Impasse environnementale, sociale, économique et politique: les coopératives citoyennes veulent proposer une solution alternative à un modèle énergétique en crise. Après le succès d’Ecopower en Flandre, Cociter espère s’imposer en Wallonie comme le fournisseur d’électricité 100% renouvelable et citoyenne.
À regarder les offres des fournisseurs d’énergie, il semblerait que tous proposent aujourd’hui une option «verte» à leurs clients. Mais comme l’a montré Greenpeace1, leur engagement réel vis-à-vis des sources d’énergie renouvelable résiste mal à un examen détaillé: selon l’association de défense de l’environnement, seuls trois d’entre eux (Ecopower, Énergie 2030 et Wase Wind) tirent leur épingle du jeu avec une note de 20/20. Même Lampiris, qui a joué un rôle important dans le développement des énergies renouvelables, plafonne à 13/20. Mais on est loin du score indiscutablement médiocre des géants énergétiques tels que RWE Essent, GDF Suez/Electrabel et le groupe EDF/EDF Luminus qui obtiennent respectivement une note de 6/20, 5/20 et 4/20. La plupart de ces acteurs, s’ils achètent de l’énergie verte, n’investissent en effet pas dans les outils de production de l’énergie renouvelable mais continuent, en revanche, de placer leurs deniers dans l’énergie nucléaire et les combustibles fossiles. «Certains fournisseurs se contentent parfois d’acheter des certificats de garantie d’origine», précise Steve Francis, administrateur de la coopérative Condroz Énergies citoyennes, active dans le domaine de l’hydroénergie et de la biométhanisation agricole.
Du greenwashing au « citoyenwashing »
Mais parallèlement à cette forme de greenwashing se développe aussi un «citoyenswashing»: non contents de proposer de l’énergie «verte», nombre de ces fournisseurs ont également mis sur pied leur propre «coopérative» pour concurrencer les coopératives citoyennes. «En Belgique, la coopérative ne veut pas dire grand-chose au niveau juridique. Bien sûr, ce qui est intéressant, ce sont les coopératives agréées, soit qu’elles aient reçu l’accord du Conseil national de la coopération et/ou qu’elles aient l’agrément de société à finalité sociale. Mais comme les coopératives sont à la mode, certains acteurs de l’énergie ont fondé leur propre coopérative qui ne l’est qu’au sens légal du terme et qui ne respecte ni les valeurs et ni les pratiques du mouvement coopératif», explique Benjamin Huybrechts, chargé de cours à HEC-École de gestion de l’Université de Liège. «Ce sont des coopératives de façade qui limitent le montant que peuvent investir collectivement les citoyens tout comme leur condition d’accès à l’investissement, par exemple en fonction de leur proximité géographique», poursuit Steve Francis. Un moyen détourné pour ces fournisseurs privés de mettre notamment la main sur les éoliennes avant que les «vraies» coopératives citoyennes ne s’en mêlent.
«Les coopératives citoyennes proposent en revanche aux coopérateurs de devenir copropriétaires des éoliennes et des panneaux photovoltaïques mais aussi d’avoir un véritable droit de codécision en matière de politique menée», explique Dirk Knapen, facilitateur au sein de Rescoop.be (Renewable Energy Sources Cooperative), qui rassemble les coopératives mais aussi tous les groupes de citoyens actifs dans le domaine des énergies renouvelables. Cette structure – qui existe également au niveau européen (rescoop.eu) – entend créer une force d’opposition, en dépit des difficultés liées à la chute des prix du courant électrique et à la diminution des certificats verts. «Le contexte politique est défavorable aux coopératives citoyennes et fait le jeu des fournisseurs privés, notamment en maintenant les centrales en activité», déplore Dirk Knapen.
Ecopower, modèle du genre
En Flandre, où le marché de l’énergie a été libéralisé dès 2003 (contre 2007 pour Bruxelles et la Wallonie) et où le contexte politique était bien plus propice, la coopérative Ecopower – premier de classe dans le classement de Greenpeace – fait figure de modèle du genre. Avec ses quelque 50.000 coopérateurs – qui sont aussi ses clients –, elle est à ce jour la plus grande société coopérative productrice d’électricité en Europe. «Chez Ecopower, le coopérateur moyen possède quatre parts. Cela signifie que certains en ont dix ou vingt mais que la plupart en ont une ou deux. Or un coopérateur égale toujours une voix. Dans l’assemblée générale, quand la question est de savoir si on augmente les tarifs ou les dividendes, les coopérateurs opteront donc majoritairement pour maintenir des prix bas puisqu’ils sont aussi clients», illustre Dirk Knapen. La structure même de la tarification participe d’ailleurs à la réduction de la consommation d’énergie. «Ecopower a choisi d’inclure tous les coûts dans le prix du kilowattheure (kWh), même la partie fixe du raccordement. Donc moins on consomme, moins on paie. Le tarif unique favorise par ailleurs les décisions d’achat. S’il est de 21 centimes/kWh et qu’un frigo indique 100 kWh de différence à la consommation, je sais que ça correspond à une économie de 21 euros», poursuit-il.
À Bruxelles, où l’énergie verte bénéficie encore d’importants incitants financiers, il existe aujourd’hui une coopérative citoyenne d’investissement, Energiris, qui soutient l’installation de panneaux photovoltaïques. Mais c’est en Wallonie, où le territoire permet également l’installation de nombreuses éoliennes, que des coopératives productrices d’énergie renouvelable ont émergé en nombre ces dernières années – qu’il s’agisse de Courant d’Air, Ferréole, Lucéole, HesbÉnergie, etc. «Au sein de Rescoop-Wallonie, l’ensemble des coopératives rassemble déjà 5.400 coopérateurs, avec un capital social de plus de 7 millions d’euros. Sur 12 coopératives, cinq sont déjà en production et produisent plus de 26.000.000 kWh/an, soit la consommation de 7.500 ménages. Nous avons donc du potentiel de développement!», assure Bernadette Hoste, administratrice de Rescoop-Wallonie et de Cociter, qui devrait devenir le point de rencontre incontournable pour les futurs clients-coopérateurs en Région wallonne. Ces petites structures se sont en effet rassemblées récemment sous cette bannière afin de peser davantage dans la balance énergétique. Coopérative de coopératives productrices d’énergie, Cociter assurera le rôle de fournisseur, sur le modèle d’Ecopower.
Un bien commun
Bien sûr, investir dans une coopérative – les parts sont en général fixées à 250 euros, voire 125 euros avec des dividendes limités à 6% – en appelle à d’autres considérations qu’économiques. «Les coopératives ne peuvent pas garantir le prix le plus bas du marché mais elles travail
lent dans un esprit de pérennité, non seulement au niveau de l’énergie mais aussi de l’emploi puisque leur fonctionnement empêche qu’un site puisse être fermé sur la décision d’une seule personne», explique Steve Francis. Le circuit court de financement proposé par la coopérative – avec une transparence totale quant à l’utilisation de l’argent investi – se double par ailleurs d’une valorisation de l’aspect local. «En Belgique, il y a plus de 3.000 anciens sites hydroénergétiques: chez Condroz Énergies citoyennes, nous sommes en train de retourner vers cette inspiration qui n’intéresse plus les grandes entreprises mais qui peut en revanche enthousiasmer les gens du coin!», poursuit-il. Car, aux yeux des coopératives citoyennes, le véritable enjeu est de considérer à nouveau l’énergie comme un «bien commun», qui, en tant que tel, n’a pas à être privatisé, y compris et surtout au prétexte du renouvelable. «Que les revenus de ce bien retournent vers l’ensemble de la communauté est une logique qui n’est pas acceptée par le capitalisme. En tant que coopératives, nous voulons aussi l’indépendance énergétique, un tarif abordable et prévisible, un environnement sain, de l’emploi local», conclut Dirk Knapen. Du durable donc, mais pas à n’importe quel prix.
1 www.greenpeace.org/belgium/fr/electricite-verte/
Alter Échos n°401 : «En 2050, à quoi carburera la Wallonie?», Amélie Mouton, mai 2015.