Dans le couloir, la machine à laver tourne à plein régime. Un grand panier de linge propre trône à côté de la douche brinquebalanterécupérée sur les encombrants. Il est presque midi et des odeurs alléchantes s’échappent de la cuisine où Claire, une habitante du quartier,s’affaire aux fourneaux. Le petit local de la rue des Bruyères, à Louvain-la-Neuve commence à s’animer. Sans-abri ou bénévoles, tout le monde se fait labise et s’interpelle par son prénom.
Plus qu’un endroit où l’on vient chercher des vêtements chauds et boire une tasse de café, Utuc1 est avant tout un espace de rencontres.« Utuc, c’est comme une petite famille. Avec aussi ses disputes entre frères et sœurs, comme dans toutes les familles », commente Evelyne Louveaux, cofondatrice duprojet. « Exact, on est une petite famille ! Ce n’est pas que je n’ai pas eu de famille, dit Serge, mais j’ai manqué de famille. Vous comprenez ? » A sasortie de prison, Serge a connu une période difficile à la rue. Aujourd’hui, il fait partie des rares habitués à avoir trouvé un logement. Ce qui nel’empêche pas de venir tous les jours. Dimitri, étudiant en finance, a disposé un thermos et des biscuits sur la table. Président de l’asbl, il vientrégulièrement donner un coup de main. « A priori, les sans-abri, ça fait un peu peur. Mais ici, j’ai appris à dépasser ces préjugés. Il ya une très bonne ambiance. Parfois, je préfère venir boire un café ici plutôt que d’aller aux cours », avoue-t-il avec un large sourire.Jérôme, étudiant en socio, renchérit : « Je n’aime pas l’idée de juste donner de l’argent en rue. Ce que je cherche, c’est descontacts. Mais dans la rue, ce n’est pas facile de créer du lien. »
Y a des hauts hauts et des bas bas…
Malgré ses airs de ville bourgeoise du Brabant wallon, Louvain-la-Neuve voit de plus en plus de sans-abri errer dans ses rues. « La cité semble exercer un certain attrait. Lesétudiants sont gentils, il y a des sanitaires dans les amphithéâtres », observe Evelyne Louveaux. Voilà qui, on le devine, ne ravit pas les commerçants du cru.En 2008, le conseil communal s’empare de la question. On parle d’interdire la mendicité. Pour Evelyne, il faut gérer le problème, non l’éviter. Avec unpetit groupe d’étudiants et de sans-abri, cette habitante engagée propose de créer un centre de jour.
Martin se souvient de ces premières réunions. « J’ai passé de longues années à la rue et ça me faisait mal de voir les vieux de la veille quisont de plus en plus en mauvaise santé », explique-t-il. A l’origine, son projet était de créer un abri de nuit mais la ville n’en a pas voulu.
– « Moi, je connais un abri de nuit. C’est chez moi ! », plaisante Serge, qui écoute notre conversation
– « Et le proprio ? », s’inquiète Evelyne.
– « Je ne peux quand même pas laisser les potes à la rue ! », rétorque Serge.
Si quelques habitués d’Utuc parviennent à retrouver un toit, voire un boulot, le risque de tout perdre n’est jamais loin. « Parfois, il y a un gars qui s’ensort, mais c’est rare. Et ce n’est jamais gagné », commente Evelyne. Comme pour confirmer ses dires, c’est à ce moment-là que Bruce fait irruption dans lapièce. Le jeune homme a l’air abattu. Cela fait plusieurs semaines qu’il visite des logements. Evelyne l’a accompagné à l’agence immobilière quigère les kots à Louvain-la-Neuve. Bruce imaginait déjà sa pendaison de crémaillère, mais à la dernière minute l’agence a sorti une clausedu règlement précisant que les logements pour étudiants ne peuvent servir que de lieu de résidence secondaire, rendant l’accès impossible pour quelqu’unqui n’a pas de parents chez qui se domicilier officiellement. « Il espérait récupérer la garde de sa fille. Il avait arrêté de boire et maintenant, celafait trois jours qu’il a repris la bouteille » se désole Evelyne, qui a engagé un avocat à ses frais pour défendre ce dossier.
Malgré la bonne humeur dont elle semble ne jamais se défaire, on sent poindre une note de découragement. Evelyne a beau insister sur le fait qu’elle n’est que la« co- » fondatrice, elle porte en grande partie le projet sur ses épaules. L’UCL fournit les locaux, le CPAS paie les charges et envoie deux travailleurs deux demi-jours parsemaine. C’est à peu près le seul soutien extérieur. « Il faudrait au moins un salarié pour faire tourner le projet. Mais toutes mes demandes restent sansréponse pour le moment. Je me suis donné cinq ans pour réussir. J’avais 65 ans. Aujourd’hui j’en ai 68. Je suis arrivée à la moitié de monmandat. »
1. Utuc :
– adresse : rue des Bruyères, 12 à 1348 Louvain-la-Neuve
– tél. : 010 45 63 60
– courriel : elouveaux@skynet.be