Le confinement exacerbe les inégalités. Les locataires à revenus modestes sont sous tension. Ceux qui peinaient déjà à joindre les deux bouts, n’ont désormais plus de quoi payer leur loyer. Le Gouvernement bruxellois a décidé de leur venir en aide au travers d’une prime unique de 215 euros.
Une carte blanche de l’ASBL Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat.
Si la réaction politique est à saluer, elle intervient selon nous trop tardivement et est tout bonnement insuffisante pour faire face au désastre social qui pointe comme une lame de fond.
Elle est insuffisante car ce forfait reste totalement déconnecté des réalités budgétaires des ménages bruxellois : 215 euros quel que soit le loyer à honorer, la hauteur de la perte de revenu, la durée de celle-ci… On sait qu’une partie des locataires bénéficie du chômage temporaire (revenu garanti à 70%) ce qui les préserve un peu, mais d’autres travailleur(euse)s plus précaires, eux, n’ont droit à rien et ont perdu toute source de revenus. Pour être efficace, les plafonds de la prime doivent être augmentés (au minimum l’équivalent de deux mois de loyer) et les montants proportionnés aux loyers et aux pertes de revenus.
Elle est trop tardive car c’est là, maintenant, dans l’urgence, que les locataires ont besoin d’aide. Les loyers d’avril ont déjà été payés et l’échéance de mai approche à grands pas. L’octroi de la prime impose un recours à l’administration… Et nous connaissons l’administration bruxelloise, souvent dépassée lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre un nouveau mécanisme. Nous craignons que les délais d’obtention de cette prime ne satisfassent pas les nombreux locataires qui ne peuvent pas attendre. C’est pourquoi le Gouvernement doit autoriser les locataires à réduire leur loyer dès à présent, en proportion des pertes de revenus subies et cela, tant que l’obligation de rester chez soi n’est pas levée, la prime compensant après coup les impayés. Cette mesure exceptionnelle permettrait d’anticiper les difficultés de paiement de mai et éventuellement les suivantes et d’éviter de placer en situation fautive, celles et ceux qui n’ont pu, par la force majeure, honorer le loyer d’avril.
Cette prime ne touchera pas les publics les plus précarisés, on pense notamment aux locataires sans titre de séjour. Pourtant, eux aussi paient leur loyer et contribuent à la rentabilité croissante de l’immobilier. Travailleur(euse)s de l’ombre, le confinement a brusquement stoppé toute rentrée financière sans aucune compensation possible. Ces Bruxellois.es vont rester sur le carreau et subir plus que tout autre les effets du confinement.
Pour ce qui est du financement de la prime, le Gouvernement a mis 17 millions d’euros sur la table, mais il est possible de faire beaucoup mieux. Le RBDH estime que ce budget pourrait évoluer en mettant à contribution les propriétaires d’immeubles vides et les multipropriétaires. Nous plaidons pour une utilisation exceptionnelle et provisoire (les rentrées de l’année 2020) du produit des amendes imposées aux propriétaires d’immeubles vides. Nous défendons également la levée d’une taxe de solidarité auprès des multipropriétaires, c’est-à-dire auprès de ceux et celles qui louent plus de deux logements (excepté les bailleurs AIS) et qui, de toute évidence, ne subissent pas la crise avec les mêmes conséquences financières que leurs locataires. Le montant de la taxe pourrait être proportionnel au nombre de logements mis en location. Il nous semblerait justifié que ceux et celles qui font fructifier leur patrimoine grâce aux locataires, puissent en contrepartie, leur venir en aide en temps de crise. Nous demandons aux mandataires d’avoir le courage de franchir le pas.
Le Gouvernement a pris une autre mesure pour éviter que des locataires ne se retrouvent à la rue en ces temps de crise sanitaire : un moratoire sur toutes les expulsions physiques jusqu’au 3 mai prochain. Il a également été décidé de soutenir les locataires en fin de bail en suspendant la période de préavis pendant toute la durée des mesures de maintien au domicile.
Ces deux mesures étaient nécessaires, compte tenu de la quasi impossibilité de recherche de logement ou de déménagement pendant la durée du confinement. Mais elles devraient toutes deux prendre fin avec le déconfinement. Le Gouvernement étudie la possibilité de les étendre. C’est pour nous essentiel, pour au moins deux motifs :
- Il semble évident que le déconfinement sera progressif. Tout le monde ne pourra pas retrouver son activité – et donc son revenu plein – du jour au lendemain.
- Un engorgement des services d’aide au logement et des visites de logements – et donc une concurrence encore plus sévère pour les locataires à la recherche d’un logement abordable – est à prévoir. Pour les locataires modestes, cette recherche était déjà particulièrement longue et pénible avant la crise sanitaire et les mesures de confinement ; elle risque de l’être encore plus demain.
Pour éviter les dangers liés à la saturation du marché locatif abordable (en termes d’exclusions, discriminations ou loyers abusifs), il faut penser ces aménagements de fin de bail à plus long terme. Pour permettre aux locataires de trouver un relogement, le RBDH suggère d’étendre le moratoire sur les expulsions : il doit être prolongé de 6 mois après le 3 mai ; mais aussi de décadenasser la prorogation des contrats de bail pour circonstances exceptionnelles (le bailleur ou la bailleresse ne pourrait pas s’y opposer et elle devrait s’étendre sur 6 mois également).
Ces mesures d’urgence ne doivent pas nous faire perdre de vue l’essentiel. Les inégalités de logement étaient là, ancrées, insidieuses, bien avant la crise du coronavirus qui a joué un rôle d’amplificateur. Profitons du moment pour les combattre radicalement : refusons la marchandisation du logement, refusons l’insalubrité, les loyers arbitraires et abusifs, la privatisation du social… Nous ne sommes pas seul.e.s, nous avons à nos côtés plus de la moitié des Bruxellois(e)s. Exigeons plus !