Irène Balcers aime le terrain, croit au travail de proximité et pratique en permanence l’écoute des gens, collègues ou public. Une triple marque de fabriquequ’elle a développée et fait adopter tout au long de son parcours professionnel. Assistante sociale de formation, devenue commissaire de police, cette féministepragmatique, reconnue, ne craint pas le mélange des genres, elle le revendique. Pour elle, « le social fait partie des missions de police ». Celle qui coordonne aujourd’huiles bureaux d’aide aux victimes de la zone de police Uccle – Watermael-Boitsfort – Auderghem ne s’impose pas, elle obtient reconnaissance et respect à force depertinence.
Déjà de sa place au fond de la classe, celle que ses condisciples de 1ère primaire surnommaient avec peu d’aménité « Krouchtchev »,finit l’année avec la plus haute cote. Fin des brimades. La fille d’immigrés russes répond sur son terrain, pas sur celui de la peur ni del’intolérance.
Les parents Balcers, de condition modeste, auront cinq enfants. La mère, au foyer, fait aussi des ménages pour arrondir les fins de mois. Et incite ses enfants à entreprendredes études pour sortir de leur condition sociale.
Durant ses humanités, à Forest, une prof de français fait découvrir à Irène Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, « un livrerévélateur ». Dans la foulée, la révolution de Mai 68 imprègne l’adolescente, qui rêve alors de devenir avocate et de se consacrer à lacause des femmes. Son père, mineur de fond, qui voyait ses filles en secrétaires et son fils en ingénieur, décède alors qu’elle termine ses étudessecondaires, l’année suivante. Elle exaucera le vœu paternel durant deux ans, afin de subvenir aux besoins familiaux. Tant pis pour la carrière juridique, restel’engagement féministe. Qu’elle déclinera tout au long de son parcours professionnel et personnel.
En 1971, un long séjour au Brésil la met en contact pour la première fois avec la misère. Elle se promet d’y retourner avec, en poche, un diplôme qui luipermettra de travailler sur le terrain. Ce sera assistante sociale. Mais c’est la Belgique qui l’appellera la première.
Premières expériences
De mai 1976 à mai 1978, renseignée par une voisine employée au cabinet du bourgmestre, elle postule et se voit confier la coordination du service social de la communed’Uccle. Un intérim durant lequel elle développe une gestion de proximité, n’hésitant pas à accompagner les aides soignantes dans leurs visites auxpersonnes. Elle enchaîne, toujours à Uccle, en intégrant le service jeunesse de la police, où l’on retrouve généralement les rares femmespolicières à l’époque. Elle développe là une approche qui, sans renier la dimension répressive, la complète progressivement d’unevéritable mission sociale, en s’appuyant sur la loi de protection de la jeunesse de 1963. L’éclatement du modèle familial traditionnel s’accompagne d’unemultiplication des réponses aux problèmes des jeunes. Durant huit ans, Irène Balcers multipliera les contacts et les partenariats avec divers intervenants sociaux, au niveaulocal et au-delà.
Parallèlement à son métier, elle obtient le brevet de commissaire via le jury central. Elle est alors affectée au service de garde, où durant sept annéeselle sera la seule femme. Fidèle à son approche, elle continue à prendre le temps de l’écoute face aux situation difficiles, tant pour la population que pour sescollègues. Des dépôts de plaintes pour vol de portefeuille finissent en conseil sur les services d’aide financière. La déposition d’un jeune vagabondrecherché se termine par une séance d’information sur l’aide sociale. Tout un travail de relais et d’information aujourd’hui formalisé dans une directive,qu’elle a pu développer avec le soutien de sa hiérarchie.
« J’ai toujours considéré que les aspects humains, relationnels, sociaux font partie des missions de police. » Une identité hybride qu’elledéfend urbi et orbi. Face aux collègues policiers , qui préféreraient souvent s’en référer à une identité univoque, à leurfonction première : répressive. Face aux collègues de services sociaux, qui craignent pour le respect du secret professionnel. Toujours à l’intersection, elleconfronte ses partenaires et interlocuteurs à son credo, à sa pratique, et trace sa route. Après un détour de deux ans chez Interpol, la commissaire Balcers estrappelée à Uccle, d’abord pour deux ans au service de garde, ensuite pour quatre ans comme officier de quartier. Elle sensibilise les trois inspecteurs sous saresponsabilité aux questions sociales et se tient toujours disponible pour prendre le relais des cas auxquels ils ne peuvent faire face. Les premiers mois, son approche fait la risée deses collègues. Mais se sentant accompagnés et soutenus dans leur travail, ses inspecteurs finissent par prendre sa défense à la moindre allusion.
Un bureau d’aide aux victimes au commissariat
Surviennent, au milieu des années ’90, les événements autour de l’affaire Dutroux. « Le livre de chevet de tous les policiers, c’était le codepénal. Les victimes, on ne connaissait pas ! Mais à partir de ce moment là, la notion va être introduite. » Lorsque, par la suite, le gouvernement instaure lescontrats de sécurité et de prévention, dans lesquels sont notamment créés les bureaux d’aide aux victimes, c’est tout naturellement que son chef decorps lui confie la création de celui de la police d’Uccle.
« Au début, avant l’informatisation, je pratiquais de façon proactive, en consultant le registre manuscrit des événements, j’identifiais les victimesdes faits consignés et je prenais contact par téléphone ou par courrier, pour prendre de leurs nouvelles et les informer de l’existence du service. » Elle accorde uneattention particulière aux cas de violences intrafamiliales, alors un peu trop délaissés. Au fil du temps, la démarche est systématisée, des courriers-typesprécis élaborés. Sans oublier, toujours, sa mission de soutien et de sensibilisation interne.
Lorsque la réforme des polices est mise en œuvre, en 2001, deux civils sont recrutés afin d’ouvrir un bureau d’aide aux victimes dans chacune des communes de lazone de police Uccle – Watermael-Boitsfort – Auderghem. Irène Balcers coordonne le tout et s’occupe désormais de l’antenne auderghemoise. La coordinationrégionale des bureaux d’aide aux victimes ne souhaite pas sa présence aux réunions en raison de son statut de policière et de supérieur hiérarchique ?Qu’&agrav
e; cela ne tienne, ses réseaux et ses engagements paraprofessionnels lui permettent de rester à la pointe des enjeux. Quand elle ne les devance pas.
Une reconnaissance au-delà de nos frontières
En 2006, l’Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes sollicite son expertise pour mettre au point une formation sur les violences intrafamiliales. Elles’inspire alors de la séance d’information qu’elle vient de réaliser à destination des 30 commissaires de sa zone, à la demande du nouveau chef de corpsle commissaire divisionnaire Deraemaeker. Le module est aujourd’hui enseigné aux candidats policiers et a été repris parmi les outils promus par le réseaueuropéen d’action sociale (Esan) dans le combat contre les violences domestiques.
Celle qui affirme « J’aime ce que je fais et je fais ce que j’aime » est aussi vice-présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique,déléguée par le service club féminin Soroptimist. Au niveau professionnel, elle a également été désignée médiatrice locale,à la demande du procureur.
Quand on lui demande si une supervision lui permet de gérer le stress provoqué par tout ce que déposent chez elle collègues choqués et victimes abattues, ellerépond tennis, yoga et feng shui.