Les commissions de surveillance ont pour mission d’exercer un contrôle indépendant sur les prisons et le traitement des détenus. En 2016, elles faisaient l’objet d’une réforme législative, qui a répondu à certaines attentes, mais sans satisfaire aux exigences internationales.
À Andenne, la commission de surveillance n’a longtemps été composée que d’un seul médecin, rejoint en 2016 par un avocat. En 2018, Wortel-Hoogstraten n’avait toujours qu’un seul commissaire. À Namur, c’était le double. Quant à la prison de Dinant, elle ne comptait aucun membre jusqu’à ce qu’un avocat se propose en 2016. Jusqu’à la réforme de la surveillance en prison du 15 juillet 2016, entrée en vigueur en 2019, le contrôle du traitement des détenus est, dans certains établissements, presque ineffectif.
Le travail de ces organes de contrôle repose alors uniquement sur le bénévolat de 300 membres qui, durant leur temps libre et sans aucune rémunération, visitent les établissements et récoltent les témoignages, tout cela sans encadrement, sans formation, sans soutien, sans locaux. Chaque commission de surveillance a sa manière de fonctionner. Le recrutement de nouveaux membres se fait sur cooptation auprès de l’entourage des bénévoles en place. Et l’accès à l’information demeure compliqué. Certaines commissions relèvent que des courriers de détenus disparaissaient de leur boîte aux lettres ou dénoncent que des détenus se plaignent de mesures de représailles après avoir y déposé un rapport. Le remboursement des frais de déplacement des bénévoles est d’une telle lourdeur administrative que la majorité des membres y renoncent. (En 2016, seuls 15% du budget ont été utilisés.) Découragés, démotivés, certains membres démissionnent ou ne renouvellent pas leur mandat, entraînant des commissions incomplètes, voire inexistantes.
La Belgique fait partie des trois derniers pays européens à ne pas avoir ratifié l’OPCAT. Et elle n’est pas prête à le faire puisque la loi pot-pourri IV a manqué son objectif de couvrir tous les lieux de privation de liberté par un mécanisme indépendant de surveillance.
Plusieurs anciens membres de commissions dénoncent aussi l’inaction du Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP), coupole des 31 commissions. L’un d’entre eux explique: «Comme commission, on n’avait quasiment aucun soutien: pas d’accueil, pas d’informations, pas de formation, rien! À chaque fois que l’on essayait de faire bouger des choses, nous étions confrontés à des réticences de la part du Conseil central qui nous mettait des bâtons dans les roues. On nous répondait que tel point était de la responsabilité du Conseil central, mais ils ne le faisaient pas!» Le Conseil central fait face à des découragements, des conflits internes, des démissions en cascade et de l’absentéisme.
Cet organe est, à ce moment, également composé de bénévoles sans moyens de fonctionnement. Conséquences: des visites de terrain trop rares, six rapports annuels depuis 2003. Pour Marc Nève, actuel président, «la structure n’avait aucun réel pouvoir et n’a jamais trouvé sa place». À ces difficultés s’ajoute le fait que le Conseil central est placé sous la tutelle du SPF Justice, qui ne réagit ni aux rapports et courriers des commissions de surveillance ni aux rapports du Conseil.
Une réforme attendue…
Ces constats alarmants sont mis sur le tapis depuis des années par les commissions, mais aussi par le médiateur fédéral, des parlementaires, la Ligue des droits humains ou encore le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains. Pour Delphine Paci, avocate et membre de l’Observatoire international des prisons (OIP), «c’était un système très bric-à-brac sans aucun professionnalisme». Un bilan que reconnaît le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) dans son projet de loi de 2016 modifiant la surveillance des prisons dont l’objectif est de «donner à ces organes les moyens concrets de réaliser leurs missions».
«Nous sommes sur la bonne voie, mais il y a toujours un problème de conflits d’intérêts. Parmi ces bénévoles on retrouve des juges, des avocats, des magistrats qui rencontrent les détenus dans leur vie professionnelle puis en tant que membres de la commission de surveillance de la prison. Cela crée un mélange de genres.» Damien Scalia, la Ligue des droits humains
Neuf ans auparavant, la Belgique signait l’OPCAT, protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture, visant à l’instauration d’un contrôle national et international des lieux privatifs de liberté. Pour pouvoir ratifier l’instrument, une réforme du système de surveillance des prisons s’impose. Ce n’est qu’en 2016 que la loi pot-pourri IV est adoptée, et en 2019 qu’elle entre en vigueur. Depuis lors, le CCSP, doté d’un budget de près de 4 millions d’euros pour 2020, est institué auprès de la Chambre des représentants. Un transfert indispensable pour garantir son indépendance. C’est désormais à la Chambre que revient le pouvoir de nommer et de mettre fin au mandat de ses 12 membres, parmi lesquels quatre (deux francophones et deux néerlandophones) vont exercer leur fonction à temps plein au sein d’un bureau bénéficiant d’un traitement de 54.990 euros brut. Installé depuis avril 2019, ce bureau a commencé des cycles de formation, des visites de terrain et participe aux réunions des commissions. Quant aux commissions de surveillance, ses membres sont nommés par le CCSP à la suite d’une procédure mise en place durant l’été 2019. L’appel à candidatures a recueilli 1.100 réponses pour 500 places.
… mais inaboutie
Pour Damien Scalia, président de la commission «Prison» de la Ligue des droits humains, «nous sommes sur la bonne voie, mais il y a toujours un problème de conflits d’intérêts. Parmi ces bénévoles on retrouve des juges, des avocats, des magistrats qui rencontrent les détenus dans leur vie professionnelle puis en tant que membres de la commission de surveillance de la prison. Cela crée un mélange de genres même s’ils sont soumis à une déontologie». À l’OIP, on reste également mesuré. «Cela reste problématique que les commissions ne soient pas professionnalisées. C’est complètement anormal de compter sur des citoyens pour une mission si importante», commente Delphine Paci.
L’accès aux prisons et à l’information pour les bénévoles reste fragile. La loi prévoit qu’il faut l’autorisation du détenu pour entrer dans sa cellule et consulter les documents qui le concernent. Pour Marc Nève, le législateur devrait rectifier le tir et prévoir l’inverse: permettre l’accès aux commissaires, sauf en cas de refus. Le Conseil central est d’ailleurs en cours de discussion avec l’administration pénitentiaire pour élaborer un protocole d’accord et garantir un accès le plus large possible aux bénévoles, comme l’explique Sarah Grandfils, membre permanente du bureau: «Il existe toute une série d’aléas qui empêchent un accès rapide aux informations, comme les horaires pour un commissaire qui viendrait en soirée alors que le greffe est fermé, ou les mouvements d’un agent parti distribuer les repas. Nous souhaitons faciliter l’accès à la prison, et renforcer la connaissance par le personnel pénitentiaire de nos missions afin qu’il n’y ait pas d’obstruction.»
Derniers de la classe
Auparavant, aucune procédure de plainte spécifique aux détenus n’existait. À deux reprises, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté l’ineffectivité des recours classiques, inadaptés à la réalité pénitentiaire. La réforme pot-pourri IV prévoit donc la mise sur pied d’une commission des plaintes par prison, à mettre en place au 1er octobre 2020. Elle sera formée de trois membres de la commission de surveillance de l’établissement – qui vont quitter cette dernière pour la commission des plaintes. Pour Olivia Nederlandt, chercheuse FNRS en droit pénal, ce système qui ne sépare pas les missions de surveillance, de médiation et de traitement des plaintes, pose question: «Si un membre de la commission des plaintes est absent, il sera remplacé par un membre de la commission de surveillance. Mais cela arrivera souvent! La loi prévoit que le membre ne peut pas traiter d’une plainte s’il est déjà intervenu dans le dossier du détenu, mais en pratique cette interdiction est infaisable puisque les membres de la commission seront confrontés à des détenus de la prison qu’ils connaissent. Comment avoir l’impartialité nécessaire pour statuer sur leur plainte?»
«Ce suppléant pourrait donc rejeter la plainte du détenu, puis le revoir dans sa position de membre de la commission de surveillance. C’est confus pour le détenu: comment le membre peut-il être perçu comme indépendant et garder sa relation de confiance?», poursuit Olivia Nederlandt. La Ligue des droits humains a introduit un recours en annulation auprès de la Cour constitutionnelle, soutenant que le système aboutissait à une violation de l’impartialité des membres. Un recours qu’elle a perdu. Le dernier rapport du Comité anti-torture du Conseil de l’Europe tout comme l’OIP interrogent pourtant le système néerlandais dont le SPF Justice s’est inspiré, et recommandent eux aussi la mise sur pied d’un modèle indépendant.
Et l’OPCAT dans tout ça? Avec l’Irlande et la Slovaquie, la Belgique fait partie des trois derniers pays européens à ne pas avoir ratifié le protocole. Et elle n’est pas prête à le faire puisque la loi pot-pourri IV a manqué son objectif de couvrir tous les lieux de privation de liberté par un mécanisme indépendant de surveillance. Elle ne permet pas aux organes de contrôle des prisons – ou à une autre instance centrale telle que le Collège des médiateurs fédéraux et Myria – de couvrir tous les lieux de détention, qu’ils soient gérés par le fédéral (comme les centres fermés pour étrangers et les prisons) ou par des entités fédérées (comme les hôpitaux psychiatriques), de même que ceux qui ne font actuellement l’objet d’aucun contrôle similaire, tels les cachots dans les palais de justice. Le SPF Justice organisera début avril une journée de consultation. Un travail préparatoire qui «permettra au prochain gouvernement de prendre une décision». Il faudra ensuite prévoir des accords de coopération entre toutes les entités concernées et réformer, encore. Ou ne pas tenir ses engagements politiques internationaux quinze ans après la signature du protocole.