D’abord, il y a l’émergence du modèle coopératif. Ensuite, le constat qu’un grand nombre d’entreprises wallonnes seront exposées à la reprise dans les prochaines années. Additionnez le tout et vous obtenez, au sein du gouvernement wallon, des dispositions visant à favoriser la mise sur pied de «coopératives de travailleurs», inspirées des SCOP à la française.
Non content d’avoir mis en place en 2014 le dispositif Brasero – qui permet de doubler chaque euro investi par un coopérateur via la Sowecsom (Société wallonne d’économie sociale marchande) –, Jean-Claude Marcourt (PS), ministre de l’Économie, persiste et signe dans la logique coopérative. Il a ainsi fait adopter en décembre dernier par le gouvernement wallon un arrêté qui vise à faciliter et à accompagner la création ou la reprise directe d’une entreprise par ses travailleurs. Inspiré du modèle français des SCOP (sociétés coopératives et participatives) mais aussi des modèles espagnols et italiens, ce dispositif suppose que le capital de l’entreprise soit détenu à hauteur d’au moins 51% par les travailleurs et que ces derniers représentent 65% des droits de vote à l’assemblée générale. En Belgique, il existe certes depuis 2013 une Union des SCOP Wallonie Bruxelles, mais les membres ne répondaient pour l’instant que très partiellement aux critères énumérés ci-dessus, faute d’un contexte financier et législatif favorable. Soucieuse de rappeler qu’un cap vient d’être passé, Flora Kocovski, directrice de la Sowecsom, nous prie d’ailleurs instamment de laisser tomber l’acronyme. «Si on veut continuer à en parler entre nous et que ça ne marche pas, continuons à appeler ça des SCOP! Mais si on veut faire quelque chose qui prend de l’ampleur, on doit arrêter, car soit les personnes ne comprennent pas ce que ça veut dire et se découragent, soit tombent sur la législation française qui ne s’applique absolument pas en Wallonie», argumente-t-elle.
Une capitalisation facilitée
Passons donc sur le mal nommé «Printemps des SCOP» qui s’est tenu en mars à Namur: l’heure est venue des «coopératives de travailleurs» dont on compterait en Europe quelque 35.000 spécimens. «Les scénarios que l’on prend en exemple à l’étranger ont souvent été le résultat de conflits sociaux: des entreprises vont mal, ferment, les travailleurs réagissent et, au final, reprennent l’outil. Ici, nous ne sommes pas là-dedans, mais dans une démarche proactive qui sensibilise les cédants à la possibilité de vendre à leurs travailleurs. C’est une perspective beaucoup plus durable et visionnaire», explique Nicolas Pirotte, manager de la Sowaccess (Société wallonne d’acquisitions et de cessions d’entreprise), chargée dans ce dossier de coordonner et de promouvoir, parmi d’autres, ce mode de reprise.
«Aller trouver une banque en tant que travailleurs et annoncer qu’on veut racheter sa boîte en tant que coopérative, je doute que ça fonctionne facilement!», Flora Kocovski, Sowecsom
En théorie, en Belgique comme ailleurs, la création ou la reprise d’entreprises par les travailleurs a toujours été possible. Possible mais pas faisable. «Aller trouver une banque en tant que travailleurs et annoncer qu’on veut racheter sa boîte en tant que coopérative, je doute que ça fonctionne facilement! D’autant plus qu’il faut affronter les préjugés qui demeurent autour de l’économie sociale», raconte Flora Kocovski. Il existe cependant des contre-exemples héroïques: à Namur, la société de support IT Damnet, dont la Sowecsom est coopératrice depuis de nombreuses années, a grandi en impliquant chaque travailleur dans le capital et les organes de gestion. «Mais il n’y a pas 50 cas en Belgique», ajoute Flora Kocovski.
Objectif donc: faire de l’exception non la règle mais une option crédible. Dans cette optique, deux mécanismes visant à favoriser le financement ont été mis sur la table. Premièrement, l’investissement par la Sowecsom d’un euro pour chaque euro investi par un travailleur, et ce jusqu’à 400.000 euros, sur le modèle «coup compte double» de Brasero. Au moins la moitié des parts détenues par la Sowecsom devra ensuite être rachetée par les travailleurs endéans les cinq ans. Le deuxième mécanisme relève quant à lui du «microcrédit collectivisé»: il vise à faciliter l’obtention de crédits professionnels par les travailleurs, en vue de capitaliser leur entreprise. Concrètement, les travailleurs pourront contracter un prêt de maximum de 25.000 euros en vue d’acquérir des parts de leur société. Ce prêt fera l’objet d’une garantie de la part de la Sowalfin (Société wallonne de financement et de garantie des petites et moyennes entreprises), à concurrence de 75%. De quoi convaincre plus facilement son banquier. Pour assurer ces missions, la Sowecsom comme la Sowalfin se sont vues dotées d’un budget de plus de 2 millions chacune.
Reprise vs création
Par temps de délocalisation et de quête de sens en milieu professionnel, un modèle basé sur une gestion plus horizontale et plus équitable de l’entreprise est loin d’être incongru. Encore faut-il que, outre ces mesures de facilitation, le cédant comme les travailleurs se laissent convaincre qu’ils ne font pas là une mauvaise affaire. «Les valeurs du cédant sont la porte d’entrée: il faut que celui-ci ait un socle de valeurs en adéquation avec ce genre de scénario de reprise. Si on a un entrepreneur qui tient à céder à ses enfants ou qui veut absolument maximiser le prix de la négociation finale, c’est mal bar’, analyse Nicolas Pirotte. L’autre critère, c’est le profil et la volonté des travailleurs de s’inscrire dans cette dynamique. Il est évident que tous les travailleurs n’ont pas cette fibre entrepreneuriale, cette envie d’avoir plus de responsabilités.»
Selon une étude de l’IWEPS, au moins 10.000 PME wallonnes – représentant quelque 100.000 emplois – seraient à remettre d’ici à 2020-2025.
Qu’importe: ce mode de transmission, en enrichissant l’offre, pourrait surtout remettre au goût du jour la «reprise», souvent éclipsée par la très sexy «création». «Si les entreprises qui disparaissent sont systématiquement remplacées par des industries qui se créent, on reprend toujours tout à zéro et ça donne un tissu économique fragile, avec un impact sur l’emploi, poursuit Nicolas Pirotte. Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs politiques, académiques ou du monde de l’entreprise font la part belle à la création et oublient qu’il faut aussi et d’abord pérenniser le tissu économique existant!» Rappelons à ce propos que, selon une étude de l’IWEPS (Institut wallon de l’évaluation, la prospective et la statistique) parue en mai 2016, au moins 10.000 PME wallonnes – représentant quelque 100.000 emplois – seraient à remettre d’ici à 2020-2025. 23% des PME wallonnes sont en effet dirigées par un patron de 55 ans au moins: parmi elles 33% ont un dirigeant âgé de plus de 65 ans. Toujours selon l’IWEPS, un cédant potentiel sur cinq entrevoit une passation de pouvoir intrafamiliale et un sur cinq une éventuelle transmission à un membre (ou plusieurs) du personnel. «Nous avons rencontré ces derniers mois plusieurs entrepreneurs qui souhaitaient transmettre leur entreprise à des salariés alors que ce n’est pas un milieu traditionnellement familier de l’économie sociale. Mais nous sommes dans un moment propice avec des enjeux démocratiques et sociétaux qui les conduisent à envisager d’autres formules», raconte Flora Kocovski. Et les intéressés devraient se montrer bien plus nombreux encore en 2018, après le démarrage de la campagne de promotion «officielle» prévue pour le dernier trimestre de cette année, le temps d’opérationnaliser le dispositif. D’autant que, Nicolas Pirotte l’assure, la formule n’exclut aucun secteur: «Partout, on trouve des entrepreneurs qui ont cette fibre sociale et qui ne rêvent que de vendre à leur personnel tellement la relation est bonne. Ce serait une erreur de croire que c’est propre à des entreprises à vocation sociale. Vous pouvez avoir des entreprises hyper-capitalistiques avec à leur tête des gens très humains!» Alors, merci qui?
En savoir plus
«La perfectible ascension des SCOP belges», Alter Échos n° 422, Julien Winkel, 19 mai 2016.