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Regard critique · Justice sociale

Enquête

Communautés d’énergie,
menacées par les entreprises?

Depuis quelques années, les communautés d’énergie permettent à des citoyens de se fédérer afin de produire et de partager de l’énergie renouvelable. Alléchées par le modèle et encouragées par le législateur, des entreprises ont aussi fait leur entrée dans le secteur. Au point de le dévoyer complètement ?

Ana Muñoz Padrós et Jairo Marcos 30-09-2024 Alter Échos n° 519
(c) Blaise Dehon

C’est un immeuble gris et marron, près de la place Plasky à Schaerbeek, Bruxelles. Immense, il abrite 113 familles dans ses cinq étages. Invisibles depuis la rue, des panneaux solaires recouvrent son toit. S’ils font désormais partie du paysage, leur spécificité est d’appartenir à des personnes persuadées que pour changer la société, il faut changer les personnes qui contrôlent l’énergie.

L’histoire de ces panneaux solaires remonte à 2020. Lors des confinements dus au Covid 21, Stanislas D’Herbemont s’inquiète de l’augmentation des coûts de l’énergie. Un groupe citoyen commence alors à se réunir sur Zoom afin de réfléchir à la manière dont l’électricité verte pourrait être rendue accessible à toutes et à tous dans une ville aussi fracturée socioéconomiquement que Bruxelles. La réflexion porte également sur la manière dont ces énergies pourraient améliorer la cohésion sociale. Deux années plus tard, le collectif crée Brupower, une coopérative qui permet à ses associés de se partager l’énergie qu’ils et elles produisent.

C’est en 2018 et 2019 que la Commission européenne a adopté les directives pour la création de communautés d’énergie, dans le but de permettre aux individus de produire, consommer, stocker, partager et vendre de l’énergie renouvelable, de manière collective et décentralisée, toujours selon des paramètres durables. «Des groupes de citoyens engagés pourraient donc théoriquement se rassembler localement en ‘mini-centrales’ électriques, mini-distributeurs ou encore mini-fournisseurs», expliquaient en 2021 Chloé Verlinden, cofondatrice de Brupower, et Jan Spriet, de City Mind, dans le magazine de l’association Inter-Environnement Bruxelles. Aujourd’hui, la région bruxelloise compte 13 communautés d’énergie, et la Wallonie une.

Les communautés d’énergie constituent une disruption dans le marché actuel, car elles le décentralisent: l’énergie produite est renouvelable et les communautés sont dirigées par des groupes de personnes en lieu et place d’entreprises privées.

Parmi elles, on trouve donc Brupower. La coopérative acquiert et installe des panneaux solaires, dont elle reste propriétaire, et attribue l’électricité entre ses membres à un prix légèrement plus bas, mais surtout plus stable dans le temps que celui proposé par les fournisseurs traditionnels. Brupower chapeaute aujourd’hui deux projets, dont celui situé à Schaerbeek. Les 113 familles qui habitent l’immeuble alimentent ainsi leurs foyers à temps partiel avec l’énergie renouvelable que la communauté produit: près de 120 kilowatt-crête (kWc) provenant des panneaux solaires installés sur le toit de l’immeuble.

Grâce à ce modèle, l’énergie peut désormais provenir de fournisseurs classiques ainsi que de groupes sans but lucratif. Mais dans les faits, les entreprises, grandes ou petites, défendent leur part du gâteau, cherchent leur place sur le marché du renouvelable et trouvent des manières de maximiser leurs bénéfices grâce à ce nouvel outil «communautaire».

Une nouvelle gestion de l’énergie

En Belgique, le commerce de l’électricité est divisé en quatre secteurs. Deux sont libéralisés: la production et le commerce. Et deux sont réglementés: le transport et la distribution. Elia possède le monopole du transport d’électricité et est responsable des réseaux à haute tension. Lorsque l’électricité parvient au réseau basse tension, les distributeurs se chargent de la faire parvenir dans les foyers. Ces distributeurs sont des entreprises intercommunales et chacune détient le monopole au sein de sa région. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, il n’y a qu’un opérateur, Sibelga, détenu par les 19 communes. En ce qui concerne la commercialisation de l’électricité, il existe une quinzaine de fournisseurs en Belgique, dont six sont actifs à Bruxelles. Parmi ces derniers, seuls trois acceptent de nouveaux clients «résidentiels»: Engie, TotalEnergies (anciennement Lampiris) et l’entreprise d’énergie renouvelable Bolt. Les autres n’en acceptent plus ou posent certaines conditions, comme l’achat de panneaux solaires. Cela signifie donc que les consommateurs bruxellois n’ont pas réellement la possibilité de choisir, contrairement à ce que promettait la libéralisation de 2007.

L’énergie étant gérée en majorité par des acteurs publics ou par des entités privées, le rôle des individus est en général passif, limité à la consommation d’électricité et au paiement des factures à la fin du mois. Dans ce contexte, les communautés d’énergie ouvrent une nouvelle voie: la gestion d’énergie par des collectifs citoyens.

Dans les communautés d’énergie, «les individus sont considérés comme partie prenante du système énergétique», explique Maria Santos, ingénieure environnementale chez Les Amis de la Terre Europe, une association militante pour la protection de l’environnement. Les communautés d’énergie permettent de «repenser la manière dont le système énergétique est géré et d’imaginer des modèles de gouvernance qui ne seraient pas seulement lucratifs, mais qui offriraient de réels bénéfices – meilleure efficacité énergétique, factures moins élevées, réduction de la précarité énergétique, NDLR – au niveau local, aux communautés et aux personnes impliquées, et qui accéléreraient la transition énergétique», ajoute-t-elle.

Les communautés d’énergie constituent une disruption dans le marché actuel car elles le décentralisent: l’énergie produite est renouvelable et les communautés sont dirigées par des groupes de personnes en lieu et place d’entreprises privées. À Bruxelles, bien que les petites et moyennes entreprises de 250 salariés ou moins puissent intégrer certaines communautés, Brugel, le régulateur de l’énergie dans la capitale, a établi qu’elles ne peuvent pas en faire leur activité principale, commerciale ou professionnelle. Conséquence: «Les fournisseurs sont exclus de tout cela. Ce qu’on voit par contre émerger à Bruxelles, ce sont des entreprises de services», explique Grégoire Wallenborn, chercheur à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Certains de ces services consistent en des tâches concrètes, comme l’émission de factures, ou plus abstraites, comme un accompagnement.

Parmi ces entreprises de services figure la start-up WeSmart, qui propose une plateforme numérique pour l’émission des factures et d’autres services liés à la gestion du partage d’énergie des communautés. «En tant que prestataire de services, notre business ne fonctionne que si nous pouvons accroître le partage de l’énergie au sein des communautés, nous écrit par e-mail Caroline Kamm, chargée de communication à WeSmart. Ce qui est une situation win-win pour l’expansion de l’accès à l’énergie renouvelable et l’adoption généralisée des communautés d’énergie.»

Cependant, le rôle de WeSmart semble dépasser la simple prestation de services. Elle est ainsi membre de «Share.Energy», une des treize communautés d’énergie autorisées par Brugel. Depuis janvier, et après un investissement de près de deux millions d’euros, le fournisseur néerlandais d’électricité et de gaz Eneco est devenu l’un des administrateurs de WeSmart, via sa filiale d’investissement Eneco Ventures. Encore un exemple qui montre que, même si en théorie les limites des communautés sont claires, en pratique, à Bruxelles, c’est une autre histoire. Les communautés d’énergie, selon le modèle proposé par l’Europe, visent à transformer nos systèmes énergétiques en donnant aux citoyens les moyens de mener la transition énergétique au niveau local. Or Eneco n’est ni locale, ni citoyenne, ni nouvelle sur le marché de l’énergie. Ce n’est pas non plus une petite ou moyenne entreprise, comme l’exige Brugel. Eneco n’a pas répondu à nos questions.

Un défi technique?

«J’ai un autre métier à temps plein, donc j’ai fait ça à côté, le soir, le week-end», explique Grégory Van Eerdenbrugghe, fondateur de la communauté d’énergie locale «Illuminons notre quartier». Gérer une communauté d’énergie et son activité est un des «points majeurs» pour les membres des communautés, selon Mathieu Bourgeois, chargé de projets renouvelables à Énergie commune, une association qui aide les citoyens à devenir plus autonomes d’un point de vue énergétique. Cette organisation travaille avec Bruxelles Environnement, l’administration chargée d’appliquer les politiques énergétiques destinées à faciliter l’émergence de communautés d’énergie. «Une fois que le projet en place démarre, il faut gérer des factures, organiser des assemblées générales; ça peut vite devenir assez lourd», explique-t-il.

Certaines sources, tel Grégoire Wallenborn, considèrent que la création d’outils technologiques publics est la solution qui apportera une forme de légèreté et d’autonomie dans ces tâches administratives, un sujet qui s’est retrouvé au centre des débats au parlement bruxellois lors d’une session ordinaire d’octobre 2023. Parmi les pistes mises en avant au niveau régional pour y arriver: un logiciel gratuit qui répondrait aux besoins de gestion des communautés naissantes, tout en empêchant les fournisseurs de services de faire du profit avec les communautés d’énergie. Le projet n’a pas encore vu le jour.

Sur le toit de l’immeuble situé place Plasky, Stanislas d’Herbemont pointe du doigt quelques panneaux solaires obliques sur une autre toiture plate, en direction du cimetière de Schaerbeek. «Vous voyez? Voilà ce qu’il faut éviter.» Les panneaux ont été placés de travers, ce qui semble indiquer que le propriétaire a cherché à maximiser l’exposition au soleil. «Cette disposition ne laisse pas de place à de futurs panneaux. Et à Bruxelles, nous manquons de place pour l’énergie solaire», explique-t-il.

La Région de Bruxelles-Capitale «a inventé un hybride, la communauté d’énergie locale, mais qui est une porte ouverte à ce que des entreprises débarquent dans le système.» Grégoire Wallenborn, chercheur à l’Université libre de Bruxelles (ULB)

A contrario, sur le toit où nous nous trouvons avec Stanislas, la centaine de panneaux solaires sont alignés en six files parallèles aux bords. Brupower est en réalité l’unique communauté d’énergie citoyenne (CEC) à Bruxelles. Les douze autres communautés enregistrées sont des communautés d’énergie locales (CEL). La différence? Tandis que dans une CEC les installations (comme les panneaux solaires) doivent être la propriété de la communauté d’énergie, elles peuvent en revanche appartenir à ses membres dans une CEL. Autre différence: dans une CEC, les membres de la communauté paient leur électricité à la communauté elle-même, qui peut ensuite réinvestir ces fonds comme bon lui semble. Dans une CEC, le modèle est bien différent: l’électricité est payée aux propriétaires des panneaux.

Si les directives européennes de 2018 et 2019 ne prévoyaient que des communautés propriétaires de leurs installations, à l’image des CEC, la Région de Bruxelles a estimé que cela lésait les personnes déjà propriétaires de panneaux solaires. Pour leur permettre de participer à des communautés d’énergie, la Région «a inventé un hybride, la communauté d’énergie locale, mais qui est une porte ouverte à ce que des entreprises débarquent dans le système», indique Grégoire Wallenborn. Pour les entreprises, participer à une communauté d’énergie locale peut effectivement être intéressant: il leur suffit d’y entrer avec leurs panneaux solaires sous le bras, pour ensuite revendre l’électricité produite grâce à ceux-ci aux autres membres…

Autre point noir des CEL: certains experts consultés lors de cette enquête s’accordent à dire que la situation des communautés d’énergie est davantage précaire lorsque les installations ne leur appartiennent pas et sont la propriété de leurs membres. Dans ces cas-là, le futur de l’initiative dépend en effet de la volonté des membres de rester au sein de la communauté. Il pourrait s’agir de personnes qui avaient déjà des panneaux installés… mais également d’entreprises, qui, si elles trouvent d’autres endroits où maximiser leurs profits, pourraient décider de partir.

Malgré ce risque, le modèle des CEL reste le plus répandu à Bruxelles. La commune d’Ixelles, qui cherchait à encourager ses habitants à se tourner vers le renouvelable, y a ainsi vu une opportunité. Elle a d’abord cherché les panneaux puis des individus intéressés: c’est dans cet ordre que la communauté d’énergie locale «Courant alternatif» a été créée. «Les installations se trouvaient sur quelques écoles et appartenaient à plusieurs entreprises. Nous leur avons demandé si elles souhaitaient vendre leur surplus d’électricité», explique Didier Ropers, chargé de projet de la commune d’Ixelles.

L’Europe ouvre le partage d’énergie aux entreprises

Le débat a pris un nouveau tournant via l’Union européenne il y a quelques mois. On l’a dit, d’après les directives de 2018 et 2019, le seul modèle envisagé au niveau européen était jusqu’à présent celui des communautés d’énergie où les installations leur appartiennent, comme dans le cas des CEC. Mais en juillet 2024, un nouveau paquet législatif a ouvert le partage d’énergie à des tiers, c’est-à-dire aux entreprises, un mouvement qui est venu officialiser au niveau européen le modèle des CEL jusqu’alors bricolé en Région de Bruxelles-Capitale. Lors des négociations interinstitutionnelles, RESCoop.eu, la fédération européenne de communautés d’énergie, «plaidait pour garantir que le partage d’énergie reste sans but lucratif, nous dit Josh Roberts, conseiller politique principal de REScoop.eu. Mais cela ne s’est pas produit. Et désormais, les communautés d’énergie sont en concurrence avec les grandes industries et entreprises de consommation».

D’après Nicolás González Casares, député (Parti socialiste espagnol) au Parlement européen et rapporteur de cette dernière réforme, l’ouverture du partage de l’énergie à des tiers «augmente les droits des individus, en particulier les petits consommateurs et consommatrices». Son raisonnement est simple: le partage d’énergie dans une communauté de type «CEC» est parfois onéreux pour les membres. Souvent, il leur faut mettre de l’argent sur la table afin que la communauté puisse acheter des panneaux, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde. Rendre possible l’existence au niveau européen de communautés de type «CEL», avec leurs membres déjà propriétaires de panneaux et qui pourraient en faire bénéficier les membres qui n’en ont pas, permettrait en quelque sorte de rendre les communautés accessibles à des citoyens moins fortunés.

«Désormais, les communautés d’énergie sont en concurrence avec les grandes industries et entreprises de consommation.»

Josh Roberts, conseiller politique principal de REScoop.eu., la fédération européenne de communautés d’énergie

En février 2024, Sandra Pereira, qui, lors de son mandat de députée européenne pour le Parti communiste portugais, était membre du groupe à l’initiative de cette réforme, affirmait cependant qu’elle bénéficiait aux entreprises plutôt qu’aux personnes. «La perspective est une logique étroite, orientée vers le marché, qui place les communautés d’énergie sur une voie plus favorable aux grandes entreprises privées grâce au financement incomparable de ces dernières, leurs ressources humaines et techniques, leurs infrastructures et même leurs capacités de négociations pour mettre la pression sur les législateurs responsables de politiques énergétiques au niveau national et européen.»

Alors, le fait d’ouvrir le partage et les communautés d’énergie est-il bénéfique ou pas? Heleen Schockaert, du conseil administratif de la coopérative d’énergie flamande Ecopower, souligne un paradoxe: «La participation des tiers, des entreprises, au partage d’énergie peut se révéler avantageuse car elle rapproche l’énergie renouvelable et les individus qui n’y avaient pas accès jusque-là. En même temps, ceux-ci ne peuvent rien contrôler. Ils sont à la merci des parties tierces et des décisions qu’elles prennent concernant les installations.»

(c) Blaise Dehon

Subventions européennes et voracité entrepreneuriale

Si l’on compare Bruxelles et la Wallonie à d’autres régions et pays, 13 communautés d’énergie à Bruxelles et une en Wallonie ne constituent pas un nombre très élevé. Pourquoi n’y en a-t-il pas plus, quand on sait que dans d’autres régions et pays, elles se développent partout? Cette question reste sans réponse. Les experts s’accordent à dire qu’Alain Maron (Écolo), ministre bruxellois de la Transition climatique et de l’Énergie, le régulateur Brugel et le fournisseur Sibelga ont soutenu ou, tout du moins, n’ont pas mis d’obstacle au développement des communautés d’énergie.

Cependant, un nombre plus important de communautés n’est pas synonyme d’une ingérence entrepreneuriale moins présente. En Flandre, où il existe une longue tradition de coopératives d’énergie dont Ecopower est la plus ancienne, le régulateur VREG tient une liste des communautés d’énergie, mais ne les évalue pas ni ne les supervise, ce qui laisse la porte ouverte à une mainmise des entreprises sur les communautés, selon les experts. Concrètement, seules 35 des 78 entités enregistrées en Flandre ont été identifiées comme groupes citoyens. Sur les 43 restantes, au moins 12 sont liées à des coopératives financières (fincoops) ou sont des modèles hybrides. Des banques, des entreprises de construction et des communes, entre autres, complètent cette liste.

En Flandre, seules 35 des 78 communautés enregistrées ont été identifiées comme groupes citoyens.

Une situation qui n’a rien d’anormal dans le contexte européen. Au Portugal, par exemple, il existe à peine 45 communautés officielles, et le développement du secteur est en proie à la bureaucratie et à l’accaparement par certaines entreprises, malgré l’existence de fonds européens pour encourager sa croissance. En Espagne, les directives européennes n’ont pas encore été transposées, et les entreprises ont profité des imprécisions sur les conditions des appels à projets pour obtenir des subventions.

C’est ainsi que le groupe pétrolier Repsol a perçu 30% des subventions européennes que le gouvernement espagnol avait dédiées à la création de 151 communautés d’énergie. 24,3 millions d’euros des 77,6 millions en provenance de l’UE ont été versés à des projets dans lesquels apparaissent certaines filiales de la multinationale, un chiffre auquel il faut ajouter les fonds accordés par les gouvernements régionaux. En Espagne, en plus de cette ingérence entrepreneuriale, une poignée de petites entreprises, qualifiées de «chasseuses de subventions» par de nombreuses sources du secteur, monopolisent 18,4% des aides gouvernementales.

Pour en revenir à la Belgique, à Bruxelles, la création de communautés d’énergie n’a pas bénéficié de subventions directes, mais les citoyens intéressés ont pu faire appel à un facilitateur gratuitement. En Wallonie, où il n’y a pour l’instant qu’une seule communauté autorisée, le Service public Wallonie-Énergie (SPW Énergie) avait prévu sept millions d’euros de subventions européennes pour des projets de communautés d’énergie. L’appel à projets s’est terminé le 15 mars 2024… mais le gouvernement précédent n’a pas validé la liste des projets qui devaient recevoir une subvention, la date de publication des résultats n’est donc pas connue.

Lexique similaire, valeurs distinctes

La récupération du champ lexical des communautés d’énergie par des acteurs désirant surfer sur la vague alors qu’ils travaillent sur des projets bien éloignés de celles-ci constitue un autre phénomène témoignant de l’intérêt des grandes entreprises pour le secteur. À l’étranger, de grands fournisseurs d’énergie comme Acciona en Espagne ou EDP en Portugal proposent des services ou des opportunités d’investissement pour ou dans des «communautés d’énergie» qui n’ont rien à voir avec ce qui est promu par les textes européens. Heleen Schockaert dénonce «la création d’un narratif incompréhensible pour les citoyens». Elle va même plus loin: «Les entreprises utilisent le narratif de la propriété communautaire, mais, lorsqu’on regarde de plus près, il ne s’agit que d’une contribution financière, pas de réelle propriété ou de pouvoir de décision.»

«Nous considérons l’énergie comme un droit humain, il nous semble donc pervers de voir des initiatives du secteur privé capitaliser sur la transition énergétique et exercer une influence sur celle-ci.»

Maria Santos, Les Amis de la Terre Europe

Bien avant les directives européennes et leur volonté de promouvoir les communautés d’énergie, les entreprises privées traditionnelles cherchaient déjà des manières d’attirer les citoyens vers les énergies renouvelables en leur offrant des opportunités d’investir dans leurs projets locaux via des coopératives. De tels exemples sont visibles dans les brochures d’Eneco, d’Eoly (appartenant au groupe Colruyt) et d’Engie. «Mais ça n’a rien à voir avec la communauté d’énergie au sens où vous l’entendez», éclaire Bohdan Soroka, analyste chez Engie. Un constat qui pousse Engie, qui ne propose pas de communauté d’énergie, à rediriger les personnes intéressées vers… WeSmart.

Le potentiel des communautés d’énergie

«Pour moi à un moment, il va falloir complètement refondre le système et repenser notre rapport à l’énergie. C’est pour cela que les communautés d’énergie sont intéressantes: ce sont des lieux de discussion sur ce qu’est l’électricité», explique Grégoire Wallenborn. «On peut repenser l’électricité et l’énergie comme un commun au-delà d’un bien commun», assure le chercheur de l’ULB.

«Les communautés d’énergie ont déjà radicalement changé la manière dont nous pensons la gouvernance des systèmes d’énergie. Ces systèmes existent depuis très longtemps et ce n’est pas une coïncidence s’ils gagnent actuellement de plus en plus d’attention», note Maria Santos, des Amis de la Terre Europe. Cette ingénieure environnementale est très claire: «Nous considérons l’énergie comme un droit humain, il nous semble donc pervers de voir des initiatives du secteur privé capitaliser sur la transition énergétique et exercer une influence sur celle-ci. Les communautés d’énergie sont des initiatives intéressantes qui peuvent nous aider à réconcilier les limites de la planète et de nos sociétés. Elles sont pour les individus, par les individus et pour la planète. Ce rôle est bien plus important que celui des grandes entreprises traditionnelles d’électricité basées sur les combustibles fossiles.»

À la fin de notre entretien, ce n’est d’ailleurs plus de panneaux solaires ou de kilowattheures que nous parle Stanislas D’Herbemont, mais plutôt des personnes qui se sont rapprochées de la coopérative, des bons moments partagés et des liens qui s’y sont créés. Il parle, en définitive, de la communauté existant au-delà de l’énergie.

 

LE RÉSUMÉ

• Les communautés d’énergie permettent aux individus de produire, consommer, stocker, partager et vendre de l’énergie renouvelable, de manière collective et décentralisée.

• Il en existe actuellement 13 en Région bruxelloise et une en Wallonie.

• À Bruxelles et au niveau européen, le législateur a élargi le champ que recouvre une « communauté d’énergie », ouvrant ainsi la porte aux entreprises.

• Le « privé » risque-t-il dès lors de « confisquer » le modèle des communautés? À l’étranger, mais aussi en Flandre, c’est peut-être déjà le cas…

 

Ce reportage fait partie d’une enquête menée grâce au soutien de Journalismfund Europe.

 

 

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