Le 23 mai dernier, la commune bruxelloise d’Anderlecht a vécu un déferlement de violence opposant groupes de jeunes, supporters de foot et forces de l’ordre.Rivalités entre bandes, logique de territoire, xénophobie… Quelques rumeurs ont suffi à mettre le feu aux poudres.
L’histoire débute par un fait divers, des rumeurs à caractère xénophobe et des appels à la haine. D’un côté, des adultes, supporters defoot criant « vengeance » contre « les criminels d’origine étrangère » ; de l’autre, des jeunes – parfois à peine adolescents –appelant à en découdre avec « les skinheads » ou « les Flamands » qui auraient « agressé des mamans marocaines ». Le tout circulant àune vitesse incontrôlable via des blogs sur Internet et des sms : en quelques jours, la confrontation s’organise, les uns et les autres se donnent rendez-vous dans le quartierSaint-Guidon d’Anderlecht pour une baston générale. La police s’interpose et prend les coups. Les jeunes, à défaut de frapper « l’adversaire», saccagent ce qu’ils trouvent sur leur passage, mobilier urbain, voitures, vitrines. Violences urbaines ? Phénomène de bandes ? Émeutes racistes ? Difficile derendre compte des événements et de les définir très clairement tant ils semblent surprendre tout le monde.
« Il est très compliqué d’interpréter ce qui s’est passé. Contrairement aux émeutes de banlieue qui ont secoué la France où lesjeunes s’opposaient à l’État, ici nous avons vu s’affronter deux bandes qui se définissaient elles-mêmes selon des critères ethniques »,relate Laurent Licata, professeur-assistant en psychologie sociale et interculturelle (ULB)1. « C’est un phénomène assez nouveau, cette « guerre de clans ». Noussommes face à deux groupes qui ont cependant un point commun, c’est d’être en défaut de reconnaissance. Ils peinent à trouver leur place dans lasociété, à se valoriser dans le jeu social. Dans de telles conditions, il y a une tendance à l’ethnicisation du territoire et donc à rechercher la mainmisesur les quartiers. En s’imposant dans les quartiers, ils trouvent une reconnaissance qu’ils n’ont pas ailleurs. » Préserver son influence sur des portions de territoireprend alors une importance démesurée.
Si les médias ont beaucoup parlé de « jeunes belges d’origine immigrée », il ne faut pas oublier qu’il y avait un autre groupe, en face. Ce qui laisseLaurent Licata dubitatif : « Je m’interroge sur leurs motivations : comment se fait-il que des adultes se mettent au niveau des adolescents pour entrer dans ce jeu de confrontation ? Quecherchaient-ils à prouver ? » Une question essentielle à envisager avant de se poser celle des mesures préventives pour éviter que le phénomène ne sereproduise…
« Les jeunes sont tristes »
Du côté des travailleurs de terrain, la perplexité est également de mise. Nombreux refusent de s’exprimer, fustigeant à demi-mot une stigmatisationmédiatique. « Nous n’avons rien à dire à ce sujet. Notre action se concentre dans un autre quartier d’Anderlecht, à la Roue. Là, nous avonstravaillé sur les espaces publics, les aménagements, afin de permettre aux gens de se rencontrer et ça se passe bien. Mais on peut développer tout ce que l’on veut,si les problèmes liés au pouvoir d’achat, aux formations ou à l’emploi, ne sont pas résolus, cela crée un terreau favorable à la frustration età la violence. Des problématiques globales qui dépassent le cadre de notre travail en tant qu’AMO », réplique Francis Mairesse, de l’AMOSésame2.
Dans une l’école de devoir, Casi-Uo3, située sur la « ligne de front » des émeutiers, les éducateurs ont longuement discuté desévènements avec les adolescents : « Certains nous ont avoué avoir été fascinés par ce qui se passait, ils voulaient aller voir en direct plutôtque de regarder les images à la télévision. Finalement, c’est plus le phénomène médiatique qui les intéressait, et absolument pas les causesintrinsèques de la violence. Les parents étaient très inquiets, en revanche », souligne Theresa Butrea, directrice de Casi-Uo. À l’AMO TCC AccueilSaint-Guidon4, les jeunes ont plutôt fait part de leur tristesse. « Ils ne veulent pas que l’on garde cette image négative de leur quartier. D’ailleurs, unsur cinq seulement était d’Anderlecht, les autres sont venus des autres communes et même d’en dehors de Bruxelles. Pourquoi ne parle-t-on jamais de ce qui se fait de positifdans ces quartiers ? » Une semaine avant la fameuse soirée, les jeunes avaient organisé un petit festival de rock, « Why not » qui avait réuni une centaine dejeunes dans une ambiance bon enfant. Une initiative qui aurait certainement donné des images moins spectaculaires que des vitrines volant en éclats…
Événements spectaculaires certes, mais selon Laurent Licata, il n’y a pas vraiment lieu de dramatiser. « Finalement, quand on regarde en arrière, on constate quenous ne sommes pas confrontés à ce type de violence très souvent. Cela signifie que les mécanismes de prévention et d’intégration fonctionnent. Et ilfaut sans doute les renforcer encore car l’insatisfaction va croissant. » Un autre aspect semble pourtant l’inquiéter : la possibilité de mobilisation rapideamenée par les nouveaux moyens de communication. Alors que dans l’absolu, les mécanismes de concertation sont coûteux et prennent du temps, là, les jeunes se sontretrouvés avant même d’en avoir vraiment discuté formellement. Cette efficacité redoutable dans l’organisation, cette réactivité, laisse craindredes récidives.
1. Laurent Licata participera à la conférence-débat sur le thème de la reconnaissance des minorités culturelles, dans le cadre du cycle « Dialoguesinterculturels 2008 » organisé par le CBAI. Avec Didier de Laveleye (directeur du Mrax), Patrick Hullebroeck (directeur de la Ligue de l’enseignement et de l’éducationpermanente).
Le mardi 17 juin 2008 de 19h30 à 22h à la Maison du Livre, rue de Rome, 28 à 1060 Bruxelles.
Entrée gratuite mais réservation obligatoire au 02 289 70 54
– courriel : pina.manzella@cbai.be
2. Sésame :
– adresse : rue de la Sympathie, 1 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 520 23 81
3. Centre d’action s
ociale italien – Université ouvrière (Casi-Uo) :
– adresse : rue Saint-Guidon, 94 à 1070 Anderlecht
– tél. : 02 521 21 25 4-site : www.casi-uo.net
4. TCC Accueil :
– adresse : rue Saint-Guidon, 19 à 1070 Anderlecht
– tél. : 02 521 18 30
– courriel : tcc.accueil@swing.be