Le mouvement coopératif est à la traîne en Belgique par rapport à d’autres pays d’Europe. Un constat posé par le gouvernement wallon, qui a annoncé en juillet un train de mesures pour lui donner un nouveau souffle. Les acteurs de terrain se mobilisent, quant à eux, pour une meilleure reconnaissance du système.
L’attention pour le secteur coopératif n’est pas neuve en Wallonie. En décembre 2014, le ministre de l’Économie sociale, Jean-Claude Marcourt, a lancé le dispositif «Brasero». Son principe est simple: pour chaque euro apporté par un coopérateur, la Société wallonne d’économie sociale marchande (Sowecsom) ajoute un euro supplémentaire en capital. Vingt coopératives, actives dans des domaines comme le maraîchage, la distribution ou l’immobilier, ont jusqu’ici bénéficié de ce soutien. Mais l’été dernier, le ministre socialiste a décidé d’aller plus loin en approuvant le doublement de l’intervention maximale de la Sowecsom, dont la mission est de financer des projets d’économie sociale en entrant dans le capital de la société concernée. «Avant, on pouvait apporter 100.000 euros à un projet, maintenant, on peut aller jusqu’à 200.000», se réjouit Flora Kocovski, directrice de la Sowecsom. Ces fonds additionnels, qui s’élèvent à 2,45 millions d’euros, sont largement bienvenus, souligne Flora Kocovski, car «certains projets ont plus d’ambition ou de potentiel de croissance plus important et nécessitent par conséquent des moyens supplémentaires». Désormais, un projet peut donc voir le jour avec 400.000 euros. Les travailleurs des coopératives soutenues par la Sowecsom «auront cinq ans pour racheter petit à petit la majorité du capital», souligne-t-on auprès du cabinet de Jean-Claude Marcourt. «Il s’agit d’une forme de prêt faite par la coopérative au bénéfice de ses travailleurs», ajoute le ministre.
«Trop d’acteurs pensent que les coopératives concernent uniquement les entreprises sociales. […]» Bert Levuur, cofondateur de la société coopérative flamande LevuurL’autre axe du projet Marcourt consiste à donner une impulsion aux «coopératives de travailleurs associés» (CTA), un «nouveau dispositif légal qui permettra, d’une part, à des travailleurs souhaitant reprendre leur entreprise d’être directement aidés et, d’autre part, de soutenir les porteurs de projet qui souhaitent créer leur propre entreprise-coopérative de travailleurs», selon le ministre. Concrètement, les travailleurs «pourront bénéficier directement de prêts, via des organismes de crédit avec qui la Sowecsom établira une convention, qui leur permettront d’acquérir des parts de leur entreprise afin de pouvoir suffisamment la capitaliser», selon Jean-Claude Marcourt. Ce mécanisme s’apparente à du «microcrédit collectivisé», relève le ministre, selon qui un «arrêté complémentaire sera adopté courant novembre au plus tard» pour mettre en place le système. C’est la Sowecsom, en partenariat avec les organismes de crédit, qui analysera les dossiers en vue d’un éventuel soutien.
Ces mesures tentent notamment de répondre au défi majeur de la transmission d’entreprises en Wallonie. D’après une étude réalisée par l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et la statistique (IWEPS), 20 à 30% des PME seront confrontées à un problème de transmission d’entreprises d’ici à 2020 en raison du vieillissement de la population.
Un cadre à définir
En plus des coopératives classiques, l’accent est donc mis sur les entreprises d’économie sociale de type CTA. Une coopérative de travailleurs associés a pour caractéristique que «le capital de l’entreprise est détenu en grande partie, voire entièrement, par les travailleurs qui la composent», explique Quentin Mortier, coordinateur études et animations au sein de Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B). Le nombre de CTA est difficile à estimer mais il reste très faible, selon les acteurs du secteur. Il faut donc clarifier cette notion, «assez récente en Belgique», estime Quentin Mortier.
Jean-Claude Marcourt a, dans son arrêté, formulé sept critères à respecter pour être considéré comme une CTA. Ils comprennent notamment la nécessité de compter au moins 50% de coopérateurs parmi les membres du personnel et d’attribuer au moins 25% des bénéfices à l’ensemble des travailleurs, qu’ils soient coopérateurs ou non. Il s’agit d’une «première évolution positive» en termes de définition du concept, reconnaît Quentin Mortier. «Mais il y a plusieurs façons de définir une coopérative de travailleurs associés et le ministre n’a développé que quelques critères pour délimiter les entreprises qu’il soutiendra via ses mécanismes», regrette-t-il.
En Europe, l’histoire des CTA remonte pourtant à près de deux siècles. La première coopérative de travailleurs associés est née à Paris en 1833. Depuis lors, de nombreuses structures similaires ont vu le jour en France et se sont regroupées sous l’appellation de sociétés coopératives et participatives (SCOP). Aujourd’hui, on compte 35.000 coopératives de travailleurs en Europe, selon la Cecop-Cicopa, Confédération européenne des coopératives industrielles et de services. Si ce modèle de société à gestion coopérative et participative se développe principalement en France, en Espagne et en Italie, les «SCOP» restent rares en Belgique. La principale cause? Une absence de cadre juridique, fiscal et social. Une partie importante du secteur se mobilise pour créer un tel statut. Et c’est justement dans cette perspective que l’Union des SCOP Wallonie-Bruxelles s’est constituée en 2013 grâce à la volonté de plus de 30 entreprises aux statuts variés, représentant 750 emplois. Mais le combat est loin d’être terminé, comme le souligne Jérôme Herman, directeur de la société coopérative informatique Damnet et membre de l’USCOP Wallonie-Bruxelles. «Aucune mesure n’est encore prise à ce propos et c’est ce qu’on essaye de faire changer au niveau fédéral», explique-t-il.
Lente éclosion
Malgré les efforts du gouvernement, les coopératives décollent doucement en Wallonie. Les résultats du projet Brasero ne répondent pas encore aux attentes de la Sowecsom, qui souhaite voir naître 50 à 70 nouveaux projets par an en vitesse de croisière, contre vingt depuis la création du dispositif il y a plus d’un an. D’où l’importance de communiquer davantage sur ce modèle d’entreprises. En plus d’être peu connues, «les coopératives souffrent d’une image parfois négative, comme si fonctionner sur un mode participatif sans but de maximaliser les dividendes n’en faisait pas de vraies entreprises», relève le cabinet de Jean-Claude Marcourt qui admet que «faire adopter un arrêté par le gouvernement wallon et dégager le budget nécessaire est la partie facile du dossier». Bert Levuur, cofondateur de la société coopérative flamande Levuur, insiste également sur la nécessité d’atteindre un public plus diversifié, car «trop d’acteurs pensent que les coopératives concernent uniquement les entreprises sociales, alors qu’elles peuvent s’appliquer à tous les secteurs».
Entre-temps, Flora Kocovski, la directrice de la Sowecsom, se dit tout de même «satisfaite du résultat». Plus de 60 dossiers sont en cours d’instruction au sein de la Société wallonne d’économie sociale marchande. Le ministre de l’Économie sociale estime qu’au vu des critères requis pour bénéficier d’une aide, «au moins la moitié feront à terme l’objet d’un financement». «La mesure Brasero va donc connaître une croissance exponentielle au fur et à mesure qu’elle sera connue du grand public comme des acteurs économiques, et que la notoriété des projets qu’elle soutient augmentera», conclut-il.
«Sandrino Graceffa : «Les coopératives remettent en cause le contrat social», Fil Info, 31 octobre 2014, Rafal Naczyk.
«Quelques coopératives autour d’un Brasero», Alter Échos n°407, 23 juillet 2015, Julien Winkel.
Aller plus loin
«Sandrino Graceffa : «Les coopératives remettent en cause le contrat social», Fil Info, 31 octobre 2014, Rafal Naczyk.
«Quelques coopératives autour d’un Brasero», Alter Échos n°407, 23 juillet 2015, Julien Winkel.