Le 1er juillet 2005, le gouvernement fédéral lançait trois projets pilotes de commissions paritaires locatives (CPL) à Bruxelles-Ville, Charleroi et Gand.Entretien avec un des évaluateurs de ces expériences.
Composées de représentants à la fois des locataires et des propriétaires, les trois CPL avaient pour mission de mettre en place, au niveau local, un outil deconcertation et de médiation pour le règlement des conflits locatifs sur une base volontaire, de déterminer des critères objectifs pour la fixation des loyers etd’élaborer un projet de bail-type.
La durée de vie de ces expériences pilotes, dotées d’un budget annuel de 50 000 euros, était limitée à deux ans. Au terme de l’évaluation, ilétait prévu d’étendre – ou non – l’expérience à trois autres villes, puis à l’ensemble du pays. Dans la déclaration fédéraled’octobre dernier, le fédéral ne prenait pas vraiment position à ce sujet. Ainsi, en ce qui concerne la fixation des loyers, il se contente de renvoyer la patate chaude auxRégions. Les organisations de locataires avaient fait part de leur scepticisme quant à la volonté du fédéral de contrer la flambée des loyers.
Le bail-type
L’équipe de recherche des Facultés universitaires Saint-Louis (FUSL), de l’Université libre de Bruxelles et l’Université d’Anvers a pris en charge l’aspect bail-type.Étant donné qu’il s’agit d’une matière fédérale, il n’était pas nécessaire d’en réaliser sur le plan local. À ce sujet, Nicolas Bernard,professeur et juriste aux FUSL1, souligne un paradoxe : “Il existe quantité de modèles de contrats de baux (Syndicat national des propriétaires, Syndicat deslocataires, Test-Achats, Solidarités nouvelles…), mais ils contiennent parfois des erreurs.
L’utilité du bail-type est qu’il rappelle les droits des locataires et des propriétaires, qu’il les rend lisibles. Il faudrait voir dans quelle mesure on peut y déroger, dansquel sens, et au bénéfice de qui. On a dégagé des avancées [même si nous ne saurons pas lesquelles, NDLR] mais la balle est maintenant dans le camp dulégislateur. “Puisque la loi prévoit le bail écrit obligatoire, autant que le législateur aille jusqu’au bout et propose un bail-type écrit.”
Les grilles de loyers
En ce qui concerne les grilles de loyers, trois catégories-types d’encadrement de loyers ont été étudiées :
• en fonction de l’investissement du bailleur dans le bien (Grand-Duché de Luxembourg),
• en fonction des prix pratiqués dans l’environnement immédiat (France),
• en fonction d’un système à points (Pays-Bas).
• Selon la législation luxembourgeoise, le loyer ne peut dépasser 5 % des investissements dans le logement.
• En France, la recherche des points de comparaison avec les biens voisins (superficie, etc.) pour fixer les loyers répond plus à une logique de marché.
• Le modèle hollandais du système à points est plus régulateur. On affecte des points (qui ont une valeur financière) à la superficie, l’environnement,les services publics, les services de proximité, etc. Ce système est plus à même d’influencer le marché.
“Les grilles de loyer des CPL sont indicatives, donc non contraignantes, explique notre interlocuteur. Le système est composite, mais parfois on y retrouve davantage d’influencefrançaise – ou hollandaise, c’est selon.”
L’enregistrement des baux étant devenu obligatoire depuis le 1er janvier 2007, l’idée est née de s’en servir pour alimenter les grilles de loyers. Mais à cejour, seuls 8 à 15 % des baux sont enregistrés.
La médiation
Dans le cadre des CPL, la philosophie de la médiation est de rendre les locataires acteurs de la résolution des litiges locatifs.
• Actuellement, 80 % des litiges sont introduits en justice par les propriétaires. “Vu que les locataires ont peur de la Justice, ils n’assistent pas au procès et beaucoup dejugements se concluent par défaut au détriment du locataire.
• Avec la médiation, le rapport s’équilibre, il y autant de locataires que de propriétaires qui vont en justice, observe Nicolas Bernard. Les deux parties ontintérêt à la médiation : parce que le propriétaire a besoin d’un locataire et parce que le locataire a besoin d’un logement. Une fois qu’on accepte d’aller enmédiation, on arrive très souvent à un accord.”
Au-delà de l’aspect logement, la médiation a un effet pédagogique. Elle permet de restaurer la confiance entre les parties, de lever des malentendus et d’apprendre aux partiesà négocier leur solution. Le juge n’a plus qu’à entériner – à moins que la solution ne soit contraire à l’ordre public.
Une antichambre fermée de l’intérieur?
“Les expériences-pilotes sont toujours l’antichambre d’une mesure générale, rappelle Nicolas Bernard, pour peu que l’expérience soit créditée d’uneévaluation positive. Dans le cas présent, c’est difficile, car les résultats vont dans des sens différents.” Certaines villes estiment que la médiation doitêtre réalisée en présence des représentants des propriétaires et des locataires, d’autres estimant plutôt qu’il faut l’intervention d’une tiercepersonne (le médiateur). Le fait que chaque ville ait développé sa vision propre de la grille des loyers et de la médiation peut s’avérer intéressant entermes de stimulation, mais également problématique.
Le chercheur note toutefois que le fédéral veut prendre connaissance de l’évaluation réalisée au plus tôt. Dans sa déclaration d’octobre, il aaccrédité les CPL d’une nouvelle mission : recevoir les plaintes en matière de loyers. Pour notre juriste, il s’agit d’une révolution, puisque les CPL vont se prononcersur la conformité des loyers en fonction des grilles de loyers. Enfin, le fédéral semble souhaiter que les CPL lui survivent, puisque la subvention sera prolongée jusqu’endécembre. Après, il s’agira d’un nouveau gouvernement…
1. Nicolas Bernard, Facultés universitaires Saint-Louis, bd du Jardin botanique, 43 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 211 78 44 – courriel : nbernard@fusl.ac.be