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Regard critique · Justice sociale

Transparence

Communauté française: un cadastre
des subventions en 2020?

Le parlement de la Communauté française vient de voter à l’unanimité un décret visant à établir un cadastre des subventions au sein de l’entité. Une belle unité qui n’empêche pas les petites tensions…

14-03-2018 Alter Échos n° 461
Transparence administrative sur les subsides associatifs à partir de 2020 ? Photo : Pexel, Samuel Zeller

C’est à l’unanimité que le parlement de la Communauté française a voté un décret visant à établir un cadastre des subventions. Une belle unité qui n’empêche pas les petites tensions…

C’est un des effets méconnus et magiques des débats actuels concernant la transparence: amener un gouvernement PS-CDH et une enceinte parlementaire à voter une proposition de loi déposée par l’opposition MR. À l’unanimité, s’il vous plaît bien. Le 17 janvier dernier, le parlement de la Communauté française a voté en séance plénière une proposition de décret visant à établir un cadastre des subventions au sein de l’entité. Le tout par 83 voix pour, 0 contre et 0 abstention!

Le texte prévoit entre autres que le gouvernement transmette tous les ans un cadastre des subventions au parlement. Celui-ci devra notamment comprendre le type de subvention et la description du bénéficiaire. Nec plus ultra de la transparence, le gouvernement est aussi censé mettre en ligne l’ensemble des subventions sur un site internet dédié.

«Le gros problème actuellement en Communauté française, c’est la politisation et le clientélisme.», Gaëtan Van Goidsenhoven (MR)

Pour Françoise Bertieaux (MR), coauteure du texte voté le 17 janvier 2018, ce dernier permettra d’«interroger le gouvernement sur sa politique. Nous pourrons savoir où va l’argent, détecter des déséquilibres éventuels ou des arrosages intensifs d’associations plus politisées». L’élue note qu’auparavant le parlement pouvait obtenir des informations sur demande. «Mais c’était au cas par cas, ministre par ministre. Et ceux-ci nous répondaient un peu ce qu’ils voulaient. Il y a une culture de l’opacité, de refus de transmission de documents à la Communauté française.» Gaëtan Van Goidsenhoven (MR), également coauteur de la proposition de décret, va encore plus loin. «Le gros problème actuellement en Communauté française, c’est la politisation et le clientélisme. Il y a des choix de subventions qui sont abusivement orientés. Beaucoup d’associations se plaignent, mais elles n’osent pas le faire en face.»

Il est long, le chemin…

En ces temps troublés de scandales à répétition dans la gestion des deniers publics, on imaginait mal le gouvernement refuser de mettre les mains dans le cambouis. Le symbole aurait été désastreux. Il n’empêche, ce dossier suscite tout de même son lot de jeu politique et de petites phrases bien senties. Quand il ne vient pas rouvrir quelques plaies à peine refermées. Rappelons qu’en 2015, Écolo et le MR avaient déposé chacun de leur côté des propositions de décret visant à objectiver et à rendre plus transparent l’octroi des subventions de la Loterie nationale par la Communauté française. Chaque année, les différents niveaux de pouvoir belges peuvent en effet bénéficier d’une «manne» en provenance de la Loterie. Une manne qu’ils utilisent ensuite pour financer certains projets, d’une manière pas toujours très transparente selon l’opposition. Qui avait donc déposé ces deux propositions. Toutes deux restées lettre morte… Deux ans plus tard, il faut donc croire que le contexte a changé. «Alors que l’on avait dit non à nos textes portant sur quelque chose d’assez limité, le parlement vote aujourd’hui sans problème un texte à la portée beaucoup plus large», note non sans ironie Stéphane Hazée (Écolo), qui avait porté le texte des verts à l’époque. Avant de se réjouir plus sérieusement de l’«évolution des esprits». Une évolution qui, d’après le MR, n’est pas venue d’elle-même. Si le parti libéral dit se féliciter du vote du texte et de l’implication d’André Flahaut (PS) – le ministre du Budget – dans le dossier, les bleus soulignent tout de même que, d’après eux, le gouvernement a tenté de jouer les prolongations. «C’était l’apathie, continue Françoise Bertieaux. On nous disait que le gouvernement allait venir avec quelque chose de son côté. Or nous n’avons jamais rien vu. Il s’agissait de retarder l’échéance. En déposant notre texte, nous les avons pris de court.»

Du côté du PS, ces réflexions font sourire. «Chacun vit avec ses petits fantasmes, soupire Christiane Vienne. À aucun moment nous n’avons freiné.» Au cabinet d’André Flahaut, on affirme avoir été en recherche d’une solution plus globale aux problèmes de transparence, ce qui expliquerait que les textes concernant la Loterie aient été recalés. Et puis surtout, on affirme que l’on travaillait sur la question de la transparence quelques mois avant le dépôt de la proposition de décret du MR. «En septembre 2017, le gouvernement avait déjà chargé le ministre du Budget de faire des propositions pour plus de transparence, nous dit-on au cabinet Flahaut. Il y a également eu le vote d’un décret Open Data en juillet, qui est une transposition d’une directive européenne. Il y avait donc déjà un background. Et puis la proposition du MR est venue. Tout le monde joue un peu à qui lave plus blanc pour l’instant, c’est dans l’air du temps.»

«Nous sommes favorables au cadastre, mais il faut être attentif à ce que ce soit un instrument de facilité, et pas une sorte de mammouth.», Christiane Vienne (PS)

Le 24 janvier, et concomitamment au vote de la proposition de décret, une note d’orientation a été votée à ce sujet. Elle prévoit notamment la mise en place d’une étude de faisabilité du cadastre dont les résultats devraient être mis sur la table pour le 31 mars. Car si du côté du MR, on sent bien l’envie d’y aller et de ne pas trop traîner de peur que le texte ne sombre dans l’oubli à la faveur des nouvelles élections, au PS, c’est clair, on est plus prudent. Et on insiste sur la faisabilité – ou pas – d’un tel cadastre. «Nous sommes favorables au cadastre, mais il faut être attentif à ce que ce soit un instrument de facilité, et pas une sorte de mammouth», prévient Christiane Vienne. Idéalement, le cadastre devrait reprendre toutes les subventions octroyées en Communauté française. Que ce soit celles issues des ministres compétents mais aussi celles octroyées par certains organismes d’intérêt public, comme l’ONE ou ce qu’on appelle des SACA, des services administratifs à comptabilité autonome. Or, d’après le cabinet d’André Flahaut, ces structures dans leur ensemble ne compileraient pas leurs chiffres de la même manière. Elles ne bénéficieraient pas non plus des mêmes moyens pour le faire. «L’état d’informatisation n’est pas identique partout. On a une réelle difficulté technique à ce niveau en Communauté française», avance-t-on du côté du cabinet Flahaut. De façon plus globale, le progiciel utilisé pour gérer les subsides daterait des années 90, rendant les données «morcelées» et empêchant toute «vision transversale».

«J’ai peur que les chiffres de 2017 et 2018 n’arrivent trop tard.», Françoise Bertieaux (MR)

Dans ce contexte, le but de l’étude de faisabilité sera de déterminer comment le cadastre va être mis en place, quelles subventions il concernera, avec quel calendrier. La tâche s’annonce rude. «Ce qui est clair, c’est qu’on est parti sur du long terme. Il va falloir voir ce qu’on peut demander aux services», nous dit-on au cabinet d’André Flahaut. D’ici là, une première collecte manuelle de données devrait avoir lieu pour les chiffres de 2017, voire 2018. Détail qui ne trompe pas: elle ne concernera que les subventions émises par les services du gouvernement. Certains organismes d’intérêt public (OIP), comme l’Office de la naissance et de l’enfance, ne seront donc pas concernés par la collecte manuelle. Sur le plus long terme, l’étude de faisabilité devra déterminer les pistes et les solutions techniques nécessaires à la création d’ici à 2020 d’une solution informatique structurelle censée permettre à tout le monde d’encoder les données de façon uniforme et de rendre tout cela accessible au public en quelques clics. Notons que d’après le cabinet d’André Flahaut, les subsides de la Loterie nationale feront partie du cadastre en 2020 tout comme les subventions émises par les OIP ou les Saca. Pour ce qui est des avantages «en nature», comme la mise à disposition de bâtiments, ils devraient être concernés «dans un deuxième temps». «Il faut savoir que nous sommes en train de mettre à jour le cadastre de la valeur de nos bâtiments. Si cela n’est pas fait, il paraît compliqué de pouvoir intégrer les avantages en nature de ce type dans le cadastre», explique le cabinet d’André Flahaut. Avant de lâcher une info: le cabinet entend aussi faire la clarté sur la façon dont certains budgets sont consommés. Dans sa ligne de mire, les subsides de fonctionnement des écoles de l’enseignement subventionné. «Cela représente près de 500 millions d’euros, qui ne sont quasiment plus contrôlés parce que les textes concernant cette matière sont obsolètes.» Des textes qui seront donc revus.

Notons également qu’une demande d’avis sera effectuée auprès de la commission de la Vie privée. Certaines subventions sont effectivement octroyées à des individus seuls qui pourraient se retrouver nommément dans le cadastre…

Vers un «enterrement de première classe»?

Ce calendrier satisfait-il l’opposition? Pour Stéphane Hazée, les délais évoqués plus haut ne paraissent pas «démesurés». Malgré cela, Écolo et MR soulignent que le temps risque de passer assez vite d’ici à la fin de la législature. Et qu’il convient donc de garder un calendrier soutenu. «J’ai peur que les chiffres de 2017 et 2018 n’arrivent trop tard, confie Françoise Bertieaux. Si je reçois les premières données en janvier 2019, je ne pourrai plus rien en faire. La majorité pourra terminer cette législature tranquille. S’ils vident les caisses pour arroser leurs amis, je n’en saurai rien…» Autre crainte évoquée par l’élue: que la majorité joue la carte de l’épuisement en laissant le dossier mourir de sa belle mort. «Si le gouvernement décide de faire marche arrière, nous ne pourrons rien faire. Le texte ne prévoit pas de sanction, un parlement ne peut pas mettre le gouvernement à l’amende…» Un souci partagé par Gaëtan Van Goidsenhoven. «Il y a eu une ouverture de la part de la majorité, mais on a déjà vu des ouvertures de principe se transformer en enterrement de première classe», lâche-t-il en guise de conclusion.

Malgré un vote à la majorité, la transparence n’a donc pas fini de susciter quelques petites tensions au sein de l’assemblée parlementaire de la Communauté française…

En savoir plus

Alter Échos n°447, «Les lois de la transparence», Julie Luong, 4 juillet 2017.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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