La ministre de la Jeunesse, Evelyne Huytebroeck, prépare une nouvelle réforme du Conseil de la Jeunesse1. Le secteur Jeunesse ferait son grand retour dans l’assemblée générale de l’instance. Certains y voient l’occasion de tendre vers davantage de représentativité. D’autres dénoncent une reprise en mains du Conseil par des professionnels de la Jeunesse. Décryptage.
Les discussions vont bon train entre cabinet ministériel et secteur Jeunesse. Leur thème : la nouvelle réforme du Conseil de la Jeunesse. Un texte de décret a été adopté en première lecture par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le 21 décembre dernier. Nouveauté annoncée : les Organisations de Jeunesse devraient faire leur grand retour au sein de l’assemblée générale de l’organe d’avis des jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Cette nouvelle formule permettra-t-elle de rendre le Conseil de la Jeunesse plus représentatif ? C’est en tout cas la position que l’on défend au cabinet de la ministre.
On n’y court plus vraiment après la chimère d’un Conseil parfaitement représentatif – « seule une obligation de vote des jeunes le permettrait », nous dit-on. Non, ce qu’on cherche avec cette réforme c’est simplement d’améliorer la représentativité de l’instance afin de faire émerger une véritable « parole jeune ». « Le Conseil de la Jeunesse doit être un espace où des jeunes d’horizons différents se retrouvent, avec aussi une assise associative », affirme Bernard Mathieu, conseiller d’Evelyne Huytebroeck.
En 2009 : à la recherche du « vrai » jeune
Pourquoi encore réformer un Conseil qui devait déjà, en 2009, être un modèle de représentativité ?
Petit rappel des faits. Avant 2009, le Conseil de la jeunesse était essentiellement un lieu investi par des représentants du secteur Jeunesse. Mais l’existence d’un tel lieu devenait superflu vu que ce secteur, depuis 2005, peut s’exprimer au sein de la Commission consultative des organisations de jeunesse (CCOJ). Idem pour les centres et maisons de jeunes qui siègent à la Commission consultative des centres et maisons de jeunes (CCMJ).
En 2009, le ministre de la Jeunesse, Marc Tarabella (PS), voulait que le Conseil de la Jeunesse soit bien l’organe d’avis des jeunes – et non du secteur Jeunesse. Il fallait donc faire une assemblée générale composée exclusivement de « vrais jeunes ». Exit les Organisations de Jeunesse.
On intègre alors cinq jeunes dits « non-organisés », sans affiliation dans le secteur. Toutefois, trente places sont réservées à des jeunes « issus » d’une Organisation de Jeunesse ou d’un centre de jeunes (mais sans rôle de représentation). Tous les membres de l’AG sont élus par les jeunes qui désirent voter.
L’idée est belle, mais ne prend pas autant qu’espéré. Aux dernières élections, 5 000 jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles votent. Un bilan mitigé. Très vite, on s’aperçoit que des jeunes très politisés noyautent l’organisation. Le terme « issu » d’organisations de jeunesse est suffisamment flou pour laisser place à des marges d’appréciation très larges. Malgré cela, le Conseil multiplie les avis et se fait entendre sur la voie publique, élargissant son audience.
Géraldine Motte, l’actuelle secrétaire générale du Conseil de la Jeunesse, évoque certaines « erreurs collectives », où l’éclatement de points de vue individuels a parfois pu prendre le pas sur « l’émergence d’une parole jeune, collective ».
On pense alors au fiasco de l’avis du Conseil de la Jeunesse sur l’avortement – cinquante jeunes incapables de se mettre d’accord sur la notion de « droit » à l’avortement. Un évènement qui accélérera la réflexion politique sur la nécessité d’une nouvelle réforme.
La composition de l’assemblée générale du Conseil de la Jeunesse est l’un des enjeux essentiels de la prochaine réforme de l’organe d’avis des jeunes francophones du pays.
La ministre de la Jeunesse, Evelyne Huytebroeck, dans son projet de décret, encore en discussion, propose une refonte importante de cette instance :
• vingt-quatre jeunes seraient désignés par les Organisations de Jeunesse ;
• vingt-quatre jeunes seraient élus à partir d’une liste de candidats « parrainés » par un groupe local de mouvement de jeunesse, un service d’aide en milieu ouvert, une maison de jeunes ou un conseil local de la jeunesse ;
• douze jeunes seraient élus à partir d’une liste de candidats dits indépendants (les jeunes « non-organisés », ou « non-affiliés ») ;
• Enfin, cinq jeunes seraient « cooptés » par l’assemblée générale.
L’assemblée générale passerait donc de 50 à 60 membres. Pour rappel, l’actuel Conseil de la Jeunesse compte trente membres « issus » des Organisations de Jeunesse ou de centres de jeunes, quinze issus du monde étudiant ou de l’Aide à la jeunesse et cinq d’initiatives collectives (les non-organisés).
Avant 2009, le Conseil de la jeunesse était essentiellement composé de représentants d’organisations de jeunesse.
Une créature hybride
Avec cette nouvelle réforme, encore en discussion, le Conseil de la Jeunesse deviendrait une sorte de créature hybride, comptant des jeunes directement désignés par les Organisations de Jeunesse, des jeunes « cooptés » et d’autres directement élus (cf encadré).
Le secteur Jeunesse fait donc bien son come-back. Première raison avancée pour expliquer ce retour : le Conseil de la Jeunesse, pour être membre de plein droit du Forum européen de la Jeunesse, doit intégrer en son sein des représentants du secteur. Bien sûr, il ne s’agit pas de la seule raison. Pour Marc Chambeau, du cabinet d’Evelyne Huytebroeck, « les organisations de jeunesse pourront aider à la construction d’une parole citoyenne jeune ».
Une parole citoyenne, certes. Mais dans les faits, les OJ ne vont-elles pas débarquer avec leurs gros sabots de « professionnels » de la jeunesse, avec leurs revendications et leur discours bien rodé ?
« C’est un risque, admet Marc Chambeau du cabinet d’Evelyne Huytebroeck. Mais ces 24 jeunes désignés de moins de trente ans sont minoritaires. Ils vont devoir convaincre les autres jeunes avec des arguments non-sectoriels. Le pari que nous faisons c’est que les OJ aient une fonction d’appui et de soutien pédagogique auprès de jeunes qui ont peut-être moins d’expérience. »
En toute logique, les Organisations de Jeunesse et autres centres et maisons de jeunes accueillent d’un œil favorable cette réforme – du moins dans ses orientations générales. « Cela va permettre une plus grande mixité, affirme Annick Hoornaert, présidente de la CCOJ, la voix du Conseil sera issue d’une plus grande pluralité. » Quant à la CCMCJ, elle est plutôt enthousiaste à l’idée de « parrainage », qui permettra, notamment à des jeunes de maisons de jeunes, de siéger au conseil.
Pourtant, ces deux commissions consultatives ont rendu un avis négatif sur le texte en son état actuel. Ce faisant, elles ne rejettent pas en bloc la proposition, bien au contraire, mais pointent des lacunes, des termes flous. La notion de « parrainage », par exemple, demanderait à être mieux définie. La « cooptation de cinq membres » gêne la CCOJ. Des avis négatifs pour mieux aiguillonner le politique.
Si la plate-forme « Het werk – ça marche » a comme mission de faire émerger une « parole jeune » sur le territoire bruxellois, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un « Conseil de la jeunesse bruxellois ».
Les enjeux de jeunesse bruxellois concernent le Conseil de la jeunesse flamand et le Conseil francophone, ces conseils étant des structures « communautaires » et non régionale.
Pour favoriser des prises de position communes et un dialogue structurel, la ministre Evelyne Huytebroeck, dans son prochain décret, va proposer de mettre sur pied une « Commission permanente de relation intrabelge ». On trouverait dans cette commission les trois Conseils de la
jeunesse du pays.
L’occasion de parler de Bruxelles, mais, au delà, de tous les enjeux jeunesse de Belgique.
Une reprise en main des professionnels de la Jeunesse
Les réserves de fond on les trouve chez certains jeunes de l’actuelle assemblée générale du Conseil. Azdine Ezzahti est de ceux-là. Élu en 2009 membre de l’Assemblée générale du Conseil de la jeunesse, il fait aussi partie du conseil d’administration de l’organisation.
Le projet de la ministre lui reste un peu coincé en travers de la gorge. « L’objectif est ici de bétonner la place des OJ, en leur offrant des sièges sans passer par l’élection », dit-il. Selon lui, l’appartenance à une OJ n’offre nullement la même légitimité que celle issue du vote.
Il voit dans cette nouvelle répartition des sièges, annoncée par la ministre, un futur écrasement des jeunes dits « non organisés », comme s’il fallait que le secteur reprenne en mains un Conseil de la Jeunesse trop immature. « Même les 24 jeunes parrainés viendront d’organisations structurées », souligne Azdine Ezzahti, pour illustrer son propos. C’est bien une « lutte de pouvoir » qu’il dénonce entre ceux qui sont reconnus par le système et ceux qui ne le sont pas.
Quant à l’argument de la représentativité, Azdine Ezzahti le balaie d’un revers de la main : « Personne n’a d’éléments objectifs pour chiffrer précisément la représentativité. On sait très bien qu’il y a plus de jeunes qui ne sont pas dans une organisation de jeunesse que le contraire. Personnellement, je me sens représentatif des jeunes qui m’ont élu. »
La peur des jeunes qui font le plus de bruit.
Les mouvements d’humeur qui s’expriment face à la proposition de nouveau décret ne sont pas ignorés au cabinet d’Evelyne Huytebroeck. On rappelle que le nombre de jeunes « non-organisés » va passer de cinq à douze avec cette nouvelle mouture. « De plus, ajoute-t-on au Cabinet, nous tentons de trouver l’équilibre entre les deux. Les uns trouveront toujours que les autres sont surreprésentés. »
Quant aux jeunes des OJ, selon Marc Chambeau, ils ne seront pas « représentants de », ou « chargés de parole par », mais plus simplement des « jeunes en débat avec d’autres jeunes ».
Des arguments qui ne convainquent guère Azdine Ezzahti : « La ministre veut plaire à tout le monde. Mais elle a plus peur des jeunes qui font le plus de bruit. De ceux qui sont payés à temps plein pour la critiquer. »
Au delà de la discorde, Géraldine Motte s’interroge plutôt sur le sens de ces débats : « À mon avis on s’attarde un peu trop sur la composition du Conseil alors que je suis convaincue que c’est dans la manière de travailler, dans la répartition des rôles ‘qui fait quoi’, dans la méthodologie qu’on peut vraiment faire émerger cette parole jeune. »
1. Conseil de la Jeunesse :
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