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Dossier

Contraception masculine, une technique de pro?

Que fait un homme quand il veut prendre sa contraception en main ? Il en parle avec sa copine ou un pote… Tiré d’une étude, ce constat souligne le désert médical auquel la gente masculine est confrontée dès que l’on parle de santé reproductive. Pourtant, certains professionnels de la santé se penchent sur la question. Mais ils se heurtent à différents écueils : manque de techniques disponibles, tradition, absence de formation, craintes de la part des hommes…

(c) Philippe Debongnie

Que fait un homme quand il veut prendre sa contraception en main? Il en parle avec sa compagne ou un ami… Tiré d’une étude, ce constat souligne le désert médical auquel la gent masculine est confrontée dès que l’on parle de santé reproductive. Pourtant, certains professionnels de la santé se penchent sur la question. Mais ils se heurtent à différents écueils: manque de techniques disponibles, tradition, absence de formation, craintes de la part des hommes…

Au CHU Saint-Pierre de Bruxelles, Daniel Murillo reçoit le journaliste en tunique médicale verte, à la manière de ce qu’il fait pour les couples lui rendant visite dans le cadre de consultations de procréation médicalement assistée (PMA). Bien sûr, qui dit PMA dit désir d’enfant. Mais une fois celui-ci assouvi, d’autres questions pointent le bout du nez, comme la contraception. Oui, les couples ayant des problèmes de fertilité recourent aussi à certains moyens contraceptifs. Et comme pour la majorité des couples, ces moyens sont souvent de la responsabilité de la femme. Une situation que certaines aimeraient voir changer. «Bon nombre de femmes présentes à ma consultation ont commencé à dire qu’elles en avaient assez de porter, seules, ces questions de contraception», retrace Daniel Murillo. Cette situation a poussé ce chef de clinique adjoint en Andrologie et PMA à s’intéresser à une alternative: la contraception masculine. Au point de devenir une des références en la matière en Belgique francophone et de proposer systématiquement cette alternative à ses patients. «Pourtant, vous seriez venu il y a dix ans, je n’aurais rien pu vous dire», ajoute-t-il comme pour illustrer la situation actuelle d’une partie de ses collègues. Dans beaucoup de cas, la contraception masculine reste effectivement le parent pauvre du domaine. Les praticiens n’y pensent pas. Où, quand ils le font, se heurtent à d’autres obstacles: refus de la part des hommes, manque de techniques de contraception masculine réversibles, etc.

Des époux pas très branchés

Faisons tout d’abord le point. Il existe deux techniques de contraception masculine aujourd’hui remboursées sur le territoire belge: le préservatif et la vasectomie (stérilisation). Pourtant, d’autres méthodes ont produit des résultats prometteurs: contraception «thermique», hormonale… Mais elles se heurtent à différents problèmes comme une non-reconnaissance par l’OMS, une absence de tests à grande échelle. «Il n’existe pas de médicament enregistré qui ait le label ‘Contraceptif masculin’», déplore Daniel Murillo. Du côté des praticiens, cette limitation «technique» constitue une première pierre d’achoppement. «Ce n’est pas un sujet dont on s’occupe beaucoup, notamment parce que nous sommes un peu limités au niveau des techniques disponibles», concède Thierry Van der Schueren, secrétaire général de la Société scientifique de médecine générale.

«Pour les hommes, si la vasectomie tourne mal, la pire des choses qu’il puisse leur arriver est de perdre un testicule. Chez les femmes, avec la ligature des trompes, le pire scénario, c’est la mort…» Christophe Assenmacher, urologue

D’après lui, la contraception masculine serait pourtant de plus en plus proposée aux patients, notamment grâce à la «féminisation de la profession». «Les conseils dans ce domaine sont plus systématiques», assure le secrétaire général. Attention: derrière le mot «conseil» se cache en fait la vasectomie, tant le préservatif semble vite abandonné une fois que le couple est stabilisé. Christophe Assenmacher est urologue aux Cliniques de l’Europe et vice-président de la Société belge d’urologie. Des vasectomies, il en effectue «deux ou trois par semaine». Un chiffre qui est en augmentation sur le territoire belge. D’après l’Inasti, près de 11.000 hommes ont eu recours à cette forme de stérilisation en 2018, contre 10.000 en 2017, 8.500 en 2014 ou 7.300 en 2010. Une option examinée davantage qu’auparavant, en lieu et place de la ligature des trompes chez la femme, quand le couple envisage une contraception «définitive». «Si vous comparez la vasectomie à la ligature des trompes, il n’y a pas photo, détaille Christophe Assenmacher. Pour les hommes, si la vasectomie tourne mal, la pire des choses qu’il puisse leur arriver est de perdre un testicule. Chez les femmes, avec la ligature des trompes, le pire scénario, c’est la mort…» Signe de ce tournant, le nombre de ligatures des trompes est en baisse depuis quelques années, toujours d’après l’Inasti: 5.211 en 2013, 4.175 en 2016, 3.787 en 2018…

Attention: la vasectomie reste une technique qui n’est pas suggérée à tout le monde. Elle est la plupart du temps définitive et ne s’applique donc en principe pas aux hommes qui souhaiteraient avoir des enfants. À titre d’exemple, Christophe Assenmacher ne la pratique pas chez les hommes de moins de 30 ans. Autre «détail»: malgré le léger engouement à son égard, la vasectomie reste un phénomène de niche. «Les femmes que je rencontre n’ont en général pas des époux très branchés là-dessus. Et ceux qui acceptent viennent de milieu assez éduqués», témoigne Axelle Pintiaux, cheffe de gynécologie obstétrique à l’hôpital Érasme. Serait-ce son côté définitif qui effraie? «Ça peut avoir un effet, mais il y a surtout une peur infondée d’atteinte à la virilité», constate Thierry Van der Schueren. Une peur qui semble bien plus présente dans le sud du pays que dans le nord. D’après les chiffres de l’Inasti, trois quarts des vasectomisés en Belgique sont des Flamands. Et au niveau européen, «plus on remonte vers le nord, plus la vasectomie est courante», note Christophe Assenmacher. «C’est culturel, analyse-t-il. Dans le nord, on est plus pragmatique. Quand on parle de vasectomie, les hommes demandent une date d’intervention. Dans le sud, ils bondissent au ciel.»

Focus sur les couilles

Malgré ce frémissement, un constat s’impose: le fait de proposer – ou pas – la contraception masculine aux patients reste un choix personnel des praticiens. En gros, il n’existe pas de «protocole» fixe à appliquer par chaque professionnel de la santé dès lors que l’on parle de contraception. Et ce constat est également valable pour des structures de première ligne comme les plannings familiaux. Ici aussi, c’est la liberté de chaque professionnel qui prévaut, que l’on se trouve dans le cadre de l’Evras (l’éducation à la vie sexuelle et affective en milieu scolaire) ou des consultations au sein des plannings.

Le fait de proposer – ou pas – la contraception masculine aux patients reste un choix personnel des praticiens, guidé par leurs intérêts personnels, leur militance.

Comment expliquer cette situation? Par la sacro-sainte liberté associative. Il est difficile pour les fédérations d’imposer quoi que ce soit à des membres jaloux de leur indépendance. «Les centres sont intéressés par cette thématique, tente de tempérer Caroline Watillon, chargée de mission à la Fédération laïque des centres de planning familial. Mais si on leur dit: ‘Voilà un protocole à appliquer’, cela ne va pas fonctionner.» Du côté des fédérations, on joue donc plutôt la carte de l’émulation et de l’échange de bonnes pratiques. Témoin de cette tendance: l’organisation, le 4 février 2020 à Bruxelles de «Focus sur les couilles», le «Premier colloque sur la contraception dite masculine en Belgique», à l’origine duquel on trouve notamment la Fédération des centres pluralistes de planning familial. Au programme ce jour-là: une soirée d’ateliers tous publics mais aussi une série d’exposés et de débats destinés à sensibiliser les professionnels. Parmi les stands garnis de slips chauffants (contraception thermique) et de godemichets, on croise quelques travailleuses du planning familial «Le 37», situé à Liège. D’emblée, Florence, Coline et Marjorie admettent que, si le sujet de la contraception masculine est abordé en interne depuis longtemps, il ne fait pas l’objet «d’une réflexion d’équipe pour l’aborder automatiquement». En cause, de nouveau: le nombre limité de techniques validées et le peu d’informations disponibles à ce sujet.

Autre point, interpellant: les hommes seraient peu présents en planning familial. Ce qui rendrait le travail de sensibilisation compliqué. Une affirmation confirmée par des chiffres fournis par la Fédération des centres de planning et de consultations (FCPC) dont fait partie «Le 37». À la FCPC, les hommes représenteraient seulement 25% des consultations. Du côté des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes, on parle de 14%. «Les centres de planning familial traitent de sujets qui, culturellement, sont encore vus comme liés aux femmes. Il y a la contraception, mais, même pour les interruptions volontaires de grossesse, on ne voit pas beaucoup les hommes, alors que ça concerne le couple dans son ensemble…», tente en guise d’explication Pascaline Nuncic, chargée de mission à la Fédération des centres de planning familial des «FPS».

Plus globalement, c’est le rapport des hommes à leur santé qui serait différent. Thierry Van der Schueren note que «les hommes sont en retrait dès lors que l’on en vient aux choses médicales, ce n’est pas limité à la contraception. On les voit moins que les femmes, qui consultent plus. Il existe un rapport genré à la santé». Résultat des courses: lorsqu’il s’agit de sa santé reproductive, et a fortiori de contraception, l’homme ne va consulter que lorsqu’il y a un problème. Un phénomène qui serait à nouveau culturel: «Depuis que la contraception s’est développée et médicalisée dans les années 60 avec la pilule contraceptive féminine, on a en quelque sorte déclaré les hommes hors contraception», analyse Daniel Murillo. Dès leur puberté, les jeunes filles sont envoyées chez le gynécologue avec qui elles parlent de contraception. Pour les jeunes hommes, c’est le néant, il n’existe pas d’endroit où ils puissent aborder ce sujet. Illustration édifiante de ce désert médical, une enquête menée en 2017 par Solidaris1 montrait que les femmes se voyaient conseiller des moyens contraceptifs par – dans l’ordre d’importance – leur gynécologue, leur famille et leur généraliste. Chez l’homme, il s’agit de la partenaire, de la famille et d’un ou une amie… Une situation qui pousse Daniel Murillo à envisager la création, au sein du planning familial du CHU Saint-Pierre, d’une consultation dévolue à la santé sexuelle et à la contraception des hommes.

Des slips chauffants dans Playboy?

Reste que, pour que tout cela fonctionne, il faudra aussi former les professionnels. «Les acteurs de première ligne n’ont pas d’information à ce sujet, beaucoup ne sont pas formés. Quand je parle de contraception masculine à mes collègues, certains lèvent les yeux au ciel», sourit Daniel Murillo. Avant de souligner une «anecdote» en guise d’exemple. «On dit qu’il n’existe pas de méthodes alternatives à la vasectomie ou au préservatif. Mais c’est faux. Certaines substances présentes sur le marché, prévues pour d’autres usages thérapeutiques, ont des effets contraceptifs chez les hommes. Je pense notamment à la testostérone. On pourrait l’utiliser ‘off label’. Mais peu de praticiens le savent.»

«Quand je parle de contraception masculine à mes collègues, certains lèvent les yeux au ciel.» Daniel Murillo, chef de clinique adjoint en Andrologie et PMA au CHU Saint-Pierre

Dans d’autres cas, c’est à nouveau le facteur culturel qui prend le dessus. Christophe Assenmacher pointe le cas d’un collègue, très religieux, qui refuse de pratiquer la vasectomie. Les travailleuses du 37, elles, soulignent le poids de l’habitude. «Quand on fait un dépistage chez une femme, on pense à parler de santé reproductive. Alors qu’avec un homme, non.» D’autres évoquent, un peu sous le manteau, la pilule féminine qui nécessite que l’on multiplie les visites chez le gynécologue, qui peut à chaque fois les facturer. Alors que des techniques définitives comme la vasectomie sont réglées en une ou deux consultations…

Autant d’écueils qu’il faudra dépasser, en plus de celui d’un élargissement des options validées de contraception masculine. Et puis? Et puis il faudra aussi probablement passer par des campagnes de sensibilisation. À ce propos, Axelle Pintiaux a une petite idée, pas si bête que ça. «Si un jour les ‘médias masculins’ – NDLR: comme Playboy ou GQ  pouvaient en parler, on ferait un pas dans la bonne direction…»

  1. Grande enquête – Contraception 2017, Solidaris, Fédération des centres de planning familial des Femmes prévoyantes socialistes.
Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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