Julien Choppin fait partie d’ «Encore heureux», un collectif d’architecture qui, a gagné le concours de conception du site la COP21 (la 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, Paris) avec un bâtiment fait de matériaux de réemploi, bâtiment qui ensuite sera démontable.
Tout cela est prévu pour fin novembre. Enfin aurait été prévu si le projet avait été monté… COP21 avait opté pour le concept du collectif «Encore Heureux», mais elle n’a pas poussé la vertu jusqu’à appliquer l’idée! L’heure du réemploi dans le bâtiment n’aurait-elle pas sonné?
Alter Échos: Julien, cette décision tombée en juin vous a forcément déçu…
Julien Choppin: On avait gagné le concept, mais pas l’accompagnement et le suivi. On avait pensé un bâtiment emblématique réutilisable en en changeant l’usage. Des villes étaient intéressées pour ce réemploi. Mais les décideurs ont choisi de ne pas donner suite à ce bâtiment. Le projet sera développé par un aménageur, plus un concepteur. La COP21 se déroulera dans un bâtiment sans doute, temporaire, de structure événementielle classique. Pas dans le bâtiment qui avait séduit. C’est une déception mais surtout une interrogation sur l’adéquation entre le fond et la forme. Comment traiter un sujet aussi important sans apporter suffisamment d’attention au cadre de la discussion? Pour nous, cela parle de notre époque et de la place laissée aux concepteurs.
A.É.: Les bâtiments à démolir, c’est une banque de matériaux, mais qu’est-ce qui est réutilisable?
J.C.: Pour faire simple sur le sujet, on a eu des expériences traumatisantes de scénographies imposantes qui au bout de trois mois, volaient à la poubelle. C’était un gâchis parce qu’on n’avait pas anticipé cette fin. Avec «Encore heureux», on a envisagé de créer un genre de «récup center», un centre de matériaux de construction de second usage. Mais nous n’étions pas une start up, nous n’étions pas organisés pour gérer ces tâches.
On a alors monté une exposition, «Matière grise» (en 2014), avec un gros travail de recherche sur la question du matériaux et du réemploi. Cela eut un énorme écho dans la profession, parce qu’elle reconnait à la fois une crise de la matière et une accumulation des déchets! Dans l’exposition, il y avait un constat très déprimé sur le monde mais aussi la recension de 75 projets qui construisent à partir de réemploi. Depuis, nous sommes engagés dans des études de construction avec réemploi, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris par exemple, en équipements éphémères.
A.É.: Avec le bâtiment de réemploi, n’y a-t-il pas un risque d’IKEAtisation de nos lieux de vie, vite démontés mais vite cassés?
J.C.: Il y a quantité de dérives possibles avec le réemploi. Mais l’idée est de s’attacher à l’emploi des matériaux en amont ou en aval. Soit on construit avec de la récup’. Soit on se pose la question de la reconstruction au montage. Qu’est-ce qui est démontable, réutilisable, qui émet du carbone ou en capte?
Aux USA , les constructions en bois sont vite démontées et réutilisées alors qu’un pavillon en parpaing ne se récupère pas. Tout ces éléments assemblés sont impossible à recycler. Aujourd’hui, le débat «environnement/bâtiment» est très focalisé sur la consommation de l’énergie, le «basse énergie». Mais le débat sur l’énergie grise, l’énergie nécessaire pour produire la matière de construction, est évincé. Il faut déplacer l’enjeu écologique sur la production de la matière.
A.É.: La récupération demande de la souplesse. Les normes la permettront-elles?
J.C.: La question normative est un des grands freins qui rend difficile de réemployer des matériaux dans un bâtiment public. N’importe quel matériau doit avoir un PV avec toutes ses caractéristiques pour que le bureau de contrôle puisse donner un avis favorable sur le respect des normes en vigueur. Le réemploi pose question parce qu’en déconstruction, différents matériaux peuvent être agrégés, n’être caractérisables que par expérimentation.
A.É.: Mais alors, l’impact du secteur du réemploi ne sera-il jamais massif dans la construction?
J.C.: C’est tout sauf la solution. C’est peut -être une façon de considérer autrement la matière et de redévelopper du bon sens. Le réemploi a toujours existé dans l’architecture. On a toujours reconstruit en déconstruisant. L’épuisement des ressources montre qu’il faut changer de paradigme, retrouver ce bon sens. À l’échelle de la planète, le réemploi est plutôt subi, par défaut, mais malgré tout, les bidonvilles sont de l’architecture et de la récupération.
On a le sentiment qu’une des panoplies pour construire une architecture plus juste, moins énergivores est aujourd’hui très déconsidérée, très marginalisée. Le siège de du Conseil européen est peut-être un projet paradoxal du point de vue environnemental, mais l’architecture produite est moderne (la façade est entièrement composée de centaines de châssis de fenêtre traditionnels issus de tous les pays d’Europe, réunis par la société belge Antiek Bouw, NDLR). Le réemploi peut donner des architectures très étonnantes, très contemporaines parce que très dessinées. Et pas forcément un pastiche du passé.
A.É.: Le secteur du réemploi serait le mal aimé de l’écologie ?
J.C.: Disons que la directive européenne mise tout le développement sur l’objectif de 70% de recyclage des matériaux issus de la démolition. Nous, on pointe les limites de cette politique. Quand une fenêtre PVC est recyclée en Autriche, transporter en Belgique, avec des traitements très énergivores dans le cadre des métaux, est-ce efficace d’un point de vue environnemental?
A.É.: Vous évoquez la Belgique comme en avance sur le principe de réutilisation dans la construction?
J.C.: Il y a peut-être un effet de loupe, mais le collectif d’architectes Rotor a mis la Belgique sur la carte du réemploi. À chaque fois qu’on parle de réemploi, on nous dit «Rotor Belgique». Ils ont effectué une recension de toutes les entreprises de réemploi en Belgique et leur travail est de grande qualité. Ils sont très pragmatiques, très dans le réel, ce sont des pionniers à l’échelle européenne. Le CIFFUL (Centre Interdisciplinaire de Formation de Formateurs de l’Université de Liège, NDLR) a également publié un guide méthodologique pour accompagner les constructeurs dans la récupération, pour récupérer des briques, des châssis. Des choses simples mais ce sont des signaux. Le territoire est plus petit, votre gestion des déchets semble être menée par une politique un peu plus rigoureuse. En France, on continue à enfouir…
En savoir plus
«Guide pratique sur le réemploi / réutilisation des matériaux de construction», Éditions de l’Université de Liège – CIFFUL – 2013
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