La Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes de Wallonie a sondé les CPAS sur la manière dont ils mettent en œuvre le nouveau droit àl’intégration sociale, entré en vigueur le 1er octobre 2002. Elle a réservé à Alter Échos la primeur des résultats de l’enquêtemenée en avril, puis des quatre » Carrefours » organisés avec les responsables et personnels des CPAS en mai et juin1. Nous profiterons aussi de cette actualité pourdécouvrir le recours introduit contre la loi par la Ligue des droits de l’homme.
Un refinancement? Pas cette fois-ci
La principale préoccupation des CPAS en cette période de transition est naturellement celle du poids financier que représente pour eux la réforme du minimex.
La réforme provoque ou arrive en même temps que trois types de nouveaux mécanismes financiers :
> des augmentations du revenu d’intégration sociale (RIS) : 4% depuis début 2002, plus une indexation de 2%, d’où nouveaux coûts puisque le CPAS financelui-même 35 à 50% du RIS, le reste étant remboursé par le fédéral;
> des taux majorés pour des nouvelles catégories d’allocataires : les étrangers inscrits au registre de la population, les isolés avec garde alternéedes enfants et les isolés redevables d’une pension alimentaire;
> des taux majorés liés aux contrats d’insertion : pour les étudiants, et pour les moins de 25 ans qui signent un contrat de travail article 60§7.
Les impacts financiers de la réforme, compte tenu des nouvelles recettes et des nouvelles dépenses, se présentent de façon différente selon la taille duCPAS.
> Dans les petits CPAS (communes de moins de 15.000 habitants), la réforme coûte en moyenne 192 euros supplémentaires par an et par bénéficiaire du RIS. Cesnouveaux coûts sont essentiellement dus aux augmentations de 4% et 2% du RIS. Les contrats d’intégration sont bien financés, et les nouvelles catégoriesreprésentent un nombre très limité de bénéficiaires.
> La situation est identique dans les CPAS des communes de 15.000 à 50.000 habitants, où les nouvelles charges représentent en moyenne 196 euros supplémentaires paran et par bénéficiaire du RIS.
> Dans les CPAS moyens (50.000 à 150.000 habitants), les taux de remboursement par le fédéral sont plus élevés, et les nouvelles catégories, enparticulier les étrangers, sont nettement plus représentées. Le coût moyen de la réforme tombe à 62 euros par an et par bénéficiaire. » Cesmontants concernant des CPAS qui octroient jusqu’à plusieurs centaines de RIS peuvent cependant représenter des mouvements significatifs dans les budgets des CPAS « ,précise Christophe Ernotte, directeur-général de la Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes de Wallonie et qui a coordonnél’enquête.
> Enfin, les deux grands CPAS (Charleroi et Liège), voient des rentrées plus importantes du fait des étudiants et des étrangers, mais des coûts eux aussi plusimportants vu leur fort investissement dans l’insertion socioprofessionnelle. L’impact de la réforme y représente un coût moyen de 45 euros par an et parbénéficiaire.
Conclusion de Christophe Ernotte : » Le ministre Vande Lanotte avait annoncé que la réforme représenterait des nouvelles recettes pour les CPAS, donc un refinancement. Onn’y est pas, en particulier pour les petits et moyens CPAS. La question critique, pour eux en particulier, est celle des taux de remboursement du RIS par le fédéral : ils doiventêtre augmentés. Mais la situation n’est pas catastrophique : deux tiers des CPAS se disent satisfaits du volet financier de la réforme. «
Les nouvelles règles de financement ont de plus permis des embauches supplémentaires, qui permettent de renforcer les services sociaux et administratifs (58% des CPAS), voire deréorganiser les services sociaux, ou même de créer des services spécifiques pour l’insertion socioprofessionnelle. Mais de nouveau, nombre de petits CPAS, vu lenombre limité de leurs bénéficiaires du RIS, n’atteignent pas des seuils de subvention qui leur permettent d’effectuer ces embauches, ne fût-cequ’à concurrence d’un mi-temps. » 64% n’ont pas pu engager! Nous demandons donc au fédéral, continue Christophe Ernotte, de financer à chaque CPAS unsocle forfaitaire d’un mi-temps pour tous les CPAS, ce qui serait plus équitable pour les CPAS ruraux. «
Pas de projet d’intégration minute
En matière d’insertion socioprofessionnelle, c’est la question du délai de trois mois pour élaborer un « Projet particulier d’intégration sociale »,traduit dans une convention, qui semble la plus difficile à gérer par les CPAS. Certes l’inspection du Ministère a jusqu’ici montré une grande souplesse,explique Christophe Ernotte, puisqu’il a fallu adopter cette approche pour tous les bénéficiaires de moins de 25 ans. Mais les démarches nécessaires pour entamer unparcours d’insertion finalisé sur l’emploi2, avec le public des CPAS, nécessitent un temps qui déborde l’exigence des trois mois : 66% des CPAS trouvent cedélai problématique. Les CPAS pointent donc le risque que le premier contrat signé soit purement formel, pour prendre le temps de revenir avec des avenants plus tard, àdes moments qui conviennent aux rythmes du bénéficiaire et du service social. Le recours aux modules de socialisation semble un moyen de faire face à cette contrainte de temps,note la Fédération. De plus, les CPAS ne voient pas comment combler le décalage entre la quantité de personnes peu qualifiées qu’ils doivent soutenir et leurréalité économique locale, qui offre peu de perspectives d’emploi. Ils sont demandeurs de partenariats et de clarifications de notions comme » emploi adapté « . « À quel moment estime-t-on qu’une insertion professionnelle est réussie? demande Christophe Ernotte. La loi ne le dit pas. Or, elle formule la mission des CPAS de façonstricte, comme une obligation de résultat. Nous craignons que la question soit tranchée par la jurisprudence plutôt que par le politique… «
Autre problème préoccupant pour les CPAS, le seuil de 25 ans : les efforts déployés en matière d’insertion par les CPAS sont mieux financés pour lesjeunes. Ils concentrent donc leurs efforts sur eux… au détriment des 25-30 ans, dont les problématiques par rapport à l’emploi ne sont pas fondamentalementdifférentes, explique la Fédération : peu d’expérience professionnelle et de motivation, problèmes sociaux, faible scolarité, etc. Résultat :59% des CPAS estiment non pertinente cette différence de traitement, et 56% l’appliquent.
Sinon, de façon générale, 80% des CPAS se disent satisfaits de la systématisation des projets individualisés d’intégration. Dans leurs commentaires,ils apparaissent tantôt comme un outil pédagogique, comme un moyen de clarifier les rapports avec les usagers, d’objectiver les devoirs et obligations respectifs, etc.
Les CPAS se plaignent aussi de pièges à l’emploi. Qu’ils soient financiers ou autres, ils touchent surtout les familles monoparentales, comme les ALE, le manque de placesd’accueil pour la petite enfance, l’insuffisance des défraiements offerts par les formations professionnelles. Le travail au noir est aussi évoqué.
Autres problématiques
Nous ne reprenons pas ici tous les sujets sur lesquels se sont prononcés les CPAS. Ajoutons quelques points aux problèmes déjà abordés (amélioration desrègles de remboursement et clarification des exigences en matière d’insertion), qui semblent les plus importantes aux yeux de la Fédération.
> La nouvelle loi provoque un surcroît de travail administratif et la Fédération propose certains allègements des exigences de contrôle.
> L’impact des nouvelles règles concernant les étudiants ne sera clair qu’après la prochaine rentrée académique.
> La question du rapport avec les débiteurs alimentaires reste confuse : quels barèmes de récupération ? Quand recourir à la médiation familiale etcomment ?
> La Fédération insiste sur l’importance d’appliquer la réglementation sur l’aide sociale (loi organique de 1976) sur celle sur le RIS.
> Notamment dans les Carrefours, les CPAS ont mis en avant leur crainte d’être évalués strictement sur les résultats en termes d’insertionprofessionnelle. Ils mettent en avant que les trois quarts de leur travail social de terrain n’est pas nécessairement lié à l’insertion, et que cette » partieimmergée » de leur action nécessite aussi des critères d’évaluation. Dans le même sens, il leur apparaît que la réalité du RIS ne peut plusêtre approchée en se contentant de données statiques. Il faut aussi parler en termes de flux. À nombre de bénéficiaires du RIS égal à telledate, la réalité concrète sera très différente selon que 10% ou 30% d’entre eux se renouvellent chaque année…
LDH : Recours en annulation contre le droit à l’intégration sociale
La Ligue des droits de l’homme3 avait été une des chevilles ouvrières de la plate-forme associative mobilisée contre la réforme du minimex. Au début del’année, elle a discrètement introduit devant la Cour d’arbitrage un recours en annulation contre la loi sur le Revenu d’intégration sociale.
La Ligue attaque la loi sur deux plans, qui correspondent aux deux grands motifs de recours recevables devant la Cour d’arbitrage tant qu’elle n’est pas une cour constitutionnelle à partentière.
Conflits de compétences et inégalités de traitement
> La loi sur le droit à l’intégration sociale est anticonstitutionnelle parce qu’elle ne respecte pas la répartition des compétences entre communauté etrégion. D’une part, l’aide sociale est une compétence communautaire, sauf pour ce qui concerne un nombre limité de matières énumérées par les lois deréforme institutionnelle, liste que dépasse la nouvelle loi. Ensuite, parce que la loi crée « un programme de remise au travail de demandeurs d’emploi inoccupés », quirelève des compétences propres des régions en matière d’emploi.
> La loi organise des inégalités de traitement. D’une part, elle crée un nouveau droit dont toute personne peut se prévaloir : « Toute personne a droit àl’intégration sociale. » D’autre part, elle définit des conditions d’accès à ce droit, traçant une frontière entre ceux à qui l’État lereconnaît et ceux à qui l’État le refuse. Cette limitation constitue en soi une discrimination. Plus particulièrement, les conditions en matière denationalité violent et la Constitution et différents traités internationaux. Autre discrimination anticonstitutionnelle, celle que la loi établit en organisant untraitement différent des plus et moins de 25 ans. De même, « les mots ’emploi adapté’ créent une discrimination entre le bénéficiaire du droit àl’intégration sociale et le bénéficiaire d’allocations de chômage » – on se souvient que l’utilisation des mots « emploi adapté » au lieu d’ »emploiconvenable » comme en droit du chômage – avait provoqué pas mal de remous politiques et avait été l’un des ressorts principaux de la tension entre le ministre VandeLanotte et les opposants à son projet.
> Enfin, la Ligue attaque l’article de la loi qui permet au CPAS de refuser l’octroi du revenu d’intégration sociale pour non-respect de la condition liée à la dispositionà l’emploi, qui constitue un renversement de priorité entre revenu minimum et souci d’insertion, dans le sens où ce dernier ne mène pas nécessairement lebénéficiaire à « une amélioration constante de ses conditions d’existence ». Plus précisément, le fait qu’un contrat d’intégration sociale puisseêtre obligatoire pour certains bénéficiaires du revenu d’intégration sociale, et pas pour d’autres, constitue une discrimination. « Non seulement un contrat obligatoire estun non-sens, mais en plus, argumente la Ligue, il institue une quantité non limitée de conditions supplémentaires à celles stipulées par la loi pourbénéficier du revenu d’intégration sociale.
La Ligue incrimine encore nombre d’autres discriminations, comme entre bénéficiaires correspondant à différentes situations familiales, etc. Elle demande l’annulationde l’ensemble de la loi et, subsidiairement, d’une petite dizaine de ses paragraphes.
Réaction des CPAS
Christophe Ernotte de la Fédération des CPAS de l’UVCW ne sent pas ce recours comme une menace. « Il y en a quelques autres du même genre qui sont pendants, maismême s’ils sont examinés sur le fond, je ne vois pas comment la Cour donnerait raison à la Ligue. » Et de revenir sur les rapports toujours tendus entre les CPAS et lesassociations mobilisées contre la réforme du minimex. « Il y a des attaques contre la loi qui sont nulles et non avenues. Par exemple, les contrats article 60§7 sontnécessairement, de par la loi organique, soumis à la loi de 1978 sur le travail qui définit ce qu’est un emploi convenable. » L’article 60§7 ne serait donc pas del’emploi de seconde zone, que la nouvelle loi ait introduit la notion d’ »emploi adapté » ou pas. « Et puis nombre des points qui ont suscité leur opposition étaient enfait déjà dans la loi depuis 1974 ou 1993. Pensez simplement à l’obligation pour les CPAS de signer des conventions d’intégration avec les moins de 25 ans. » Etde regretter que le dialogue n’ait toujours pas pu se nouer de façon plus constructive…
1. Rue d’Arlon, 53 (Bte 4) à 1040 Bruxelles, tél. : 02 233 20 89, fax : 02 230 21 84, e-mail : federation.cpas@uvcw.be, site Web : http://www.uvcw.be/cpas Contact : ChristopheErnotte. Les résultats de l’enquête seront publiés dans la revue CPAS+ du mois d’octobre. Les résultats se basent sur les réponses de 106 CPAS sur262.
2. Rappelons que les conventions d’intégration étaient déjà obligatoires depuis 1993 entre les CPAS et les jeunes de moins de 25 ans, mais que cette mesureétait très inégalement appliquée.
3. LDH, rue de l’Enseignement, 91 à 1000 Bruxelles, tél. : 02 209 62 80, fax : 02 209 63 80, contact : Dan Van Raemdonck.