C’est notre poumon vert. Mais si on n’y prend pas garde, il risque bien de se retrouver à bout de souffle. Avec ses 550.000 hectares, soit un tiers de la surface totale de la Wallonie, la forêt ne recule pas devant l’urbanisation galopante mais reste vulnérable face aux invasions d’insectes ravageurs, aux tempêtes et aux périodes de sécheresse. En 2020, la Direction du milieu forestier (DMF) a dressé un bilan de santé de nos forêts. Le diagnostic est inquiétant: si les chênes, les châtaigniers et les charmes se portent plutôt bien, les douglas, les mélèzes, les pins, les sapins, les érables, les frênes et les hêtres ne sont pas en grande forme. Les épicéas, enfin, affichent un bilan sanitaire médiocre.
Vagues de chaleur et inondations
Récemment, de nombreuses parcelles wallonnes ont été touchées par une invasion de scolytes, ces petits insectes qui pondent sous l’écorce des arbres et dont les larves se nourrissent de la sève, ce qui a occasionné d’importants dommages et a forcé les exploitants de bois à abattre des épicéas qui n’étaient pas encore arrivés à maturité. Un manque à gagner particulièrement important pour les propriétaires qui avaient privilégié un peuplement monospécifique. Dans un récent rapport, WWF met justement en évidence le lien entre la monoculture des épicéas et les risques d’inondations. Pour favoriser l’écoulement des eaux de pluie, des sillons ont été creusés entre les rangées d’arbres. Mais en l’absence d’autres végétations, le sol s’est érodé, ce qui a pour effet d’augmenter la vitesse de ruissellement.
«On est dans un contexte de dépérissement de la forêt. Il y a différents facteurs, mais, ce qui a le plus frappé les esprits, c’est cette mortalité liée au scolyte des épicéas. Elle a touché toute la Wallonie et plus largement l’Europe. Or, la prolifération de certains pathogènes, dont le scolyte, a été favorisée par la succession de sécheresses inhabituelles, expose Quentin Ponette, professeur de sylviculture et d’écologie forestière à l’UCLouvain. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience de la fragilité de la forêt par rapport aux changements climatiques. On doit éviter que la forêt soit attaquée. Et si elle l’est, il faut favoriser sa remise en état, la rendre plus résiliente.»
« On est dans un contexte de dépérissement de la forêt. Il y a différents facteurs mais ce qui a le plus frappé les esprits, c’est cette mortalité liée au scolyte des épicéas. Elle a touché toute la Wallonie et plus largement l’Europe. » Quentin Ponette, Professeur de sylviculture et d’écologie forestière à l’UCLouvain.
Pour protéger cet organe vital et lui permettre de se régénérer, la Région veut inciter les propriétaires à miser sur une plus grande diversité d’essences et à revoir leur stratégie en matière de gestion des espaces de plantation pour aller vers plus de biodiversité. Pour les accompagner dans leur démarche, la ministre en charge de l’Environnement et de la Forêt, Céline Tellier (Écolo), a dégagé une enveloppe de 1,5 million d’euros. La même somme est réservée au repeuplement des zones forestières publiques, qui représentent un peu moins de la moitié de la superficie totale pour la Wallonie.
Un projet que Georges Pletinckx, ingénieur eaux et forêt pour l’Office économique wallon du bois, coordonne pour la partie «terrains privés». C’est à quelques encablures de la base aérienne de Florennes, sur la commune de Rosée, qu’il nous emmène pour nous faire découvrir l’une des premières parcelles fraîchement reboisées.
«Le but ultime, c’est de produire un mélange pied par pied. «Ici, désigne l’ingénieur, on a planté six rangées d’un type d’essence puis on est passé à une autre. Tout est question à la fois de diversification et de proportion.»
Sur le 1,63 hectare que mesure la parcelle, les châtaigniers côtoient aujourd’hui les chênes d’Amérique et les chênes sessiles, les merisiers et les érables sycomores. Une ligne de petits tilleuls a été plantée le long du chemin. Initialement, la demande de prime avait été introduite pour une surface de 2,5 hectares mais une partie de la parcelle se trouve en zone agricole. Or, la prime ne peut être octroyée que pour réaménager les surfaces situées en zone forestière.
«L’examen de la candidature d’un projet se fait selon des règles relativement strictes. Il y a certains paramètres à prendre en compte. Trois types de primes ont été prévus. Plus le réaménagement de la parcelle favorise la biodiversité, plus la prime est importante.»
Bibliothèque des essences
Avant la coupe à blanc, la parcelle de Rosée était peuplée de frênes, mais la plupart étaient atteints de chalarose, une maladie fongique causée par un champignon pathogène. D’ici trois ou quatre ans, il sera nécessaire de dégager l’espace autour de ces jeunes arbres afin qu’ils ne soient pas étouffés par la végétation. Autre précaution: des grillages ont été installés pour protéger les plantations des dommages occasionnés par le gibier. Sur d’autres périmètres boisés, l’intervention peut se limiter à l’arrachage de fougères qui, lorsqu’elles sont trop élevées ou recouvrent toute la surface, freinent le processus de régénération.
«Bien qu’ils possèdent des terres, certains propriétaires n’ont aucune connaissance en sylviculture et ne savent pas comment aménager leur parcelle pour favoriser la biodiversité. On fait alors appel à des experts forestiers ou à une cellule d’appui qui leur délivrent des conseils et les aident dans leur choix d’essences.» Le mélange des essences dépendra à la fois de la nature du sol – à Rosée par exemple il est de type limono-caillouteux –, de l’exposition de la parcelle ou encore du niveau hydrique. Pour être certains de faire le bon choix, les propriétaires peuvent aussi s’appuyer sur le Fichier écologique des essences, un outil permettant d’évaluer l’adéquation de certains arbres en fonction des caractéristiques du terrain. Généralement, on favorisera les essences indigènes qui sont parfaitement en adéquation avec la station en matière de vitalité, stabilité et productivité, telles que celles qui occupent aujourd’hui la parcelle de Rosée: le chêne sessile, le hêtre, le charme ou le châtaignier ou certaines essences, non indigènes, mais qui tolèrent bien les changements. On peut aussi planter des arbres qui ne fourniront pas un rendement optimal mais qui seront capables de survivre et de se reproduire, et qui participent à la biodiversité.
Sélection naturelle?
Ce changement de stratégie dans la gestion des espaces signifie-t-il que la forêt wallonne ne sera plus tout à fait la même dans quelques décennies? Qu’on n’y trouvera plus que des essences capables de bien résister aux fortes chaleurs tandis que d’autres disparaîtront? «C’est possible, évalue Georges Pletinckx. Mais la nature est résiliente. Aussi ce changement va-t-il se faire très progressivement. Cela dépendra aussi de l’évolution du climat et des maladies comme la chalarose du frêne.»
«On ne peut pas prédire à quels problèmes on sera confronté à l’avenir et ne choisir que quelques espèces adaptées à un nombre limité de risques est dangereux. Ce n’est pas tant le nombre d’espèces à combiner qui est important mais le caractère spécifique de chaque espèce», complète Quentin Ponette.
Depuis le lancement du projet «Forêt résiliente», 430 demandes ont été introduites par les propriétaires privés. L’opération pourrait être renouvelée d’ici peu.