Sophie Joris est responsable des activités de Groupe One en Wallonie1. Active dans l’aide à la création d’entreprises à Bruxelles, en Wallonie et au Congo,cette asbl porte une attention toute particulière au développement durable. Sophie Joris a participé à une étude sur les circuits courts alimentaires deproduction-distribution-consommation au niveau local.
Alter Echos : A partir de quand parle-t-on de circuits courts dans l’alimentation durable ?
Sophie Joris : Il existe plusieurs définitions du circuit court ; la plupart d’entre elles se basent sur le nombre d’intermédiaires. Mais enmatière de développement durable, ce seul critère ne suffit pas. Il faut y intégrer d’autres aspects tant économiques qu’environnementaux et sociaux.Par exemple, il s’agit de connaître le montant du revenu du producteur ou de mettre en avant les liens de convivialité entre producteurs et consommateurs. Dans une étuderéalisée pour le cabinet du ministre du Développement durable de la Région wallonne, nous avons établi des critères mesurables. Ces indicateurs permettent depréciser la définition : le nombre de kilomètres parcourus, le type de transport, etc. Si on a affaire à une vente avec un seul intermédiaire mais venant duBénin et à destination de Ciney, je doute fort que l’on puisse parler de circuit court. Dans le même ordre d’idée, si vous achetez vos biscuits à laferme du coin, il faut aussi s’interroger sur la provenance de ses matières premières, et il n’est pas non plus certain que l’on puisse encore parler ici de circuitcourt.
AE : Les avantages des circuits courts semblent nombreux…
SJ : Effectivement. Il y a le fait de renouer le contact avec les producteurs de notre alimentation ; il est bon de savoir d’où viennent notre pain, nos courgettes, etc. Ily également la revalorisation du travail du fermier, du meunier, de l’apiculteur, etc., et la stabilisation de l’emploi des producteurs alimentaires. Au-delà de cesdimensions sociales et économiques, l’aspect environnemental est aussi primordial : la limitation des kilomètres parcourus du champ à l’assiette, etc. Cetteréflexion sur les circuits courts s’applique d’ailleurs aussi aux secteurs non-alimentaires, comme le textile, le bois, l‘ameublement, etc.
AE : La part du prix de vente qui revient au producteur est souvent infime. Les circuits courts corrigent-ils cette situation ?
SJ : C’est une question délicate. Des démarches d’associations de consommateurs comme les groupements d’achats (voir encadré) se veulent avant tout desinitiatives citoyennes solidaires visant à rétribuer les producteurs à des prix équitables. Du fait que le consommateur achète directement au producteur, onsupprime les intermédiaires et on peut parvenir à cette juste rémunération. Cependant, le marché alimentaire étant dominé par d’énormesoligopoles, le juste prix est parfois difficile à établir par le producteur lui-même, tant il est influencé par les prix du marché qui lui sontgénéralement imposés.
AE : Les circuits courts sont par définition beaucoup moins énergivores. Pourtant, le prix des denrées reste souvent élevé par rapport aux produitsconventionnels.
SJ : Le lien entre circuits courts et diminution de la consommation d’énergie est évident et l’avenir nous donnera raison sur ce point. Cependant, mêmesi le prix des denrées alimentaires durables reste généralement un peu plus élevé, celles-ci présentent un double avantage : on sait ce que l’onmange et on mange moins. Pourquoi ? Car d’un côté, en ne faisant pas ses courses dans un supermarché, on n’est pas influencé par le marketing ettenté par d’autres produits et d’un autre côté, ce que l’on mange est d’une qualité supérieure sur le plan nutritionnel, notamment en termesde calories. A la place de manger 50 grammes de fromage, on en mangera peut-être 20 ou 30 mais on sera tout aussi bien alimenté, si pas mieux !
AE : Quels sont les freins au développement des circuits courts ?
SJ : L’un des principaux freins, ce sont les normes d’hygiène. Pour commercialiser des produits alimentaires, il faut respecter de nombreuses normes qui peuvents’avérer très contraignantes pour des petits producteurs-transformateurs. Un autre frein, ce sont certaines décisions, prises notamment par les communes, d’accueillirde grandes enseignes sur leur territoire, ce qui va à l’encontre d’un développement des circuits courts.
AE : Quels sont les objectifs de l’étude réalisée par Groupe One ?
SJ : Cette étude sur les circuits courts alimentaires en Wallonie avait pour but de proposer une série de recommandations visant à leur développement. Sur la based’une concertation avec les acteurs de terrain, nous en avons émis douze, dont une partie a été identifiée comme prioritaire : structurer l’offre etmutualiser les outils, adapter les dispositifs à la demande des collectivités, augmenter la connaissance du marché des circuits courts et la demande des consommateurs etaugmenter les points de vente locaux.
7,4 % des exploitations agricoles font de la vente directe
Lors de son enquête 2010, le SPF Economie a dénombré 14.502 exploitations agricoles en Wallonie, souvent de petite taille. A partir des données fournies par les servicesagricoles provinciaux et les associations responsables de l’accompagnement et de la promotion des produits agricoles locaux, l’asbl Groupe One estime que 7,43 % de ces exploitationsagricoles, soit 1.078 unités, exercent des activités de vente directe. On notera qu’actuellement, il n’existe pas d’aide directe spécifique aux circuits courtsen Région wallonne.
Groupements d’achats et paniers bio : des alternatives courtes pour les consom’acteurs
Les GASAP1 (groupes d’achats solidaires de l’agriculture paysanne) à Bruxelles et les GAC2 (groupements d’achats communs) en Wallonie se donnent pourmission de soutenir les producteurs locaux travaillant selon des méthodes respectueuses de l’environnement et des savoir-faire traditionnels. L’objectif consiste à faire duproducteur le principal bénéficiaire de la vente de ses produits. Tout en bénéficiant de produits frais et sains, les « consom’acteurs »entendent contribuer au développement d’alternatives à la production agro-industrielle conventionnelle et à la grande distribution.
En pratique, un groupe d’achats est composé de citoyens qui s’associent directement avec un producteur paysan pour lui acheter, de façon
régulière, encircuit court et à long terme (minimum un an), de quoi se nourrir en produits de saison de qualité. Cela peut être des légumes, des fruits, du fromage, de la viande, dupain, de la farine, etc. Cet engagement réciproque entre consommateurs et producteur fait généralement l’objet d’une charte sur laquelle les deux partiess’engagent.
Le système des paniers bio, de son côté, offre aux consommateurs la possibilité d’aller chercher chaque semaine un panier de fruits et légumes bio et locauxdans un point d’enlèvement proche de chez eux.
Ces paniers sont composés de produits provenant majoritairement d’agriculteurs locaux et complétés, en périodes creuses et pour les produits n’étantpas cultivés chez nous (agrumes, bananes, etc.), par des récoltes venant du Sud de l’Europe. Certaines initiatives proposent également la livraison hebdomadaire de paniersde fruits en entreprise pour la consommation du personnel sur le lieu de travail.
Quelques pionniers :
– Agricovert3 a pour objectif de maintenir une agriculture paysanne locale en soutenant l’installation de petits producteurs via le développement de circuits courts. Cettecoopérative rassemble aujourd’hui une vingtaine de « coopérateurs producteurs » (maraîchers, éleveurs, artisans) et une centaine de« coopérateurs consom’acteurs ». Elle propose des paniers hebdomadaires et livre plusieurs groupes d’achats, en Région wallonne et àBruxelles.
– Les Paniers Verts4 sont nés en 2007 à Bornival, en Brabant wallon. Cette coopérative, soutenue par Nature & Progrès, Saveurs paysannes etOxfam-Magasins du monde, réunit des producteurs et des consommateurs, propose des fruits et légumes biologiques en circuits courts via une offre de paniers sur abonnement, livrésà domicile, en entreprise ou via un réseau de points de dépôt en Wallonie et à Bruxelles.
– Ferme Nos Pilifs5 : cette entreprise de travail adapté propose un service de paniers hebdomaires bio distribués à de nombreux pointsd’enlèvement à Bruxelles.
Pour trouver le distributeur de paniers bio le plus proche de chez vous ou de votre organisation, à Bruxelles ou en Wallonie, consultez le site : www.monpanierbio.be
Circuits courts et marchés publics : pas si simple…
Pour une institution publique, privilégier le circuit court dans ses marchés publics n’est pas toujours évident. Différents scénarios sont possibles, commel’explique Nanou Carels, chargée de mission en alimentation saine et durable à la cellule environnement de la Province de Namur. Cette institution intègre depuis un certaintemps des critères durables, tels que le bio et le commerce équitable, dans ses marché publics alimentaires. Mais pour les circuits courts, ce n’est pas si simple.« Pour un marché de services, nous pouvons exiger – et nous l’avons déjà fait – que la société qui fournit les repas travaille enprivilégiant les circuit courts », explique notre interlocutrice. Par contre, dès qu’on s’attaque à la fourniture de denrées, la situation secomplique. La législation en matière de concurrence empêche en effet que l’on pose des exigences en termes d’origine géographique des produits. Al’exception de ce qu’on appelle la « qualité différenciée », par exemple des produits d’appellation ou d’originecontrôlées. « Dans ce contexte, nous pouvons par exemple privilégier le porc fermier wallon, explique Nanou Carels. Mais cette option coûte pluscher… »
Face à cette situation, certaines institutions tentent de composer avec la législation en jouant avec les critères d’attribution. « Nous pouvons demander aufournisseur de nous faire part de la distance entre le lieu de stockage et le lieu de livraison des denrées, le tout rapporté en quantité de CO2 », explique NanouCarels. Mais on se penche ici sur la question de la livraison alors que c’est souvent la fourniture d’origine qui pose problème (ex : des haricots produits au Kenya etenvoyés en Belgique). Autre manière détournée d’éviter des denrées venues de trop loin : limiter le nombre de jours entre la fabrication du produit etson stockage. Mais ici encore, ce sont des emplâtres sur une jambe de bois. « Nous attendons vraiment que la législation change, insiste Nanou Carels. Il existe une vraieschizophrénie qui fait que d’un côté, on parle d’écologie et de circuits courts et de l’autre, on est face à une législation quiempêche de privilégier ce type de pratiques. »
Julien Winkel
Faiblesses des circuits courts, autant de chantiers
Si le développement des circuits courts connaît un large essort depuis quelques années, plusieurs freins et difficultés ont été identifiés parl’asbl Groupe One.
• Economique : difficulté de produire des denrées normalisées ; difficulté de créer un flux continu de l’offre ; difficulté derassembler une large gamme de produits bruts et transformés ; problème récurrent de trésorerie pour augmenter la quantité de production ; niveau peuélevé et très fluctuant des salaires moyens des petites et moyennes exploitations.
• Culturel : peu d’appellations d’origine ou de qualité contrôlées en Wallonie ; individualisme de l’agriculteur wallon et manque decréation de facilitateurs logistiques.
• Ressources humaines : manque de compétences en logistique et vente ; manque de temps et de main-d’œuvre.
• Réglementations : les réglementations strictes de l’AFSCA induisent des investissements importants pour le lancement de la vente en circuits courts(aménagements et constructions pour le stockage, le packaging, la transformation, etc.).
1. Réseau des GASAP :
– site : www.gasap.be
2. Nature & Progrès :
– adresse : rue de Dave, 520 à 5100 Jambes
– tél. : 081.30.36.90
– courriel : antonio@natpro.be
– site : www.natpro.be
3. Agricovert :
– adresse : rue Sergent Sortet, 23 A à 1370 Jodoigne
– tél. : 010/81 40 50
– courriel : info@agricovert.be
– site : www.agricovert.be
4. Les Paniers Verts
:
– rue du Centre, 71 à 1404 Bornival
– tél. : 0473 532 995
– courriel : bonjour@lespaniersverts.be
– site : www.lespaniersverts.be
5. Ferme Nos Pilifs :
– adresse : Trassersweg, 347 à 1120 Bruxelles
– tél. : 02 262 11 06
– courriel : info@pilifs.be
– site : www.fermenospilifs.be