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"Comment le revenu d'intégration sera-t-il mis en oeuvre ? Premières indications et premiers débats"

27-05-2002 Alter Échos n° 121

La loi qui transforme le minimex en revenu d’intégration est définitivement adoptée. Le Sénat n’ayant pas fait usage de son droit d’évocation,elle doit incessamment être promulguée au Moniteur. En attendant, les arrêtés d’exécution entrent en négociation avec les fédérations deCPAS, ainsi qu’en intercabinets au sein du gouvernement fédéral : tout devrait aller vite pour que la loi prenne effet en octobre. C’est le moment que les juristes du Centredroits fondamentaux et lien social des Facultés de Namur ont choisi pour tenir une journée d’étude qui compare l’ancienne et la nouvelle loi, et qui ouvre ledébat sur la manière de l’appliquer.
1. Préparation des arrêtés
À la mi-mai, le ministre Vande Lanotte1 a transmis aux associations partenaires du Rapport général sur la pauvreté une note d’intention sur les objectifs desarrêtés d’exécution de la loi sur le revenu d’intégration. Il y aborde neuf points, mais qui ne balayent qu’une partie des questions que la loi confie augouvernement (quid des enquêtes sociales ? du contenu des contrats ? etc.).
Information
Une brochure d’information sur la nouvelle loi sera rédigée avec les associations partenaires. Les CPAS la distribueront à leurs usagers.
Des règles précises seront aussi fixées, comme l’obligation pour le CPAS d’informer individuellement et par écrit sur certaines voies de recours (droitd’être entendu par le Conseil de l’aide sociale) et sur le contenu des motivations de ses décisions (justifier le montant octroyé).
Démocratie locale
Immunisation, dans le calcul des ressources, des jetons de présence des allocataires conseillers communaux et conseillers de l’aide sociale.
Rôle préventif
Le CPAS reçoit mandat d’aller chercher toutes les informations nécessaires auprès des différents organismes de la sécurité sociale. Dans l’autresens, il doit informer l’administration des pensions quand un allocataire approche des conditions de la Grapa ou du RGPA (personnes âgées). Le CPAS informe aussipréalablement les débiteurs d’aliments auprès desquels il s’apprête à récupérer des sommes, de façon que ceux-ci puissent fairevaloir leurs droits si nécessaire.
Égalité de traitement
La révision des catégories de situations familiales des allocataires a nécessité une réécriture de toutes les règles de calcul du montant desallocations. La possibilité de ne pas tenir compte complètement des revenus du cohabitant est définie. La définition du ménage de fait comprendra aussi leshomosexuels. Les modes de calcul du niveau d’allocation des étudiants sont précisées, ainsi que les modalités minimales des contrats à passer avec eux.
Contrat d’intégration
«La loi n’envisage plus le contrat d’intégration comme un mode de preuve de la disposition au travail, mais comme un moyen d’aider la personne à réaliserprogressivement son intégration sociale.» L’arrêté confirme donc le rôle actif du demandeur, le caractère réciproque des engagements, et lanécessité de concevoir des étapes successives dans les contrats.
Les frais d’inscription ou autres liés à une formation professionnelle seront à la charge du CPAS.
Solidarité de proximité
Les aides en nature ne sont plus prises en compte dans le calcul des revenus. Ainsi, le sans-abri hébergé en maison d’accueil ne court plus le risque de voir son allocationdiminuée. «Seules les situations où il y a un avantage assimilé à un revenu régulier sont encore prises en considération.»
Règles de calcul des ressources
ýe nombreux points sont modifiés. Immunisation de 1,5 million de francs du produit de la vente d’un bien immobilier, et de 200.000 francs en biens mobiliers (soutien de la petiteépargne). Immunisation des pensions alimentaires au bénéfice d’enfants majeurs et des revenus résultant d’une assurance-dépendance. Immunisationpartielle des bourses d’études et des salaires de jobs étudiants.
Harmonisation des règles de récupération
Les débiteurs d’aliments sont définis limitativement. Un barème unique de récupération est institué, etc.
Amélioration de l’accueil
La totalité des subventions fédérales en personnel doit être affectée au personnel d’accueil et au personnel des services sociaux.
2. L’intégration sociale : les contours d’un nouveau droit
Le 17 mai, les chercheurs du Centre droits fondamentaux et lien social de la Faculté de droit des FUNDP2 organisaient un colloque sur le revenu d’intégration et sa mise enœuvre, à l’attention des professionnels des CPAS et de l’insertion en général.
La matinée était consacrée à une comparaison entre l’ancien et le nouveau texte. Martine van Ruymbeke et Olivier Moreno y sont allés article par article,mettant à profit leur connaissance approfondie de la jurisprudence en la matière et leur analyse des travaux préparatoires de la nouvelle loi.
Les différentes contributions de la journée étant sur le point d’être publiées (par les éditions La Charte), nous n’en retiendrons ici quequelques commentaires relatifs aux trois manières dont la loi décline le droit à l’intégration sociale : son énoncé général, le droitpour les moins de 25 ans, et le droit pour les 25 ans et plus (chapitres 1 et 2 de le loi).
Définition générale
Lour Martine van Ruymbeke, l’intégration sociale peut prendre cinq formes :
> un emploi
> un emploi + un revenu d’intégration,
> un revenu d’intégration,
> un revenu d’intégration + un contrat d’intégration,
> un revenu d’intégration + un contrat d’intégration + un emploi.
Le contrat sans revenu d’intégration est impossible, ce qui élimine les autres combinaisons. C’est le CPAS qui choisit la formule la plus adéquate en fonction de lasituation de chaque demandeur. Des voies de recours sont prévues, mais, s’interroge la juriste, la question se pose de savoir si les juridictions pourront effectuer un contrôled’opportunité de ces choix, et donc demander une modification des choix effectués. Cette question du rôle des tribunaux a traversé tout le colloque : pour leschercheurs, la manière dont la loi est formulée et sa logique donnent de droit aux tribunaux une compétence de contrôle qui va au-delà de la légalitédes décisions des CPAS.
Une ambiguïté symétrique est contenue dans l’obligation que le CPAS a de réaliser ce droit : obligation de résultat ou obligation de moyen ? La volontépolitique a été de formuler une obligation de résult
at. De nouveau, le rôle des tribunaux et le contenu des recours va fortement évoluer. En particulier, dans lescas où le demandeur marque son désaccord sur le contenu du contrat d’intégration.
Autre situation où les juristes notent de fortes indéterminations : la condition de disposition à travailler qu’il est nécessaire de remplir pour demander le droità l’intégration. Si le contrat ne peut plus servir de preuve de cette disposition, d’après l’exposé des motifs, la charge de la preuve incombe aux deuxparties. Le centre ne peut plus attendre passivement que le demandeur amène la preuve. Mais que doit-il mettre en œuvre ?
Le droit à l’intégration par l’emploi : pour les moins de 25 ans
«Le principe n’est plus de donner une aide, mais d’outiller la personne pour qu’elle puisse s’aider elle-même. L’outil privilégié estl’emploi, finalité obligatoire de tous les contrats d’intégration», commente Olivier Moreno.
L’emploi doit être «adapté» et non «convenable». Au-delà d’un renforcement de l’individualisation de l’aide, le choix de ce termene semble pas justifié à Olivier Moreno. «La seule raison invoquée est l’adaptation à la situation familiale de la personne, mais le CPAS dispose du coupd’un pouvoir souverain d’appréciation.» Il ajoute que tant qu’un emploi adapté n’est pas atteint, le droit à l’intégration sociale estdû par le CPAS. Ce qui n’est pas nécessairement le cas pour les 25 ans et plus (sauf si le CPAS le décide). «Le droit à l’intégration sociale estdonc plus fort pour les moins de 25 ans.»
Il note aussi que le texte inclut explicitement dans la notion d’emploi adapté les emplois sous contrat «article 60§7» et «article 61», qui durent tantqu’ils ne donnent pas droit à une autre allocation sociale au moins aussi élevée que le revenu d’intégration. «Hypocrisie», dénonce OliverMoreno, alors qu’on donne l’emploi comme finalité centrale de l’intégration, c’est ici l’allocation de chômage qu’on retrouve en aval.
Autre marge importante pour le pouvoir d’appréciation du CPAS, le contenu des contrats d’intégration. Il doit être proportionnel aux avantages octroyés. Il peutconsister en autre chose que de l’insertion professionnelle. D’après les travaux préparatoires, pour les étudiants, pour qui un contrat est toujours obligatoires’ils veulent entamer ou continuer des études, le CPAS peut négocier le choix des études.
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Radioscopie des services d’insertion des CPAS
La fédération des CPAS wallons3 vient de rendre public un document de travail qui donne une première description quantitative des moyens mis par les CPAS en matièred’insertion. Sur base de la récolte des données de 222 CPAS (taille de la commune, nombre d’allocataires, existence d’un service d’insertion, budget du CPAS,personnel et localisation du service, existence de partenariats, utilisation des mesures d’emploi, etc.), les données sont commentées, et des premiers indicateurs sontproposées.4 Certes, il n’y a pas à ce stade moyen d’expliquer les différences, et encore moins de faire une évaluation des actions d’insertion des CPAS,mais le document permettra à chaque CPAS de se situer par rapport aux autres. En effet, la principale conclusion du rapport est, sans surprise, «l’extrêmedisparité» dans la manière dont les CPAS s’organisent.
L’UVCW entend reproduire et perfectionner cette radioscopie tous les ans.
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Pour les 25 ans et plus
ûTant que le CPAS ou la personne ne le demande pas, explique Martine van Ruymbeke, et tant qu’elle n’a pas retrouvé d’emploi, cette dernière peutbénéficier de son revenu d’intégration sans être obligée d’entrer dans les liens d’un contrat. Il n’y a plus de priorité entre revenuet emploi. De plus, jusqu’ici, pour les plus de 25 ans, le contrat est le mode de preuve privilégié de la disposition au travail. La nouvelle loi va plus loin : si le CPAS ledécide, le contrat devient une condition supplémentaire au revenu d’intégration, et donc se substitue à la disposition à travailler.»
3. Le droit à l’intégration et la logique du droit
L’après-midi de ce colloque a permis à plusieurs praticiens (inspection, CPAS, juristes) de donner leur avis sur la nouvelle loi et sur les changements qu’elle va apporter.C’est sans conteste l’intervention de Jean-François Funck, juge au tribunal du travail de Nivelles, qui a été la plus remarquée. Il répond aux questionsdes chercheurs sur les marges d’appréciation accrues laissées à l’autonomie des CPAS : les tribunaux vont devoir intervenir avec plus d’ingérence dansles décisions… au risque de jouer les «super -ssistants sociaux».
Le public des CPAS a ceci de particulier qu’il demande des droits, et pas spécialement qu’on lui fasse justice, explique le magistrat. Le juridique n’est qu’une facettedes problèmes sociaux à résoudre. La nouvelle loi vient consacrer cette réalité : définir le droit à l’intégration comme droit subjectif,cela veut dire que la prestation qu’il contient peut être obtenue devant un juge. Le juge contribue donc au contenu du droit, que ce soit par un contrôle de lalégalité ou de l’opportunité des décisions des CPAS.
Jean-François Funck anticipe les deux situations types qui se présenteront. D’abord celle du recours fondé sur un argument du type «Le CPAS n’a pas mis tout enœuvre pour…» Dans de tels cas, le tribunal devra apprécier les efforts du CPAS et leurs effets en termes de droits. Mais sur la base de quels critères ? Avec quellessanctions à la clé ? Imposer l’octroi du revenu d’intégration ? Ou des pénalités ?
Second cas de figure type – qui reviendra abondamment ensuite dans les questions de la salle aux intervenants –, celui du refus du demandeur face aux propositions du CPAS, ou du recourscontre des sanctions liées au non-respect du contrat. Le tribunal intervient pour que le droit à l’intégration et le droit à l’emploi ne contiennent pasn’importe quoi. En cas de «refus d’emploi», la loi ne dit rien sur les conséquences. Cela revient-il à une «non-disposition à travailler» ? Sioui, on n’a plus accès au droit à l’intégration. Et si non ?
En somme, la loi va amener les tribunaux à codifier l’action sociale des CPAS. «C’est tout nouveau. Jusqu’ici, notre intervention se limitait au droit au revenuminimum. On ne voit pas du tout dans quoi on embarque les usagers. Parce que le tribunal n’a pas les moyens de juger les CPAS sur la manière dont ils interviennent.» Etd’esp&eacut
e;rer que les magistrats vont s’autolimiter, et être modestes face au fait qu’ils ne savent pas résoudre des situations de détresse sociale.
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Le minimex fait-il reculer la pauvreté ?
Le 6 mai, l’Institut des sciences du travail de la KUL5 a présenté les résultats d’une recherche effectuée sur le revenu minimum entre 1993 et 1999 dans quatrepays européens (Belgique, Danemark, Royaume-Uni, Grèce).
On se félicite souvent en se disant que sans notre système de protection sociale, tel pourcentage – important! – de la population vivrait sous tel seuil de pauvreté.Or sur la période en question, de 10 à 30% de la population selon les pays a vu son revenu passer sous le niveau du revenu minimum garanti, et cela sans pour autant recevoir aucuneallocation sociale! En première ligne pour ce risque : les jeunes, les retraités, les personnes malades ou handicapées, les étrangers et les parents isolés.
Pour les chercheurs, les causes de ces écarts sont à trouver dans les conditions d’admission au revenu minimum, le niveau peu élevé du revenu minimum et des autresallocations sociales, les régimes de sanction et de suspension, et la complexité et le caractère stigmatisant des conditions de ressources dont est assorti le revenu minimum.
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1 Cab. : rue Royale 180 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 210 19 11, fax : 02 217 33 28.
2 Centre DFLS, Faculté de droit, rempart de la Vierge 5 à 5000 Namur, tél. : 081 72 47 93, fax : 081 72 52 00, e-mail : christiane.delvigne@fundp.ac.be; site Web : http://www.droit.fundp.ac.be/dfls
3 C/o UVCW, Ricardo Cherenti, tél. : 02 233 20 39. Le document est disponible en ligne sur http://www.uvcw.be/cpas
4 On regrettera l’absence de données sur l’utilisation des conventions d’intégration.
5 Hiva, KUL, Idès Nicaise, tél. : 016 32 33 33, fax : 016 32 33 44. Les rapport sont disponibles, seulement en néerlandais, sur le site Web http://www.kuleuven.ac.be/hiva/

Thomas Lemaigre

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