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Regard critique · Justice sociale

Allocations

Cohabitants-isolés: l’arrêt qui rebat les cartes

Avant, l’Onem considérait les chômeurs colocataires comme des «cohabitants» formant un ménage. Ce statut impliquait une coupe franche dans les allocations. Mais ça, c’était avant. Le 9 octobre 2017, la Cour de cassation a pris de revers l’Office national de l’emploi. Son arrêt change la donne. Les chômeurs qui vivent sous un même toit seront en premier lieu considérés comme «isolés», leur permettant de conserver l’entièreté de leurs allocations chômage.

Partager un logement sans vivre ensemble, plus facile depuis l’arrêt de la Cour de Cassation.

Avant, l’Onem considérait les chômeurs colocataires comme des «cohabitants» formant un ménage. Ce statut impliquait une coupe franche dans les allocations. Mais ça, c’était avant. Le 9 octobre 2017, la Cour de cassation a pris de revers l’Office national de l’emploi. Son arrêt change la donne. Les chômeurs qui vivent sous un même toit seront en premier lieu considérés comme «isolés», leur permettant de conserver l’entièreté de leurs allocations chômage.

Les juges n’y sont pas allés de main morte avec l’Office national de l’emploi. Le 9 octobre 2017, ils ont confirmé une jurisprudence préexistante de tribunaux du travail qui condamnaient le fait de considérer des chômeurs vivant sous le même toit comme des «cohabitants» et non pas comme des «isolés».

La différence de statut est essentielle. Si ces chômeurs sont considérés comme cohabitants, donc formant un ménage, leur allocation de chômage est diminuée de 15%, ce qui pénalise des personnes déjà en difficulté. S’ils sont classés comme «isolés», ils conservent l’intégralité de la somme. Pour Thibault Morel, du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale: «L’Onem partait du principe que les gens formaient un ménage. Là, il considérera en premier lieu qu’ils sont isolés et qu’ils ne forment pas forcément un ménage au sens propre. Avec cet arrêt, on retourne le principe.» Pour la FGTB, qui a aidé certains de ses affiliés à introduire des recours, l’arrêt de la Cour de cassation est une «victoire importante». «Car beaucoup de chômeurs seuls sont dans l’incapacité de payer un logement, précise Astrid Thienpont. Maintenant ils pourront vivre en colocation et être reconnus comme ‘isolés’.»

La différence d’interprétation des notions de «cohabitant» et «d’isolé», intégrées dans la législation pour des raisons budgétaires, s’explique notamment par le flou législatif qui les entoure.

Dans l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 relatif à la réglementation du chômage, deux critères sont posés pour définir ce que sont des cohabitants. D’abord, ils doivent vivre sous le même toit. Ensuite, ils sont censés «régler principalement ensemble les questions ménagères». «Cette double condition est laconique. Elle ne dit pas grand-chose. C’est la jurisprudence qui devait expliquer ce que ça recouvrait», explique Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis. «L’Onem jouait sur l’interprétation fluctuante de ces notions, enchaîne-t-il. Il lui sera dorénavant difficile de passer outre aux balises que pose la Cour de cassation. Pour la plus haute juridiction, il ne suffit pas de vivre sous le même toit pour être cohabitants.»

Un avantage financier ne suffit pas

Jusqu’à présent, la logique qui prévalait à l’Onem était la suivante: le fait de réaliser des économies d’échelle grâce à la vie en commun justifiait le statut de cohabitant. «Désormais, on sait qu’il faut plus qu’un avantage financier», complète Astrid Thienpont.

La Cour ne pousse pas pour autant la logique jusqu’à lister une série de critères très précis pour distinguer l’isolé du cohabitant. Et ceux qu’elle évoque semblent assez intrusifs. Pour conclure que deux personnes sont cohabitantes, «il faut – mais cela ne suffit pas – qu’elles tirent un avantage économique du partage d’une habitation. Il faut également qu’elles fassent ensemble les tâches, activités et autres tâches ménagères comme l’entretien (…), les courses, la préparation des repas, et qu’elles fournissent éventuellement un apport financier pour ce faire.»

«Pour la plus haute juridiction, il ne suffit pas de vivre sous le même toit pour être cohabitants.», Nicolas Bernard, professeur de droit à l’Université Saint-Louis

Dans les six affaires sur lesquelles s’est prononcée la haute juridiction, la situation était assez claire. Les habitants ne se connaissaient pas avant de vivre ensemble. Chacun avait sa chambre. Certains espaces comme la cuisine ou le salon étaient partagés. Mais les colocataires s’occupaient de faire leurs propres courses. Ils avaient de petites étagères à leur nom pour les ranger. Ils ne formaient donc pas un «ménage».

On imagine toutefois que le «partage des tâches ménagères» est encore trop flou pour tout régler. «Tout ce qui tourne autour des tâches ménagères peut être un peu intrusif, estime Nicolas Bernard. La Cour n’a pas voulu se prononcer sur le caractère objectivable de la cohabitation. Selon moi, le législateur devrait le faire. Car il faudrait s’en tenir à des critères objectivables comme le fait que les différentes chambres ferment à clef.» Malgré ces quelques réserves, Astrid Thienpont ajoute que l’Onem devra désormais «regarder au cas par cas» chaque situation et ainsi éviter les décisions standardisées en défaveur des chômeurs.

Suite à l’arrêt du 9 octobre, l’Onem a dû changer sa pratique et adopter son instruction n°181041 que nous explique (par courriel) son service communication: «Pour être considéré comme un travailleur isolé, le chômeur doit apporter la preuve, en particulier, qu’il dispose d’une chambre séparée et qu’il mène une vie indépendante. Cette preuve peut être apportée d’une part par le contrat de bail et d’autre part par des explications circonstanciées du chômeur.» L’Onem peut toujours procéder à des auditions, voire à des visites domiciliaires pour vérifier si le statut mentionné correspond à la situation réelle.

Et les CPAS?

Aujourd’hui, l’espoir des associations et des syndicats est que l’interprétation de la Cour de cassation gagne d’autres branches de la sécurité sociale et de l’aide sociale. Certains espèrent que les CPAS, lorsque ceux-ci décident de l’octroi du revenu d’intégration sociale, devront aussi se caler sur l’arrêt de la Cour de cassation ou que d’autres arrêts viendront confirmer la tendance. Pour l’instant, l’interprétation des notions de «cohabitant» ou «d’isolé» varie considérablement de CPAS en CPAS. Et la logique sous-jacente au revenu d’intégration sociale diffère de celle des allocations chômage. Ces dernières se situent dans le champ de la sécurité sociale et suivent une logique assurantielle – chaque personne cotise, via le travail, pour s’ouvrir un droit. Alors que le RIS est un filet de sécurité qui ne correspond pas à des cotisations – on se situe dans un cadre assistanciel, qui découle de l’état de besoin. Cet état de besoin peut varier en fonction du mode de vie de chacun et des économies d’échelle qui découlent de la vie en commun. Mais pour Nicolas Bernard, il ne s’agit pas là d’obstacles majeurs: «La cohabitation est définie de la même manière pour le revenu d’intégration sociale que pour les allocations chômage. Donc la même interprétation devrait prospérer dans le cadre du RIS.»

«Pour être considéré comme un travailleur isolé, le chômeur doit apporter la preuve, en particulier, qu’il dispose d’une chambre séparée et qu’il mène une vie indépendante.», L’Onem

Enfin, les Régions pourraient jouer un rôle important en créant des «labels d’habitat solidaire». Un tel label est prévu, en région bruxelloise, dans le cadre de la régionalisation du bail. Il n’est encore qu’en phase d’élaboration. Il viserait avant tout à encourager l’habitat innovant, nous dit-on au cabinet de Céline Frémault, la ministre bruxelloise en charge du logement. Pour Nicolas Bernard, son rôle devrait être de «répercuter la jurisprudence de la Cour de cassation ce qui donnerait du poids aux demandes adressées aux CPAS par exemple». L’idée serait de reconnaître d’office un habitant d’un logement labellisé comme «isolé» si celui-ci est chômeur ou bénéficiaire du RIS. Une belle idée qui se heurte à un obstacle majeur: les Régions ne sont pas en capacité d’imposer quoi que ce soit aux CPAS, à l’Onem ou à toute autre administration fédérale, qui pourraient ne pas reconnaître ce label. Une des solutions pourrait résider dans l’adoption d’un accord de coopération entre les différents niveaux de pouvoir.

En savoir plus

Alter Échos (web), «Alaluf vs. Defeyt: l’allocation universelle, progrès ou régression sociale?», Manon Legrand, 11 septembre 2015.

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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