Une meilleure insertion des jeunes et demandeurs d’emploi et un recours accru aux entreprises sociales… Pour atteindre ces deux objectifs, les pouvoirs publics wallons disposent d’un instrument privilégié: l’inclusion d’une «clause sociale» dans leurs appels d’offres, en particulier dans le secteur de la construction. Plusieurs initiatives visent à renforcer l’efficacité du dispositif.
À Verviers, la construction d’un centre de formation s’est achevée fin 2015. Isocèle, une des entreprises sociales ayant participé aux travaux, en a tiré profit. «Travailler sur un gros chantier a été particulièrement intéressant pour la formation de nos stagiaires, qui ont pu agir en situation réelle, en interaction permanente avec d’autres sociétés», se réjouit le directeur de l’entreprise, Gianni Drigo. Celui-ci a été contacté par l’entreprise générale responsable de la nouvelle construction dans le cadre d’une clause l’obligeant à sous-traiter une partie des travaux à une entreprise sociale. Comme le précise Gianni Drigo, la société n’aurait peut-être jamais fait appel à ses services sans l’existence de ces clauses sociales. Celles-ci permettent notamment aux stagiaires, demandeurs d’emploi ou personnes en situation de handicap, de jouir d’une expérience professionnelle. Il offre, en outre, la possibilité aux entreprises sociales d’accéder plus facilement aux marchés publics. Quant aux entreprises classiques, elles peuvent rencontrer de nouveaux employés potentiels.
Lorsqu’un pouvoir public souhaite faire construire ou rénover un bâtiment, il lance un appel d’offres dans le but de trouver l’entreprise qui réalisera les travaux. Le soumissionnaire public rédige un «cahier des charges», dans lequel il inscrit toutes les modalités et conditions d’exécution que l’entreprise devra respecter. Dans cette note, il peut décider d’insérer une «clause sociale». Les entreprises intéressées par le marché lui soumettent un prix. Vient alors le moment pour le pouvoir public d’analyser les offres et de choisir la meilleure. L’entreprise ayant remporté le contrat se verra obligée de respecter les conditions émises dans le cahier des charges et donc la clause sociale.
Les clauses sociales font l’objet de discussions depuis plus d’une quinzaine d’années en Wallonie. Mais leur utilisation est relativement récente. «On a travaillé à la sensibilisation de la question jusqu’en 2012-2013. Ensuite, on a senti qu’il y avait une grande prise en compte de la démarche au sein des pouvoirs publics», explique Jean-Luc Bodson, chargé de projets ‘marchés publics’ au sein de la Fédération Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B). La cause de ce lent démarrage? «L’utilisation des clauses sociales fait peur, car cela reste quelque chose de très complexe qui demande un suivi particulier», ajoute Jean-Luc Bodson.
Un réseau pour durer
Afin de rassurer leurs utilisateurs et de donner un coup de fouet à la mécanique, un «réseau de facilitateurs» a été créé en 2013. Ce groupe est composé d’une majorité de spécialistes du secteur de la construction présents dans des structures telles que la Confédération de la construction wallonne (CCW), la SAW-B et bien d’autres. Il accompagne les acteurs concernés dans leur démarche, conseille le pouvoir public sur le type de clause sociale le mieux adapté à son projet et aide les entreprises à bien respecter les conditions de cette clause,…
Le ministre wallon de la Fonction publique, Christophe Lacroix, a décidé d’accorder, en octobre 2015, des subventions pluriannuelles au réseau, assurant ainsi le travail des facilitateurs pour une durée de quatre ans. «Cela a donné naissance à une plateforme qui analyse le succès du dispositif afin de le faire évoluer», détaille Charlotte Quevedo, la porte-parole du ministre. Ce nouveau financement «permet d’inscrire leur travail dans la durée», souligne Jean-Luc Bodson, estimant que les facilitateurs «doivent affiner la gestion des clauses sociales, les développer, les faire connaître et mesurer leur impact».
Étendre le dispositif
Au-delà du renforcement de ce réseau, «des mesures supplémentaires seront prochainement concrétisées», assure Charlotte Quevedo, sans toutefois préciser les délais. Dans les cartons, il y a la volonté d’augmenter les contrôles sur les chantiers pour veiller au respect des clauses sociales, avec la possibilité d’exclure les entreprises du marché en cas de non-respect. «Ces règles peuvent être perçues comme une contrainte additionnelle pour les entreprises, mais, grâce à l’aide qu’elles reçoivent, elles sont généralement très positives», relève Nathalie Bergeret, directrice de la communication de la Confédération construction wallonne, regroupant quelque 4.600 entrepreneurs du sud du pays.
Les efforts actuels sont menés dans le secteur de la construction car «celui-ci fait face à un grand nombre de pertes d’emplois», explique le cabinet de M. Lacroix. Les derniers chiffres avancés par la CCW ne sont, en effet, pas réjouissants: 17.300 emplois perdus en quatre ans. Le gouvernement souhaite sensibiliser les pouvoirs régionaux et locaux. «Les communes et CPAS utilisent très peu les clauses sociales car ces outils ont jusqu’à présent été développés pour les marchés de travaux de bâtiments. Or, le niveau local construit rarement de nouveaux bâtiments», précise Mathieu Lambert, expert en marchés publics au sein de l’Union des villes et communes de Wallonie. Il souligne dès lors l’importance d’introduire ces clauses dans d’autres types d’appels d’offres. Au sein du cabinet de Christophe Lacroix, l’insertion des clauses aux marchés publics de service a déjà été évoquée. Mais «il faudra attendre 2017 pour engager la réflexion globale sur tous les secteurs confondus», révèle Charlotte Quevedo.
Entreprises classiques et sociales
La CCW estime qu’une faille subsiste toujours à propos d’un type de clause: celle permettant uniquement aux entreprises sociales de répondre à certains appels d’offres. «Cette clause a peu de sens pour nous, car elle ne permet pas une collaboration entre entreprises classiques et sociales. Ça ne permet pas de dissiper les a priori des entrepreneurs de la construction par rapport à l’économie sociale», regrette Nathalie Bergeret. Le directeur d’Isocèle souhaite lui aussi une plus grande connaissance mutuelle: «Certaines entreprises craignent l’amateurisme des entreprises sociales ou les délais astronomiques qu’il leur faudrait pour réaliser les travaux, or ce n’est pas le cas.»
«Le mécanisme commence à prendre forme, mais, à mon avis, il faudra un an ou deux avant que ça décolle entièrement. Il faut surtout continuer à sensibiliser les pouvoirs publics, les encourager à recourir aux clauses sociales dans leurs appels d’offres et à distribuer ce mécanisme partout au niveau wallon», conclut Jean-Luc Bodson.
Il existe de nombreux
types de clauses sociales mais, pour simplifier le système, le réseau des facilitateurs a décidé d’en promouvoir trois. La «réservation de marchés ou de lots» permet uniquement aux entreprises sociales de remettre une offre de prix pour un marché ou une partie de celui-ci. La «clause de formation» oblige l’entreprise qui répond à l’offre à fournir un effort de formation pendant la réalisation des travaux. L’entreprise peut par exemple engager un demandeur d’emploi ou former un jeune stagiaire. Enfin, la «clause flexible» laisse le choix à l’entreprise: soit engager un jeune ou un demandeur d’emploi, soit sous-traiter une partie des travaux à une entreprise sociale.
« La construction wallonne a du plomb dans l’aile », Alter Echos, Julien Winkel, 23 octobre, 2014