de l’Emploi de la Région Wallonne. Une Région wallonne qui est présentée comme étant à la traîne par rapport à ses consœurs en ce qui concerne les mises en place des stages rémunérés. « Nous avons peut-être été plus scrupuleux que les autres, ce qui peut expliquer ce retard, détaille Philippe Mattart. Nous sommes passés devant les organes consultatifs et puis devant le Conseil d’État. Cela prend du temps.
Une autre raison pouvant expliquer ce délai tient dans le fait que la Région Wallonne planchait depuis quelque temps sur un autre projet : la formation alternée (80 % en entreprise, 20 % en centre de formation) des 18-25 ans disposant au maximum du certificat d’études secondaires supérieures. Un projet qui se rapproche grandement des stages mis en place par le fédéral. Il a donc fallu « intégrer » les deux dispositifs. Résultat des courses : le jeune pourra ainsi faire six mois de stages « façon De Coninck », avant d’enchaîner éventuellement sur 12 mois (2 fois six mois) de stages « façon Antoine ». La différence entre les deux dispositifs ? « Il n’y en a pas beaucoup, admet Philippe Mattart. Sauf que nos stages durent plus longtemps. »
Reste à espérer que tout cela restera bien lisible pour des jeunes qui s’y perdent déjà. « Peu d’entre eux s’intéressent à Actiris ou au Forem, ils sont perdus. Certains ne savent même pas qu’il faut s’inscrire comme demandeur d’emploi à la sortie des études », s’alarme-t-on au Conseil de la jeunesse.
– Le stage d’attente est devenu « stage d’insertion professionnelle » : à la fin de ses études, le jeune s’inscrit comme demandeur d’emploi auprès d’un service régional (Actiris, Forem ou VDAB). Une période de « stage » commence, durant laquelle il ne touche aucune allocation. Celle-ci durait auparavant six, neuf ou 12 mois (stage d’attente), selon les cas. Elle est aujourd’hui de 12 mois pour tout le monde (stage d’insertion). À l’issue du stage, le jeune peut prétendre aux allocations d’insertion s’il n’a pas trouvé de travail. Les jeunes en stage d’insertion sont également contrôlés par l’Onem au septième et onzième mois du stage. Il leur faut deux évaluations positives pour accéder aux allocations d’insertion. En cas d’évaluation négative lors d’un entretien, un nouvel entretien est prévu six mois plus tard. Et le stage d’insertion est prolongé.
– Les allocations d’attente sont devenues « allocations d’insertion » : elles permettent à une personne de bénéficier, à l’issue de son stage d’insertion, d’un certain montant d’argent. Avant qu’elle n’ouvre éventuellement son droit au chômage sur base du travail, pour lequel elle doit effectuer un travail salarié sur une période déterminée, qui peut varier selon l’âge. Changement important par rapport aux allocations d’attente : les allocations d’insertion sont aujourd’hui limitées à trois ans, même si des variations sont prévues en fonction du statut de la personne. Si elle est cohabitante, les allocations sont limitées à trois ans à compter de leur début. Pour les chefs de famille, les isolés ou les cohabitants privilégiés, le décompte des trois années commence dès l’âge de 30 ans. Un contrôle des recherches d’emploi a lieu tous les six mois. En cas d’évaluation négative, le versement des allocations est suspendu jusqu’à la prochaine évaluation positive. Mais le décompte des trois ans continue… Enfin, les allocations sont prolongeables de six mois si le demandeur d’emploi a travaillé au moins 156 jours durant les deux dernières années.
Nous vous en parlions précédemment dans notre série « La réforme du chômage pour les nuls » (voir article « Chômage : les personnes handicapées en ligne de mire ») : la réforme de stages et des allocations d’insertion ne touche pas que les jeunes. Des personnes handicapées, des familles monoparentales, mais aussi des femmes ou des travailleurs à temps partiel seraient également concernés. Et pas tous jeunes, d’après la FGTB jeunes… On parle ainsi de bénéficiaires âgés de 40 à 50 ans qui n’auraient jamais ouvert leur droit au chômage sur base du travail. Voilà donc un bout de temps que ces personnes touchaient leurs allocations d’attente. Pour celles-ci, la limitation des allocations d’insertion à trois ans prévue dorénavant risque de faire mal…
La « Garantie pour la jeunesse » a été adoptée par les ministres de l’Emploi européens le 28 février 2013. Il s’agit de garantir légalement à tous les jeunes en dessous d’un certain âge le droit à un emploi, à un stage ou à une formation. Objectif : empêcher les jeunes de passer de nombreux mois dans l’inactivité, l’une des causes structurelles du chômage.
Huit milliards d’euros seront ainsi mobilisables sur deux ans pour l’ensemble de l’Union. Dans ce cadre, l’UE vient d’annoncer que la Belgique bénéficierait de 120 millions d’euros, concentrés sur la Province de Liège, du Hainaut et à Bruxelles. Pour ce qui va être fait de cet argent, on en est encore au stade des supputations. Ce qui pousse le Conseil de la Jeunesse à s’interroger. « Il ne faudrait pas que cet argent aille aux institutions publiques (NDLR Actiris, le Forem ou le VDAB) pour faire le même boulot qu’à l’heure actuelle », nous explique-t-on. Le Conseil espère être entendu par les politiques. Des rendez-vous seraient prévus à cet effet avec le cabinet de Céline Fremault, ministre bruxelloise de l’Emploi et avec le Forem.
Voir aussi : http://www.youth-guarantee.eu
Les stages, d’une durée de maximum six mois, seront proposés par les services régionaux aux demandeurs à partir du septième mois du stage d’insertion. Les demandeurs devront être porteurs au maximum d’un diplôme ou d’un certificat de l’enseignement secondaire supérieur. Les jeunes qui prennent part à ces stages sont rémunérés : ils recevront d’une part l’allocation d’insertion moyenne (un peu plus de 600 euros) et un complément de 200 euros de l’employeur. Un employeur qui obtient également des réductions de charge salariale de 800 euros par trimestre pour le « tuteur » du stagiaire. Pour rappel, le tuteur est un travailleur que l’entreprise affecte à la formation ou l’accompagnement du jeune dans ce cas-ci.
Dégressivité des allocations, activation des plus des 50 ans, activation des personnes handicapées…Lire notre Hors série