Les services de proximité à finalité sociale recouvrent des activités et des conditions d’exercice très variables. À travers uneétude1, SAW-B tente de mieux cerner les contours de ce secteur à partir de quatre points de vue : le financement et la solvabilisation, les travailleurs, les usagers et lalibéralisation des services.
C’est à l’issue de la Seconde Guerre mondiale qu’une série de services sociaux ont commencé à être externalisés de la sphèrefamiliale, a rappelé Jean-Louis Laville, professeur titulaire de la Chaire relations de servie au Centre national des arts et métiers (Cnam) en France, à l’occasion duséminaire de présentation de l’étude réalisée par Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B) le 31 mars dernier. Un consensus avaitalors été dégagé : ces services doivent rester dans une logique non-marchande. Selon Jean-Louis Laville, avec l’augmentation du chômage et l’apparitionde besoins sociaux non satisfaits (aide et soins à domicile, gardes-malades, aides familiales, brico-dépannage, garde d’enfants, etc.) dans les années ’80, les pouvoirspublics ont financé les services en fonction de leur capacité à créer de nouveaux emplois avant de considérer l’intérêt social et lespriorités dans les besoins à rencontrer.
Financement : de la subvention au marché
En Belgique, cette logique a culminé avec l’introduction des titres-services qui répond à une logique de subventionnement de la demande. En outre,l’exonération fiscale dont bénéficient les utilisateurs s’apparente à une subvention bénéficiant à des ménages aisés, aestimé Jean-Louis Laville. Le principal écueil de cette approche, par rapport à celle qui consiste à financer l’offre de services, réside dans le peud’accessibilité au système pour les familles les plus modestes et donc, dans un renforcement des inégalités.
Se centrant sur l’expérience des titres-services, le Centre de recherche pour la solidarité et l’innovation sociale (Cerisis) de l’UCL a réalisé uneétude comparative de leur mise en œuvre par les services publics et l’économie sociale d’une part, par le privé marchand d’autre part. Ses conclusionsviennent déforcer la controverse alimentée par la fédération patronale de l’intérim (Federgon) estimant que les autres organismes agrééstitres-services lui font une concurrence déloyale en cumulant plusieurs sources de subventionnement (aides à l’emploi). Pour le Cerisis, la meilleure qualitégénérale de l’accompagnement, de l’emploi et des services rendus par les acteurs non-marchands justifie, rétrospectivement aussi, cette différence detraitement.
Mais une autre menace plane sur les services de proximité : l’application de la célèbre directive européenne visant à libéraliser les services (voirAlter Échos nº260). Il leur faudra désormais répondre à trois critères pour continuer à bénéficier du subventionnement publicà 100 % : le caractère de nécessité du besoin à couvrir, le caractère particulier de la mission et le caractère obligatoire de la fourniture duservice. Restera à ceux qui ne rempliront pas ces critères la possibilité de répondre à des appels d’offres de marchés publics. Soit une nouvellecompétence gestionnaire, à intégrer dans les équipes dirigeantes, difficilement soutenable pour les petites structures.
Sans compter les effets négatifs de la libéralisation, tant pour les usagers (voir la dualisation de l’accès aux soins dans le contexte des maisons de repos) que pourles travailleurs (voir le cas des barèmes moins avantageux dans la commission paritaire « titres-services » que dans celle du nettoyage par exemple), dénoncés parLuca Ciccia du service d’études de la CNE.
Autre écueil pour les travailleurs dans le développement des services de proximité par le soutien de la demande : la multiplication des relations de service bilatéralesdirectes avec les « clients ». Là où le salariat permet d’articuler une rémunération à un collectif détenteur de droit et à laconstruction d’une identité liée au travail, les emplois « de gré à gré » suppriment cette triangulation régulatrice etintégratrice, estime Jean-Louis Laville.
La participation, une démarche de qualité ?
Les prestataires de services de proximité à finalité sociale font face à une autre contradiction, quasi structurelle : la double aide ou double injonction. «Il s’agit de créer de l’emploi pour des personnes en difficulté sur le marché de l’emploi – donc, souvent, peu qualifiées au départ –en même temps que d’offrir des services de grande qualité », a relevé Eric Dewael, chargé de projet à la SAW-B.
Dans quelle mesure la culture de la participation des travailleurs, valeur chère à l’économie sociale, permet-elle de résoudre ou de surmonter ces contradictions? L’exemple de l’Aide à domicile en milieu rural (ADMR) semble indiquer qu’il est possible d’articuler représentation syndicale et consultation dynamique dessalariés. D’après l’exposé qu’en a fait Christelle Verbeure, directrice de l’antenne tournaisienne de l’ADMR, la consultation permet uneappropriation permanente par les salariés de la qualité des conditions de travail tout comme de l’évolution des pratiques et de la qualité des services rendus. Lesdiscussions et échanges ont lieu au sein de conseils régionaux et interrégionaux dans lesquels sont représentés à la fois chaque équipe et chaquemétier. Les avis qu’ils produisent font l’objet d’un aller-retour avec le conseil d’administration.
L’ADMR compte au total 1 600 travailleurs ; de plus petites entités ont plus de difficultés à formaliser une culture de la participation, comme Fobagra, une ILDE activedans la lutte contre la fracture numérique. Stephan Platteau, directeur de Fobagra, déplore le peu de moyens et parfois le peu de motivation et d’intérêt de la partdes travailleurs stagiaires pour une implication qui dépasse la prestation classique d’un travail. Malgré ces difficultés, le souci de la participation reste pour StephanPlatteau comme une alternative spécifique intelligente à l’approche « technicisée et procédurale de certification de la qualité, qui a tendance àéloigner la réflexion et la gestion du vécu des salariés et des usagers », dénoncée par Jean-Louis Laville.
Gestion : tu
yauterie cherche plombiers
Un « grand » constat de l’étude de SAW-B : les sources et modes de financements sont si divers et nombreux qu’il est nécessaire de développer unevéritable ingénierie pour assurer la viabilité économique des structures bénéficiaires. Un constat qui se superpose à un autre, plus discret, mais quiapparaît en filigrane de l’étude de SAW-B et dans les discussions informelles : les compétences managériales font trop souvent défaut dansl’économie sociale, généralement tributaire de précurseurs militants qui auraient des difficultés à « passer la main ».
Sans pouvoir la chiffrer, l’enquête détecte une forte progression de la demande de services de proximité, dont le succès des titres-services ne serait qu’unsigne. « Pour des crèches, la demande est énorme, estime Véronique Huens, coordinatrice de l’étude. Le vieillissement de la population fait aussiapparaître de nouvelles demandes pour des petits travaux, du jardinage, etc. »
Et les usagers ?
L’étude de SAW-B montre la gradation qui existe dans la participation des travailleurs. Avec la création de crèches parentales, certains deviennent travailleurs dans unservice de proximité. D’autres ont des difficultés à exprimer leurs besoins. D’autres encore ne ressentent pas le besoin de participer à la définitiond’un service ou de sa qualité. Par ailleurs, pour les organisations actives dans l’insertion socio-professionnelle, la participation des usagers ne figurerait pas au rang destoutes premières priorités.
Autre enjeu de la participation : l’accessibilité financière. Entre le prix imposé (comme pour les titres-services) et la liberté de prix, certains servicestentent la dégressivité. Avec une grande difficulté : sur quels critères l’établir ? D’autres encore feraient l’expérience de lacontribution laissée au libre choix de l’usager.
Face à l’apparition de nouveaux besoins, le secteur fait ses expériences, traçant les contours des enjeux de demain, entre professionnalisation et exploration departenariats (jardinage et aide familiale…) au prix d’une plus grande coordination et de l’interdisciplinarité. Certains sont même à se demander commentaccompagner les bénéficiaires « finaux » dans des démarches de re-sollicitation de la famille et de l’entourage pour être aidés dans unesérie de tâches, a constaté Marie-Caroline Collard, directrice de SAW-B. Quitte à aller contre le cours de l’histoire ?
1. Services de proximité à finalité sociale (Les dossiers de l’économie sociale), coordonné par Véronique Huens, Solidarité desAlternatives wallonnes et bruxelloises, 2008/n° 1.
L’étude est disponible au prix de 15 euros auprès de SAW-B, rue Monceau-Fontaine, 42/6 à 6031 Monceau-sur-Sambre – tél. : 071 53 28 30 – courriel :info@saw-b.be