Bien des associations oeuvrent pour plus de mixité culturelle. Une cohabitation harmonieuse entre communautés n’est-elle qu’une naïve utopie ? Comment gérer les conflits dans les différents groupes et ateliers ? La cohésion sociale ne se fait pas en ignorant une réalité souvent compliquée et en pleine évolution.
Prôner un maximum d’échanges entre les communautés au sein de projets porteurs, artistiques, sportifs ou autres, est au centre des préoccupations de bon nombre d’associations d’éducation permanente et de cohésion sociale. Mais la cohabitation interculturelle ne se vit pas sans heurts par la simple bonne volonté des formateurs comme des participants. Des formateurs qui ne peuvent rien laisser au hasard, et surtout pas à l’improvisation.
L’asbl Tremplins[x]1[/x] s’adresse aux jeunes de 12 à 21 ans, de tous horizons, désireux de participer à des projets artistiques dont le fameux festival Bruxelles Babel. Elle brasse de nombreuses communautés pour « n’en former qu’une seule, celle de citoyens à part entière ». Medhi Beduin, coordinateur de projet : « Le festival a beaucoup évolué en 30 ans. Il y a eu un risque, à un certain moment, que le projet ne devienne plus que celui d’une branche communautaire bien précise, à l’encontre justement de notre mission interculturelle. Une reprise s’est opérée il y a un an et nous connaissons enfin un retour à un festival ouvert sur les autres avec un thème cette année « Tous les rêves ». Un thème essentiel à l’adolescence. Rêver son avenir c’est se donner la chance de l’écrire plus tard. »
Le manque de diversité crée aussi des tensions
Comment percevoir l’autre ? Se projeter ? « Des ateliers du nord de Bruxelles préparent un spectacle où les participants se projettent dans des jeunes de Woluwe-Saint-Lambert, d’un tout autre milieu que le leur. Mais la même démarche est vécue aux Ateliers du Temps Libre à Woluwe ! Les rêves ne sont pas les mêmes pour tous, c’est intéressant qu’ils les partagent. Aujourd’hui, nous brassons de nombreuses cultures et nous comptons aller vers une plus grande mixité, notamment la communauté néerlandophone ou des personnes à mobilité réduite. La mixité réside aussi en cela. Notre projet représente vraiment un outil culturel important pour tous ces jeunes. Optimiste ? Je le suis carrément ! »
Nacer-Eddine Nafti, directeur de Tremplins, ajoute son point-de-vue : « On pourrait croire que les tensions surgissent de par une trop grande mixité. Au contraire, elles sont nées lorsque le festival pêchait d’un manque de diversité : les mêmes quartiers, les mêmes populations qui se retrouvent entre elles. Où est l’intérêt ? Bruxelles est sans doute la ville la plus cosmopolite d’Europe, à nous de nous nourrir de cette réalité. Une de nos recettes pour que tout se passe au mieux ? Mettre devant ces jeunes des intervenants de qualité pour qu’ils se sentent respectés et reconnus et faire montre de souplesse. »
L’asbl Avenir[x]2[/x] à Saint-Josse propose plusieurs formations et ateliers dont des échanges interculturels et intergénérationnels. Laïla El Bied, responsable : « Nous observons de véritables chocs de culture entre des Hispanophones, des Maghrébins, des Turcs, des Arméniens. Nous avons aussi des gens issus d’Amérique Latine, beaucoup d’Equatoriens. La religion se retrouve souvent au centre des conversations, mais le respect prime la plupart du temps. Les propos sont rarement malveillants. »
Ne pas juger mais éduquer
Alexandre Ansay est coordinateur au Cracs, Centre régional d’appui en cohésion sociale, émanant du CBAI[x]3[/x]. Pas de doute, la gestion de conflits est une réalité dont il faut impérativement prendre compte dans la formation des intervenants. « L’interculturalité n’est pas un vœu naïf où, systématiquement, le mélange serait idyllique, mais répond à des recherches bien précises permettant de faire face à certaines situations de conflit où intervient la dimension culturelle. Tous les conflits n’ont pas cette dimension, ils naissent aussi, le plus souvent, d’une situation sociale et d’une précarité. Nous proposons donc, au CBAI, des outils pour encadrer au mieux ces conflits. Il ne s’agit pas de les empêcher, mais de faire en sorte qu’ils se jouent de façon constructive. Il faut d’abord définir le problème (est-ce lié à la culture, aux traditions de l’intervenant ou à sa situation sociale ?). Ensuite, prendre conscience de ses propres valeurs pour éviter de juger de façon trop radicale le participant qu’on a en face de soi. En effet, il ne s’agit pas de juger mais d’éduquer, d’expliquer comment les choses se passent ici. On ne s’improvise pas intervenant social, il faut acquérir des compétences, notamment quand on travaille avec des immigrants. L’afflux des primo-arrivants sur Bruxelles est permanent depuis 1995. Certains intervenants sociaux se sentent débordés, dépassés face à une population de plus en plus multiculturelle. C’est donc un très bon signe quand ils expriment le besoin d’être formé à cette approche interculturelle. »
[e]Ne pas commettre d’impairs
Lisa Dumont, coordinatrice à l’asbl Avenir a appris à gérer les conflits qui peuvent surgir. « Nous travaillons avec le CBAI pour avoir parmi nous des stagiaires formés en échanges culturels et nous développons alors les notions de partage et de découverte de l’autre. Certaines communautés, en conflit dans leurs pays, peuvent ici se parler. De temps en temps, le ton monte, le sujet qui fâche étant majoritairement la religion. Parfois, les situations dégénèrent, on en vient presque aux mains, même entre femmes ! En tant qu’animateurs, nous devons nous former à la gestion de conflits pour arriver à temporiser. Nous n’hésitons pas à parler de nos propres différences : « Moi aussi j’ai une autre religion que la vôtre et pourtant je vous parle. » Il faut venir avec des explications simples pour que tout le monde puisse se rasseoir autour de la table. De quoi débloquer quelques épisodes assez chauds. Nous suivons régulièrement l’un ou l’autre séminaire sur la gestion de groupe et de conflits. Avec la pratique, vous apprenez à repérer les solutions qui marchent.
Nous avons, une fois par mois, des petits-déjeuners autour de thèmes très divers. Là les gens communiquent vraiment, s’écoutent entre communautés. L’intergénérationnel comporte aussi ses richesses et ses frictions. Des grand-mères se retrouvent face à des jeunes et réprouvent certains comportements qu’elles jugent inappropriés. « On ne crache pas en rue », « Fumer ce n’est pas bien », « On ne décroche pas son portable pendant les cours »… Elles n’hésitent pas à leur faire des remarques. Ces jeunes se soumettent le plus souvent à l’autorité du plus âgé, parfois plus que lorsque la remarque vient de nous. Il est primordial de connaître les cultures, les us et coutumes des communautés afin de ne pas commettre d’impairs. A nous de nous informer, d’échanger pour les comprendre au mieux. Mais comprendre ce n’est pas tout accepter, il y a des choses qui ne se font pas et qui ne se disent pas. Il faut à la fois se montrer à l’écoute et rester ferme. » [/e]
[e]Nouvelles migrations : la langue fait toute la différence
Les flux migratoires ont évolué ces dernières années et les nouveaux arrivants n’ont pas tous les mêmes facilités pour s’adapter. Question d’origine, de communauté et de langue. Corinne Torrekens, chercheuse au Germe4 (Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Egalité à l’ULB) a observé ces tendances évidentes. « Les nouvelles migrations actuelles sont principalement issues de l’Afrique subsaharienne, d’Afghanistan et du Pakistan. Le critère linguistique joue énormément dans la facilité d’adaptation, même si c’est compliqué pour tout le monde. Les réseaux communautaires de solidarité fonctionnent assez bien, notamment pour l’émigration de l’Est avec un réseau polonais, roumain… les communautés subsahariennes via, surtout, le réseau des églises évangéliques, comme les musulmanes via les mosquées. Cela crée d’ailleurs des tensions entre ces deux flux migratoires, notamment pour l’obtention de locaux ou l’occupation d’espaces publics, lors de prières par exemple.
Il faut réaliser que beaucoup de ces populations nouvellement immigrées sont transitoires, en attente de permis de séjour, ce qui ne facilite pas l’intégration et la cohabitation, pour les adultes comme pour les enfants. Il existe une migration bien particulière, celle des Roms. Il existe très peu de réseaux de solidarité pour les accueillir, ils se retrouvent souvent sans abri et obligés d’occuper certains locaux, comme c’est toujours le cas à l’ULB. Comme ils se disent victimes de discrimination en Roumanie ou en Slovaquie, ils ne s’intègrent pas ou peu dans les associations existantes. Mais ils sont également victimes de préjugés ici et plus généralement en Europe. Or ils sont citoyens européens et ont le droit de circuler librement. N’étant pas considérés comme réfugiés, et ne trouvant pas de travail, ce phénomène s’avère très compliqué. Un phénomène qui ne se posait pas à Bruxelles il y a quelques années mais qui aujourd’hui a pris de l’ampleur. Là est la grande question migratoire de demain : que faire de cette population rom ? Il y a le risque de créer une sous-citoyenneté européenne.
Pour ce qui est de l’Amérique latine, on assiste également à une autre réalité migratoire, notamment brésilienne. L’ancienne migration portugaise, complètement intégrée à Bruxelles, favorise le développement d’une solidarité mais leur statut n’est pas plus facilité. »
Entre ancienne et nouvelle diaspora
Carmen Draghici dirige l’asbl ARTHIs[x]5[/x], la Maison Culturelle Belgo-Roumaine qui aide, notamment, les personnes arrivant des pays de l’Est. « L’idée de base de notre maison, en plein cœur de Bruxelles, était de prôner l’intégration via notre culture. Mais nous nous sommes vite rendu compte qu’il y avait une forte demande d’aide sociale et éducative passant par des cours de français et d’alphabétisation. Les nouveaux arrivants n’ont plus rien à voir avec l’ancienne diaspora très attachée à sa culture, il s’agit de Roumains mais aussi de personnes issues de l’ex-Bloc soviétique et ne connaissant que l’alphabet cyrillique et non latin. Nous accueillons aussi des gens originaires d’Ukraine, de Moldavie ou de Bulgarie. En 2006, la Roumanie et la Bulgarie se préparaient à leur entrée dans l’Union européenne. Un nouveau statut a permis à de nombreux ressortissants de venir travailler en Belgique en temps qu’indépendants. Et notre mission a été d’aider tous ces gens à régulariser leur situation. Aujourd’hui, nous assistons à un accroissement de migrants arrivant de pays en situation de conflit ou difficile comme l’Afghanistan ou l’Arménie. » [/e]
1. Tremplins :
– adresse : rue du Meiboom, 14 à 1000 Bruxelles
– site : http://www.bruxellesbabel.be
2. Avenir :
– adresse : rue du Moulin, 150 à 1210 Saint-Josse
– site : http://www.asbl-avenir.net
3. CBAI, Centre Bruxellois d’Action Interculturelle :
– adresse : av. de Stalingrad, 24 à 1000 Bruxelles
– site : http://www.cbai.be
4. Le Germe, ULB, Institut de Sociologie :
– adresse : av. F.D. Roosevelt, C.P. 124 à 1050 Bruxelles
– site : http://www.ulb.ac.be/socio/germe
5. Arthis, la Maison culturelle Belgo-Roumaine :
– adresse : rue de Flandre, 33 à 1000 Bruxelles
– site : http://www.arthis.org