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Regard critique · Justice sociale

Agriculture

Cordon alimentaire à Liège

Depuis plusieurs années, des alternatives au circuit alimentaire dominant se déploient en région liégeoise. Jardins collectifs, microfermes organisées en coopératives, circuits courts de distribution, épiceries écoulant uniquement des produits du cru. Désireuse de relier la ville à la campagne, qui la nourrirait de nouveau, et de rendre de la souveraineté alimentaire à la province, la Ceinture aliment-terre liégeoise entend s’installer comme le trait d’union entre ce foisonnement de projets locaux.

Depuis décembre dernier, Constant, Marc et Gabriel se sont lancés le maraîchage. ©Quentin Noirfalisse

Depuis plusieurs années, des alternatives au circuit alimentaire dominant se déploient en région liégeoise. Jardins collectifs, microfermes organisées en coopératives, circuits courts de distribution, épiceries écoulant uniquement des produits du cru. Désireuse de relier la ville à la campagne, qui la nourrirait de nouveau, et de rendre de la souveraineté alimentaire à la province, la Ceinture aliment-terre liégeoise entend s’installer comme le trait d’union entre ce foisonnement de projets locaux. 

Le soleil cogne comme un boxeur sur le retour, et l’ombre s’est effacée du potager collectif de la rue Nicolas Fossoul, posé à l’arrière d’une rangée de maisons à Boncelles, sur les hauteurs de Seraing. Constant Koumparoulis, psychologue de son état, genoux pliés et casquette vissée sur le crâne, inspecte et retourne la terre autour d’une rangée de salades. Son front sue. Ses mains sont noires. Le retour à la terre a ses plaisirs et ses contraintes. Depuis quelques mois, il apprend à cultiver des choses simples. Rhubarbe, salade, haricots, bourrache. Les tomates sous serre, ce sera pour plus tard.

En décembre dernier, avec Marc et Gabriel, ils décident de se lancer dans le maraîchage. Les deux autres agissent déjà dans des potagers collectifs à Grâce-Hollogne et Boncelles. «On a contacté le propriétaire de ce terrain-ci. Il n’en faisait rien, alors il nous l’a prêté gratuitement.» D’un coup, ils se retrouvent avec 3.500 m2 de terre. Depuis, une dizaine de personnes contribuent au potager avec Constant.

«Notre but, c’est de montrer qu’on peut s’emparer d’un terrain comme de simples citoyens. Je suis dans une réflexion sur la décroissance et la transition: un jour, quand il n’y aura plus de pétrole, nous serons obligés d’atteindre davantage d’autonomie alimentaire. Avant, dans les logements sociaux, il y avait des jardins collectifs. Maintenant plus. Alors on s’y remet.»

L’investissement n’est pas forcément grandiose. Selon Constant, avec des passages de trois ou quatre heures par semaine, on parvient déjà à faire pousser quelques variétés. Rue Fossoul, on partage tout à parts égales. Les semences sont amenées par les cultivateurs en herbe et mises en commun. Des perches en bois accueilleront bientôt des haricots grimpants, et une foule de questions se posent pour la suite: comment irriguer au mieux? que planter pour la suite de l’année? comment commercialiser la production? quel statut adopter? Par curiosité pour ce potager et pour tenter d’offrir des pistes de réponse, trois membres des Compagnons de la Terre discutent longuement avec Constant, Marc, Gabriel et les autres cultivateurs. Cette «coopérative paysanne et citoyenne» veut aider de nouveaux agriculteurs à se lancer dans la production agroécologique et les circuits courts.

Ceinture alimenaire - Constant (c)Quentin Noirfalisse

L’appel de la terre

Elle a lancé deux sites pilotes à Tilff et à la ferme-école de Bierleux Haut, à Stoumont. Dans un coin de la tête, ses membres veulent tester une gouvernance participative et tenter de mettre en commun les outils et les savoirs. En 2016, ils passeront à la vitesse supérieure. Près de trente hectares de terre les attendent à Blegny, pour du maraîchage, de l’élevage, faire du fromage et, idéalement, créer une vingtaine d’emplois.

Les Compagnons de la Terre sont une des premières émanations d’un projet plus large, la Ceinture aliment-terre liégeoise. «On assiste actuellement à un déclin de l’agriculture paysanne locale, avec la perte de savoir qui va avec, explique Christian Jonet, de l’asbl liégeoise Barricade, partenaire de la Ceinture. Mais on constate aussi qu’il y a depuis vingt-cinq à trente ans, en région liégeoise, une dynamique de circuits courts, de groupes d’achats locaux. Ce que nous désirons, c’est faire réseau, ou ‘ceinture’, sur l’ensemble de la province, entre les différents projets qui existent en termes d’alternative de production et de distribution agricole.»

©Quentin Noirfalisse

Alors que l’âge moyen de l’agriculteur, en Belgique, est de 56 ans, et que soixante exploitations familiales disparaissent chaque semaine, un essaim d’initiatives ont germé autour de Liège, chacune posant, à sa manière, la question de la souveraineté alimentaire et de la production locale. Ainsi, à côté des Compagnons de la Terre, il y a aussi Fungi Up!, un kit qui permet de faire pousser des pleurotes à partir de marc de café et de paille dans un souci de recyclage, la «boulangerie politique» un Pain C’est Tout ou une entreprise de formation par le travail comme la Bourrache, qui enseigne le maraîchage et compte plus de deux cents personnes sur sa liste d’attente.

La Ceinture aliment-terre vise, à terme, à augmenter la part de consommation locale dans l’alimentation des habitants de la région liégeoise. Pour y parvenir, elle tente d’identifier où sont les manques, «de prôner l’apprentissage collectif, de mutualiser les outils, les savoirs et les savoir-faire et de recréer une alliance ville-campagne», selon Christian Jonet.

«On voulait agir sur des chaînons manquants. Terre-en-vue répond à la question de l’accès à la terre, des initiatives comme Point ferme s’attellent à celle de la distribution des fruits et légumes des agriculteurs locaux, précise Benoît Noël, agronome et membre des Compagnons de la Terre. Il manquait un travail d’appui à la production et à la transformation, qui se trouvent entre les deux. Il est nécessaire d’investir dans l’agriculture naissante et on voit qu’il y a énormément de vocations qui se heurtent à des éléments bloquants, comme le manque d’outils. Nous désirons donc pouvoir partager l’accès à des tracteurs et des ateliers de transformation par exemple.» Le tout en sachant qu’un agriculteur pratiquant une culture maraîchère diversifiée, fonctionnant de façon agroécologique, peut tirer environ 25.000 euros par hectare. Le double s’il intensifie sa production.

©Quentin Noirfalisse

 

Impliquer le mangeur

La Ceinture marque aussi un retour à une certaine logique en termes d’utilisation des terres. Selon Benoît Noël, le coût du foncier et la pollution des sols rendent difficile le développement d’une agriculture purement urbaine au niveau de la ville de Liège.

«Par contre, il ne faut pas oublier que l’hinterland autour de villes comme Liège et bien d’autres a historiquement servi à les nourrir. Les terres destinées aux produits exportables doivent se retrouver plus loin que cette ceinture. Aujourd’hui, on ne pense plus à cette idée de zonage, alors que les terres autour de la ville, dans la Hesbaye et le Condroz, sont riches et fertiles. Cela n’a pas de sens de produire des matières exportables en bordure de ville.»

Comme dans les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) en France, mais aussi dans la coopérative Vins de Liège, très proche de la Ceinture aliment-terre, un rapprochement s’opère entre consommateurs et producteurs, qui, au final, deviennent des contributeurs d’un même système. «Nous voulons impliquer davantage le mangeur, qu’il discute autour de la qualité des produits. C’est un enjeu démocratique que de consacrer du temps et de l’énergie à son alimentation, rappelle Christian Jonet. De plus, une telle manière d’envisager la production garantit non seulement une meilleure rémunération pour les travailleurs mais aussi un respect du patrimoine paysan, des prix justes pour une nourriture de qualité et profitera aux pouvoirs publics en générant de l’emploi et des revenus agricoles corrects.»

Aujourd’hui, l’idée de ceinture ne se cultive pas qu’en région liégeoise. Elle mûrit aussi dans la région d’Ath, à travers le projet Caliterre, et à Louvain-la-Neuve.

Aller plus loin

www.catl.be (Ceinture aliment-terre liégeoise)
www.cdlt.be (Compagnons de la terre) 
www.caliterre.be (Ceinture aliment-terre athoise)

quentin noirfalisse

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