À Forest, l’association Convivial1 offre les clés d’une nouvelle vie aux réfugiés, de l’accueil à l’insertionsocioprofessionnelle. Grâce aux dons, l’offre se complétera bientôt d’une maison communautaire.
Une jeune femme indécise entre dans le bureau de Marie, responsable de l’aide matérielle. « J’ai trouvé des vêtements, de la vaisselle, j’aichoisi le canapé et le lit mais j’hésite pour la salle à manger. Je peux revenir ? » Elle pourra revenir, deux fois encore, faire son marché dans lesallées des vastes hangars de la rue du Charroi à Forest. Pour la salle à manger, Marie lui a déconseillé de prendre l’ensemble pour huit personnes qui seraplus utile pour une famille qu’à elle seule, dans son petit logement. La jeune femme fait la moue, elle aurait préféré tout emporter aujourd’hui… Ellepaie les 15 euros forfaitaires pour le transport en camion des meubles et ustensiles jusqu’à son domicile. Modeste participation aux frais. L’espace réservé à« l’aide matérielle » (mobilier, vaisselle, vêtements, aide alimentaire) est impressionnant et occupe une dizaine de personnes pour trier, ranger, organiser le stock,conseiller les bénéficiaires. Et ce n’est là qu’une infime partie des services offerts par l’asbl ! Avec sa cinquantaine de travailleurs, ses dizaines debénévoles, ses activités d’écoute, d’accompagnement, de formation, d’aide matérielle, toutes bien rodées, ses milliers de mètrescarrés organisés au mieux des besoins, on pourrait croire que l’asbl Convivial, « Mouvement d’insertion des réfugiés », installée dans desbâtiments prêtés gracieusement par Electrabel dans la commune bruxelloise, existe depuis toujours2. Elle est pourtant née au hasard d’une rencontre,d’une « histoire inattendue », comme l’explique sa fondatrice Marie-Noëlle de Schoutheete.
« Tout a commencé le jour où j’ai ouvert ma porte à Florida ». Florida Mukeshimana a fui le Rwanda avec ses quatre enfants. Son mari, ministre rwandais desAffaires étrangères, a été assassiné dans les premiers jours du génocide. Elle a vécu l’horreur, la fuite pour survivre et l’accueil enBelgique est une épreuve supplémentaire : déracinée par obligation, elle doit faire face à l’incompréhension et au mépris. Marie-Noëlleconnaît un peu le Rwanda pour y avoir vécu quatre ans, elle est veuve également et ses quatre enfants ont le même âge que ceux de Florida. Autant de points communs nepouvaient que rapprocher les deux femmes. Dans un premier temps, la maison de Marie-Noëlle sert de refuge, de base pour un nouveau départ. L’hôtesse est plongéemalgré elle dans la réalité complexe des réfugiés et ses tracasseries quotidiennes : trouver un logement et de quoi payer la caution locative, trouver des meubleset des habits, une école pour les enfants, un travail… Ces exilés doivent tout redémarrer à zéro et vivre avec leurs cauchemars. Un petit réseau desolidarité, fait d’astuces, de prêts et de récup’, se met en place. Il servira à la famille Mukeshimana, puis à d’autres familles, au fil des mois. Lamaison de Marie-Noëlle ne reste jamais vide : dès qu’une famille a trouvé un logement, elle en accueille une autre. L’idée est là, il n’y a plusqu’à la faire germer. En avril 1996, Marie-Noëlle, Florida et les amis qui forment le noyau dur de ce réseau d’entraide constituent l’association « Convivial– Convivium – Together ». Pour des raisons de statut et d’efficacité, il faut « cibler » le public concerné : ce seront les réfugiés etles demandeurs d’asile autorisés à rester en Belgique. L’objet de l’association, c’est l’accompagnement dans tous les sens du terme. Plusprécisément, Convivial repose sur trois piliers essentiels : celui de l’écoute individuelle et collective, de l’accompagnement pour effectuer toutes lesdémarches administratives et pratiques, celui de l’aide matérielle pour aider à mener une vie décente en Belgique et enfin, celui de la formation et del’insertion socioprofessionnelle (voir encadré). En boni, l’association essaie, dans la mesure de ses moyens, d’octroyer des prêts gratuits pour aider àl’installation ou payer le minerval des enfants quand ils poursuivent des études.
Les gentils propriétaires existent : Convivial les a rencontrés
Mais la première et la plus grande difficulté, pour ceux qui quittent les centres d’accueil, c’est de trouver un logement qui soit décent, à un prixcorrect. Entre les propriétaires racistes – « je ne loue pas à des étrangers », les propriétaires frileux – « je ne loue pas à ceuxqui émargent au CPAS » – et les vendeurs de sommeil, les pièges sont nombreux. « On aimerait porter plainte contre ces personnes, mais nous n’avons pas de tempspour ça. Et finalement, plutôt que d’établir une black list des mauvais propriétaires, nous avons préféré faire une liste despropriétaires sympas, avec en haut du classement les propriétaires archi-sympas ! », expliquent Marie-Noëlle et Davide Grosso, responsable de l’antenne Logement deConvivial. Archi-sympa ? Certaines personnes n’hésitent pas à appeler l’association pour proposer leur appartement en location, voire à pratiquer un loyer plus basque celui du marché et parfois même à prêter un logement pour des périodes de transit. « Pour l’instant, nous avons vingt-huit propriétaires sympaet environ cent-vingt logements, tous sur Bruxelles. Mais nous sommes toujours à la recherche de nouveaux candidats à la sympathie, partout en Belgique », sourit Davide. En outre,un don anonyme conséquent a permis à l’asbl d’acquérir un bâtiment, chaussée d’Alsemberg, qui sera réhabilité en appartementsdestinés aux réfugiés. Au rez-de-chaussée, un espace commercial devrait également permettre de vendre les produits fabriqués dans les ateliers de menuiserieet de couture de l’association.
Des jardins pour les déracinés
Au final, tous les besoins primordiaux des réfugiés peuvent être rencontrés. Au fil des ans, quand de nouveaux besoins émergent, tout le monde se met autour de latable pour chercher des solutions innovantes. « Le moteur essentiel de notre association, c’est la gestion participative, et les réfugiés se trouvent à tous lesniveaux : dans le conseil d’administration, aux postes clés, etc. Ils connaissent mieux que personne les difficultés et les besoins sp&e
acute;cifiques de ceux qui arrivent tous les ansen Belgique. C’est pour eux et avec eux que l’on travaille », insiste Marie-Noëlle. Ainsi, il est devenu évident qu’il fallait un accompagnement spécifiquepour les mamies. Un groupe a donc été constitué pour une trentaine de dames âgées de soixante à quatre-vingt-sept ans, qui savent qu’elles nereverront plus jamais leur terre natale…
La parole libère un peu de la souffrance, les autres activités permettent de se maintenir en bonne santé physique et mentale : cours de gymnastique – il faut voir cespetites vieilles danser gaillardement sur des rythmes africains ! – et mise en œuvre d’un « potager des déracinés », cours de cuisine,d’alphabétisation ou encore de tricot. Le dernier-né de ces programmes collectifs est mené par Concilie qui écoute, traduit et retranscrit les « récitsde vie » de ces femmes qui se racontent avec pudeur. Leur histoire, souvent extraordinaire, sera peut-être un jour éditée pour nourrir la mémoire collective de ceuxqui ont été forcés à l’exil. Avec les papies, elles prennent aussi des cours d’informatique qui leur permettent de rester en contact par e-mail avec desmembres de leur famille, parfois dispersés aux quatre coins du monde. S’ils ont perdu tout espoir de retour et effectuent en Belgique leur dernier voyage, Convivial met tout enœuvre pour que celui-ci soit le moins solitaire et le plus solidaire possible.
Le joli pari de la formation menuiserie
Une insertion réussie dans la société qui vous accueille passe souvent par une insertion professionnelle. Convivial a donc mis au point trois types de formation –couture, informatique et menuiserie – et un service de guidance individualisé, qui ont surtout pour but de mettre le pied à l’étrier et de définir le projetprofessionnel de chacun. La formation en menuiserie – reconnue comme Atelier de formation par le travail (AFT) depuis 2007 – a d’ores et déjà fait la preuve de sonefficacité puisqu’elle a permis à des jeunes de signer des contrats dans des entreprises. « Le secteur est porteur et les entreprises sont demandeuses demain-d’œuvre bien formée et fiable. Au bout de cinq mois de formation, les jeunes font un mois de stage d’immersion en entreprise. Sur les quatre jeunes que nous avonsformés, deux ont signé chez leur patron au terme du mois de stage. Les deux autres auraient également dû être engagés mais leurs papiers n’étaientpas encore en règle », explique Pierre Gelis, responsable des formations. Pour l’instant, l’atelier a déjà assuré quelques commandes, pour desparticuliers et des associations. Le centre pour handicapés Farra Clerlande a ainsi passé commande de modules de psychomotricité pour adultes. En 2008, un partenariat aété passé avec des étudiants de Solvay et de l’UCL pour mener une étude de faisabilité pour l’établissement d’une entreprised’économie sociale en menuiserie. Convivial n’a pas fini de grandir…
1. Convivial :
– adresse : rue du Charroi, 33-35 à 1190 Bruxelles
– tél. : 02 505 43 46
– site : http://www.convivial.be
2. Convivial est toujours à la recherche de personnes motivées qui peuvent offrir de leur temps pour faire de l’écoute ou de l’accompagnement individualisé.La formation est assurée par l’asbl. Pour garantir l’aide matérielle offerte aux réfugiés, Convivial compte également sur des dons pour assurer le stockde biens à distribuer. L’association manque essentiellement de lits, matelas et sommiers en bon état, d’ustensiles, d’électroménagers et devêtements.