Christine Coppin évolue dans le monde de l’enseignement depuis bientôt vingt ans. Enseignante, puis directrice d’école, elle a toujours tenu à manifester, simplement,une attention accrue à l’égard des familles précaires.
« J’ai envie d’une action concrète dans les écoles pour sensibiliser sur la pauvreté. » Le seuil de l’école de quartier Maurice Denuit(Haine-Saint-Paul)1 est à peine franchi, que Christine Coppin, sa directrice, rentre dans le vif du sujet. Entre ceux qui considèrent l’école comme la grande usine dela reproduction sociale et les tenants optimistes d’une école émancipatrice, Christine Coppin a choisi son camp : « Il faut être clairvoyant : oui il y a de lapauvreté, mais on ne doit pas être fataliste. Nous, on est là pour qu’un enfant soit égal à un autre enfant. » Pour atteindre cet objectif ambitieux, lecombat est rude. La directrice fait avec les moyens du bord. Elle aide certaines familles, dans les limites de sa fonction, tout en s’efforçant de ne pas stigmatiser les élèves« pauvres ».
« La précarité contamine toutes les sphères de la vie »
Christine Coppin dirige trois établissements à La Louvière, dont cette petite école fondamentale. La visite est rapide, en plein temps de midi, sous un soleilrégénérant. Un ballon, coincé dans la gouttière de la maison voisine, suscite des vagues de mécontentement parmi les élèves. La directrice estimmédiatement sollicitée pour distribuer quelques gentilles réprimandes. Le bruit d’enfants qui s’amusent, le foot et la distribution de glaces… On pourrait presque se laissertenter par un brin de nostalgie, car rien ne distingue a priori l’école Maurice Denuit d’une autre école. On croit y discerner une certaine mixité sociale et une saine agitation,ce que confirme Christine Coppin : « Il n’y a pas plus et pas moins de problèmes qu’ailleurs ».
Toutefois, on constate une recrudescence des phénomènes de précarité dans la région, depuis que « la crise » a frappé, nous affirme ChristineCoppin. « Pauvreté » ou « précarité », les deux notions ne recouvrent pas les mêmes réalités pour notre directriced’école : « À mes yeux, la précarité, c’est pire que la pauvreté. Être pauvre, c’est uniquement lié à l’argent. Mais laprécarité contamine toutes les sphères de la vie, rien ne va plus dans ces familles qui se sentent totalement abandonnées. »
Évidemment, il n’est pas écrit « précaire » sur le front de ces élèves, alors il n’est pas toujours évident de leur venir en aide. C’est ceque Christine Coppin confirme : « Dans mes écoles, il y a des familles précaires, mais elles s’en cachent, c’est quand elles viennent dans mon bureau que, parfois, les chosesse disent. Dans certains cas, l’instituteur ou la directrice d’école sont les seules personnes à qui les parents parlent. Je ne suis pas assistante sociale, mais çan’empêche pas que j’ai des mamans qui viennent pleurer dans mon bureau pour des tas de raisons, pour une séparation, ou face au comportement de leur enfant. La demi-heure d’écouteou de dialogue peut être porteuse. »
Écoute et sensibilité
Écouter les familles en difficulté semble évident à Christine Coppin, qui s’efforce de ne pas franchir les limites inhérentes au poste de directriced’école : « Il m’arrive, en compagnie de certaines mères de famille, de téléphoner au CPAS, pour prendre un rendez-vous, pour qu’elles aient au moins un colisalimentaire, lorsqu’il y a des urgences. Le rôle de la direction devrait être d’indiquer les services qui peuvent leur venir en aide, parfois d’appeler, mais pas plus. Il ne faut pastomber dans le travers de les assister, de tout faire pour eux. Il faut leur donner un coup de main, il faut qu’ils se réapproprient leur fierté. »
Si Christine Coppin a développé une sensibilité vis-à-vis des problèmes de pauvreté, c’est en partie lié à ses origines, à sa famille« ouvrière et pauvre ». Ce lien, que d’autres tairaient, elle le revendique haut et fort en rendant hommage à sa mère : « J’ai vécu avec ma maman et masœur. Ma mère a toujours dû se battre pour subvenir à nos besoins. Mais malgré ses efforts, à l’école on se sentait parfois à l’écart. Lestenues vestimentaires, par exemple, jouent un rôle important. Lorsqu’on a des difficultés à s’habiller correctement, ça se voit et on sent très fort le regard desautres. » Avoir soi-même subi la pauvreté, ça forge un caractère, comme en témoigne l’analyse de Christine Coppin du rapport des enseignants auxélèves issus de milieux précaires : « Il arrive que certains enseignants réclament de l’argent pour une sortie scolaire à des parents, devant les enfants.Cela peut être très dérangeant dans des familles pauvres. Il y a pas mal d’enseignants dans la nouvelle génération qui ne connaissent rien à lapauvreté, qui ont du mal à comprendre les problèmes, car ils ne les ont pas vécus. Du coup, il peut leur arriver d’être brusques, car ça leur passe au dessusde la tête. »
Cette préoccupation envers les plus pauvres a guidé les pas de Christine Coppin tout au long de sa carrière. Avant d’être directrice d’école, elle a biensûr été enseignante, pendant près de vingt ans. Son parcours lui a fait côtoyer d’autres réalités. Celles de l’enseignement spécialiséoù la confrontation avec le handicap lui fit découvrir les vertus des projets simples et concrets, des progrès à petits pas. Mais aussi celles de l’enseignementfondamental dans des écoles à l’effectif fourni, « où les problèmes se réglaient à coups de poing ».
Les poux : un révélateur de pauvreté
Les révélateurs de la pauvreté infantile ne sont pas si nombreux. Il peut s’agir, dans certains cas, de problèmes d’hygiène, mais cette vision de lapauvreté est un tantinet étriquée. Il y a bien sûr le manque d’argent. Les pauvres manquent d’argent, c’est une vérité de La Palisse, un pléonasme,mais comment cela se traduit-il dans les écoles ?
Les sorties culturelles ou les voyages scolaires sont généralement des moments de friction, car cela implique de demander une participation financière. Christine Coppin met unpoint d’honneur à ce que l’argent n’entrave pas l’accès aux activités culturelles – car elle considère la culture comme l’outil essentiel de la mobilitésociale : « On organise des soupers et une marche, chaque année, pour payer des déplacements, par exemple en classe de neige ou des sorties culturelles. » Dès lors
,si l’aspect financier bloque, Christine Coppin propose des facilités de paiement, ou d’étaler les versements sur l’année, « c’est à ce moment qu’il faut fairepreuve de tact et ne pas stigmatiser les familles. Il faut surtout qu’elles ressentent qu’elles ont un rôle à jouer. » Lorsqu’elle pousse le raisonnement plus loin, notredirectrice d’école se mue en Robin des bois de La Louvière et imagine des gestes de solidarité entre élèves et même entre écoles. « Il faudraitpeut-être encourager la solidarité entre écoles, que les écoles en difficulté reçoivent des dons. »
À en croire Christine Coppin, il est un révélateur de précarité qui n’est pas à négliger : les poux. Ces petites bestioles n’attaquent pas quele cuir chevelu, elles poussent à la porte des écoles de nombreux élèves pauvres et deviennent un facteur de discrimination. Christine Coppin en témoigne :« Lorsqu’un enfant attrape des poux, il est écarté de l’école s’il n’est pas traité. C’est ensuite le centre de santé qui donne l’autorisation pour revenir.C’est un gros problème dans les écoles, car cela aboutit parfois, dans des familles assez précaires, à de longues périodes d’absentéisme, dèsl’école primaire. J’ai eu une élève qui n’est pas venue en classe pendant un mois. La maman voulait en finir en tondant la petite. Je l’ai secouée en attirant l’attentionsur sa fille et en l’incitant à se rendre au centre de santé, pour éviter ce geste brutal. Ce contact m’a permis de découvrir toute une série de problèmessociaux très lourds dans la famille. » Les poux, l’absence de traitement et l’absentéisme formeraient donc un trio fatal rimant avec exclusion des élèves de milieuxdéfavorisés.
Éviter de créer le malaise chez les « exclus »
C’est notamment de la problématique des poux qu’il a été question au mois d’avril lors d’une rencontre entre Bernard De Vos, le déléguégénéral aux droits de l’enfant et des intervenants de l’enseignement et de l’enfance de La Louvière. Christine Coppin, sur invitation de l’échevin de l’Instructionpublique, représentait les écoles fondamentales. « Cette rencontre était intéressante, il semble que Bernard De Vos puisse être un bon interlocuteur danscertains cas assez graves, notamment d’absentéisme scolaire. Certes, le centre psycho-médico-social contrôle mais ça ne suffit pas toujours. Le déléguéaux droits de l’enfant peut éventuellement alerter le SAJ ou secouer les acteurs compétents », se remémore Christine Coppin, qui semble néanmoins regretter que cetterencontre n’ait pas abouti à des actions plus concrètes.
Dans son pré carré, elle envisage des projets de sensibilisation aux problématiques liées à la pauvreté : « Quand j’étais institutrice,j’avais travaillé sur les droits de l’enfant avec mes élèves. Cette fois-ci, pour parler de la pauvreté, il ne faut pas faire d’erreur, ne pas créer de malaiseschez certains élèves qui se sentent exclus. Je vais donc proposer de construire une démarche critique sur la consommation, sur la publicité, à partir de supportsécrits et visuels. Ainsi, on aborde indirectement le thème de la pauvreté. Cela pourrait par exemple aboutir à ce que les enfants demandent moins de marquesonéreuses à leurs parents. Cela va commencer dès septembre. »
Balle au centre
Une fois l’entretien terminé, on profite un peu du silence, le brouhaha de la cour de récréation s’étant tu depuis de longues minutes. À la vue du ballon defoot, finalement descendu de sa gouttière, on se rappelle – moins nostalgique – qu’il fallait quand même travailler à l’école.
On se dit surtout, un peu naïvement, qu’on aurait bien aimé avoir une Madame Coppin comme directrice car, c’est clair, elle a l’air « vraiment trop cool », comme disent les(anciens) jeunes.
1. EFC :
– adresse : rue Maurice Denuit, 21 à 7100 Haine-Saint-Paul
– tél. : 064 22 03 15