On parle peu du chômage des personnes handicapées. Il est pourtant en mutation suite à de nouvelles réglementations.
La matière noire est une substance hypothétique, recherchée par bon nombre de scientifiques. Elle représenterait près de 27 % de l’énergie contenue dans l’univers. On en parle pourtant peu, parce qu’on ne la voit pas. Et si la politique de l’Emploi en Belgique connaissait elle aussi, parmi le lot grandissant de réformes qui la concerne, sa « matière noire » que personne n’apercevrait ? Un exemple : sous l’influence de nouvelles réglementations, le chômage des personnes handicapées est aujourd’hui en plein bouleversement. Dissimulé dans l’ombre d’autres sujets plus médiatiques comme la dégressivité des allocations de chômage ou la transformation du stage d’attente en stage d’insertion professionnelle (et des allocations d’attente en allocations d’insertion, voir encadré), le dossier suscite néanmoins de nombreuses interrogations.
Onem plutôt que « Vierge noire » ?
Qu’entend-on par bouleversement ? Le premier témoignage à ce propos provient de la FGTB jeunes. Le syndicat socialiste a pris l’initiative d’organiser une série de séances d’information concernant les stages et les allocations d’insertion. But de l’opération : informer les chômeurs concernés des nouvelles règles en vigueur. « Si comme prévu nous nous sommes trouvés en présence de jeunes, nous avons également constaté la présence de bon nombre de personnes handicapées, souvent paniquées », explique Angela Sciacchitano, coordinatrice wallonne des jeunes FGTB.
– Le stage d’attente est devenu « stage d’insertion professionnelle » : à la fin de ses études, le jeune s’inscrit comme demandeur d’emploi auprès d’un service régional (Actiris, Forem ou Vdab). Une période de « stage » commence, durant laquelle il ne touche aucune allocation. Celle-ci durait auparavant six, neuf ou 12 mois (stage d’attente), selon les cas. Elle est aujourd’hui de 12 mois pour tout le monde (stage d’insertion). À l’issue du stage, le jeune peut prétendre aux allocations d’insertion s’il n’a pas trouvé de travail.
– Les allocations d’attente sont devenues « allocations d’insertion » : elles permettent à une personne de bénéficier, à l’issue de son stage d’insertion, d’un certain montant d’argent. Avant qu’elle n’ouvre éventuellement son droit au chômage sur base du travail, pour lequel elle doit effectuer un travail salarié sur une période déterminée, qui peut varier selon l’âge. Changement important par rapport aux allocations d’attente : les allocations d’insertion sont aujourd’hui limitées à trois ans, même si des variations sont prévues en fonction du statut de la personne (cohabitant ou chef de famille/isolé, notamment). Elles sont également prolongeables sous certaines conditions.
Pour la syndicaliste, la présence de ces personnes handicapées aux séances d’information concernant la réforme des stages et allocations d’attente est facilement explicable : inscrites au chômage où on les laissait jusque-là tranquilles, ces personnes handicapées sont restées – parfois de très longues années – en allocations d’attente.
Suite à la transformation de ces dernières en allocations d’insertion, une nouvelle donne est cependant apparue : dorénavant, les allocations seront limitées à trois ans. « Ces personnes risquent donc de se trouver complètement démunies au bout de cette période », déplore Angela Sciacchitano. Comment expliquer le fait que ces handicapés se soient inscrits au chômage plutôt que d’introduire une demande d’allocation pour personne handicapée auprès de la « Vierge noire », du nom généralement donné au SPF Sécurité sociale dans ce cas précis ? « Pour obtenir une allocation de personne handicapée, il faut ce qu’on appelle “une perte de capacité de gain” aux 2/3 », explique-t-on du côté du SPF Sécurité sociale. Dit de manière plus claire, environ 66 % d’invalidité sont donc nécessaires. À l’Onem par contre, il est possible de faire reconnaître une inaptitude permanente au travail à partir d’au moins 33 % « d’invalidité ». Des personnes ayant peu de chances de se faire reconnaître à la Vierge noire auraient donc pu décider d’aller tenter leur chance à l’Onem.
Pour le SPF Sécurité sociale, l’hypothèse paraît peu probable, mais la question mérite d’être posée. D’autant que jusqu’il y a peu, les efforts de recherche d’emploi de ces fameux « 33 % » n’étaient pas contrôlés par l’Onem. Il était donc impossible pour l’office de les sanctionner par une suppression des allocations de chômage en cas d’efforts jugés insuffisants.
Oui mais…
Mais lors des discussions concernant l’application de l’accord de gouvernement de 2011, une décision est prise : l’Onem est désormais chargé de contrôler les efforts de recherche d’emploi des « 33 % » (des chômeurs qui ont au moins 33 % d’inaptitude au travail de manière permanente ou pour au moins deux ans, pour être précis) à partir du 1er novembre 2012. Ceux-ci deviennent donc punissables en cas d’évaluation négative. Une modification qui constitue un deuxième bouleversement dans le dossier, même si de nombreuses sources évoquent en « off » un élément important : l’Onem se serait engagé provisoirement à ne pas sanctionner les « 33 % ».
Malgré cette précision, le secteur semble prendre doucement conscience de la situation. L’Awiph1 (Agence wallonne pour l’intégration de la personne handicapée) confirme avoir eu des « retours » inquiets de la part du « terrain ». Au cabinet d’Évelyne Huytebroeck (Écolo), ministre Cocof en charge de la politique d’Aide aux personnes handicapées, on constate également un « frémissement de la part du secteur » depuis juillet.
Les questions suscitées par cette nouvelle situation sont effectivement nombreuses. « Les personnes handicapées sont parfois très fragilisées. Il faut aussi parfois aménager leur poste de travail, ce qui demande une démarche de la part de l’employeur. Le marché de l’emploi étant saturé, elles connaîtront donc beaucoup de difficultés à trouver un emploi. Encore plus qu’un chômeur “normal”. Quant aux places dans les entreprises de travail adapté, elles sont limitées et ne conviennent pas à tout le monde », illustre-t-on chez Phare (Personne handicapée autonomie recherchée), un service de la Cocof où l’on met en évidence un autre phénomène : « Il y a un risque pour ces personnes de tomber dans une sorte de zone grise où, exclues du chômage, elles ne pourraient pas non plus être reconnues à la Vierge noire faute d’atteindre les 2/3 de perte de capacité de gain. » Une affirmation que le SPF sécurité sociale vient tout de même remettre en cause en affirmant que les CPAS pourraient venir en aide aux individus se trouvant dans ce type de situation.
Autre danger évoqué par plusieurs sources : celui d’un « repli » des personnes handicapées vers la Vierge noire, dernier droit à rester « inconditionnel » (non conditionné notamment à une recherche d’emploi… et donc illimité dans le temps). Ceci alors que le SPF sécurité sociale nous confirme qu’une fois passés dans ce régime, les handicapés reviennent très rarement dans le circuit du marché de l’emploi. On a déjà vu mieux à une époque où l’intégration de ce public au sein de la société est au programme de certaines politiques. « Nous craignons que le contrôle des personnes handicapées par l’Onem ne vienne casser la démarche inclusive dans laquelle nous nous situons et qui est illustrée par le décret inclusion », explique-t-on ainsi chez Évelyne Huytebroeck.
Un trajet spécifique
Au rayon des doléances, le cabinet Huytebroeck met le doigt sur un autre problème. « Il n’existe pas d’accompagnement adapté susceptible d’aider les personnes handicapées à trouver un emploi ». Face à cette question, tous les yeux se tournent vers les services régionaux de l’emploi (Actiris, Forem et VDAB), en charge de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.
Premier constat, le cabinet de la ministre Écolo n’a pas tout à fait raison. Actiris a mis sur pied un service de consultation sociale qui s’adresse aux personnes ayant des problèmes à trouver un emploi ou à en garder un suite à un handicap ou à des problèmes de santé. Au Forem, on a créé un réseau officiel d’une vingtaine d’assistants sociaux depuis 2011. Il peut être mobilisé par le conseiller référent chargé de l’accompagnement du demandeur d’emploi, qui passe la main à l’assistant social. Le demandeur d’emploi n’est alors plus tenu de continuer sa recherche de travail jusqu’à « résolution » du « pépin ».
Un problème existe néanmoins. Un projet d’accord de coopération entre le Fédéral, les Régions et les Communautés en ce qui concerne l’accompagnement et le suivi actifs des chômeurs est actuellement en discussion entre ces différentes parties. Celui-ci reprend grosso modo les mesures contenues à ce sujet dans l’accord de gouvernement de décembre 2011 et détermine le rôle des services régionaux à ce propos. Au menu, entre autres, l’augmentation de l’âge de la disponibilité des chômeurs (on passe de 50 ans maximum à 55 ans à partir de 2013 et 58 ans en 2016). Sans compter un détail important : la mise en place par les services régionaux d’un accompagnement actif pour les fameux « 33 % ». Un trajet spécifique pour les chômeurs présentant des facteurs psycho-médico-sociaux les empêchant de travailler dans le circuit économique normal est également prévu.
Pas d’argent, pas d’accompagnement ?
Problème : Actiris et le Forem ont très vite sonné l’alarme. Pour eux, l’application de ce projet d’accord risque de leur coûter cher. Un « phasage » de celle-ci serait donc en négociation. Ce qui veut dire qu’aucune des mesures contenues dans le projet d’accord ne pourrait être mise en place avant un certain temps – même si le Forem déclare l’avoir déjà fait avec les « trajets spécifiques » – alors que l’Onem convoque déjà les handicapés. À titre d’exemple, le Forem estime qu’il devra accompagner 10 000 personnes suite à ces convocations. Ce qui devrait le contraindre à engager près de 21 équivalents temps-plein supplémentaires. Et à adapter éventuellement les mesures déjà existantes.
Face à ce manque de coordination, les réactions sont parfois virulentes. Certains parlent de politique du fait accompli de la part de l’Onem. D’autres, comme Pedro Rodriguez, responsable national des travailleurs sans emploi à la CSC, se lâchent. « Tous les organismes de placement (NDLR Actiris ou le Forem) ont subi le rouleau compresseur de la ministre fédérale de l’Emploi », lance-t-il. Une ministre qui déclare ne pas vouloir se prononcer au sujet du projet d’accord de coopération tant que celui-ci est en discussion.
Un chiffre pour conclure. En vingt ans, le nombre de bénéficiaires d’allocations pour personnes handicapées aurait doublé, passant de 75 000 à environ 150 000 personnes. Un nombre qui pourrait encore augmenter suite aux exclusions – éventuelles – du chômage de personnes handicapées. Le Fédéral pourrait donc faire peu d’économies par le biais de ces exclusions, si c’est ce qu’il voulait faire. Tout au plus s’agirait-il d’un transfert d’un système à un autre.
Dégressivité des allocations, activation des plus des 50 ans, activation des personnes handicapées…Lire notre Hors série
1. Awiph :
– adresse : rue de la Rivelaine, 21 à 6061 Charleroi
– tél. : 071 20 57 11
– site : http://www.awiph.be
2. Phare :
– adresse : rue des Palais, 42 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 800 82 03
– site : http://www.phare.irisnet.be