Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Social

Covid-19: des dégâts financiers en perspective

Depuis le mois de mars, de nombreux Belges ont été impactés par la crise du Covid-19 sur le plan financier. Une série de personnes sont confrontées à des difficultés financières pour payer leur loyer, les factures de base (gaz, électricité, eau…), mais aussi pour se nourrir. Pourtant, peu de nouvelles demandes d’aide sont arrivées auprès des services de médiation de dettes (SMD) ou devant les tribunaux. Du côté des indépendants et des PME, l’inquiétude est déjà très palpable. Avec le déconfinement, le nombre de dossiers risque d’exploser.

©Thomas Hawk, Flick cc

Depuis le mois de mars, de nombreux Belges ont été impactés par la crise du Covid-19 sur le plan financier. Sans un minimum de réserves pour faire face à une diminution de revenus parfois drastique et malgré les mesures mises en place, une série de personnes sont confrontées à des difficultés financières pour payer leur loyer, les factures de base (gaz, électricité, eau…), mais aussi pour se nourrir. Pourtant, peu de nouvelles demandes d’aide sont arrivées auprès des services de médiation de dettes (SMD) ou devant les tribunaux. Du côté des indépendants et des PME, l’inquiétude est déjà très palpable. Avec le déconfinement, le nombre de dossiers risque d’exploser et les services, déjà près de la saturation, pourraient être rapidement débordés.

Par Nathalie Cobbaut, rédactrice en chef des Échos du crédit et de l’endettement

Avec le confinement qui a débuté à la mi-mars, la vie de nombreux Belges s’est retrouvée bouleversée, mais aussi celle de leur portefeuille. Certes, pour un certain nombre de travailleurs issus de secteurs économiques dits «essentiels», les prestations de travail n’ont pas été interrompues, voire se sont intensifiées. D’autres Belges ont poursuivi leur activité en télétravail. Les bénéficiaires de revenus de remplacement (allocations de chômage, de mutuelle, pensions, revenus d’intégration sociale) ont eux aussi continué à percevoir des rentrées similaires. Pour ces Belges-là, le coronavirus aura sans doute eu peu d’impact sur le budget mensuel, si ce n’est une augmentation du poste alimentation de 10 à 15% et d’autres charges liées à une vie de confinement, affectant différemment les ménages selon le caractère étriqué ou non de leur budget.

En revanche, 1,3 million de Belges ont été touchés par le chômage temporaire en avril dernier, soit un tiers des salariés belges qui ont perçu 70% de leur salaire. Quelque 350.000 indépendants ont reçu une aide financière, le droit passerelle s’élevant à 1.291,69 euros mensuels (1.614,10 euros en cas de charge de famille). Les entreprises en difficulté se sont vu octroyer des primes de 2.000 à 5.000 euros pour couvrir (une partie de) leurs pertes, selon les situations et les Régions. Pour ceux-là, les pertes de revenus ont été significatives, mais partiellement suppléées par la sécurité sociale ou des aides spécifiques. Les plus mal lotis sont sans doute les travailleurs de l’économie grise ou souterraine qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans aucune rentrée et sans compensation financière, si ce n’est d’émarger au CPAS, mais sans automaticité.

Quel risque de basculer dans les difficultés?

Ces constats sont corroborés par une enquête effectuée en avril dernier par la Banque nationale de Belgique qui révèle qu’«environ 1 ménage sur 8 (soit 12% des ménages interrogés) est extrêmement vulnérable, dans la mesure où il s’attend à perdre au moins 10% de ses revenus (voire bien plus, NDLR), tout en disposant d’un coussin d’épargne très restreint […][1]». Un sondage réalisé cette fois par l’organisme Test-Achats auprès de 1.000 personnes, les 14 et 15 mai dernier, révèle que les Belges ont perdu un montant moyen de 1.626 euros en cette période de Covid, pour un total de 4,9 milliards d’euros[2]. Par ailleurs, la Banque nationale annonce un redressement économique difficile et le licenciement de près de 180.000 travailleurs, parmi les chômeurs temporaires. Selon l’assureur-crédit Euler Hermès, le nombre de faillites devrait augmenter de 8% à 10% en 2020[3], par rapport au niveau déjà record de 2019.

Les plus mal lotis sont sans doute les travailleurs de l’économie grise ou souterraine qui se sont retrouvés du jour au lendemain sans aucune rentrée et sans compensation financière.

Des mesures ont été prises pour atténuer les effets financiers de l’arrêt de l’activité économique, comme la suspension des expulsions de logement et des coupures d’eau et d’énergie, le report des crédits hypothécaires et à la consommation (voir encadré), l’attribution de primes de loyer pour les Bruxellois aux revenus les plus faibles, la suspension des saisies des biens et du salaire d’un débiteur défaillant, le report de paiement des cotisations sociales… Mais encore faut-il s’y retrouver parmi ces aides et savoir comment y accéder. À côté de ces mesures, des canaux d’informations ont donc été mis en place, tels que les numéros verts/gratuits d’urgence sociale à Bruxelles (le 0800 35 243) et en Wallonie (le 1718).

Ces dispositifs d’information et d’aide ont joué leur rôle durant ces deux mois de confinement et continuent d’être largement sollicités. Comme le précise la Fédération des services sociaux (FDSS), en charge de la coordination de ce numéro d’appel à Bruxelles, «entre le 30 mars et le 17 mai 2020, le numéro vert a reçu plus de 1.500 appels de personnes qui traversent des situations complexes, variées, multidimensionnelles. En tout, 19% des demandes concernent spécifiquement les catégories Revenus (RIS, chômage, pension, Grapa…), Situation financière et endettement et Emploi-Travail-Formation, soit 361 demandes. Les problématiques Aide alimentaire (14,5% de ces demandes), Logement (10% des demandes), Matériel informatique (0,8%) et Énergie (0,7%) sont, dans la très grande majorité des cas, liées à une situation financière difficile». Du côté du numéro gratuit de la Région wallonne – le 1718 –, les mêmes thématiques sont également présentes dans les appels (soit 300 appels par jour au 1718, dont 100 directement liés au Covid): l’aide alimentaire et le logement sont en tête de liste.

Des aides qui tardent

Pour les appels spécifiquement liés aux problèmes de dettes, le numéro gratuit de la Région wallonne renvoie vers la permanence téléphonique de l’Observatoire du crédit et de l’endettement (OCE)[4]. Selon les juristes attachées à ce service, l’Observatoire a été largement sollicité pour des questions portant essentiellement sur l’obtention des différentes aides, mais aussi sur des défauts de paiement de crédits et autres factures. Comme le précise Éléonore Dheygere, «bon nombre d’aides financières n’ont pas été versées rapidement et, fin avril-début mai, certaines d’entre elles n’étaient toujours pas payées, que ce soit les allocations de chômage temporaire, le droit passerelle ou encore les primes pour les entrepreneurs à l’arrêt ou au ralenti. Sans bas de laine pour couvrir les pertes, la question des factures en souffrance se pose alors et des arbitrages doivent être faits: si un prêt hypothécaire était concerné, la demande de report a pu être envisagée, afin de dégager des moyens pour honorer les autres crédits éventuels, les factures de base, le budget alimentaire».

«Les indépendants ont demandé des reports de paiement de cotisations sociales, mais que se passera-t-il dans six mois ou l’an prochain quand il faudra assumer les paiements de cette année et ceux de l’an prochain ?» Sabine Thibault, juriste à l’Observatoire du crédit et de l’endettement

Étant donné l’impossibilité de demander des termes et délais devant le juge de paix, c’est toute la machine qui s’est ainsi grippée, laissant les débiteurs sans recours, si ce n’est de solliciter la clémence de leurs créanciers. Comme le précise Sabine Thibault, également juriste à l’OCE, «certains se sont montrés cléments et ont fait preuve de souplesse. Idem du côté des huissiers qui ont levé le pied sur les procédures de recouvrement. Mais ce n’est pas le cas de tous et nous avons été confrontés à la mise en place de cessions ou saisies sur rémunération suite au non-paiement de mensualités de crédit à la consommation (l’interview date d’avant le report des crédits à la consommation, NDLR). Certains appelants ont même reçu des courriers d’huissiers fixant une vente publique, alors même que ces dernières étaient suspendues».

Enfin, l’OCE a été consulté par de nombreux indépendants et PME. «Là aussi, nous les avons renseignés sur les aides existantes, mais souvent il s’agit de report de paiement comme dans le cas des cotisations sociales. Que se passera-t-il dans six mois quand il faudra assumer ces paiements et ceux de l’an prochain?»

Du côté de la médiation de dettes et du RCD

À Bruxelles et en Wallonie, il existe des services de médiation de dettes (SMD), au sein des CPAS ou dans le secteur associatif, pouvant apporter leur aide aux personnes rencontrant des difficultés financières. Mais il semble que le public touché, peut-être non familiarisé avec ce type de structures, mais aussi pensant que ces services n’étaient pas actifs durant le confinement, ne les a pas contactés. Comme l’explique Jan Willems, responsable du SMD du CPAS de Bruxelles-Ville, «l’ensemble du personnel a été placé en télétravail, mais les travailleurs sociaux ont surtout travaillé sur les dossiers existants, en rassurant les personnes déjà en médiation. On a perdu le contact avec certains, d’autres se sont manifestés pour exprimer certaines difficultés. C’est le cas notamment pour les colis alimentaires, avec une demande générale en forte hausse, ce qui rend l’accès à ceux-ci plus difficile pour ceux qui en bénéficiaient déjà. Une partie importante de nos dossiers concernent des allocataires sociaux: donc pas de gros changements pour eux, si ce n’est les à-côtés qu’ils pouvaient récolter avant le Covid et qui leur permettaient de tenir. Mais nous n’avons en tout cas pas reçu beaucoup de nouvelles demandes, si ce n’est d’indépendants avec des dossiers complexes et pour lesquels on s’attend à être submergé de demandes».

«Nous avons eu des pics de 400 appels par jour et on est passé de 30 dossiers à 100 dossiers par semaine.» Olivier Kahn, responsable du Centre pour entreprises en difficulté de la Chambre de commerce de Bruxelles

Même afflux de demandes d’indépendants du côté du Centre pour entreprises en difficulté (CED)[5] de la chambre de commerce de Bruxelles (BECI). Olivier Kahn, le responsable du service, ne cache pas sa préoccupation face à l’afflux de demandes, auprès de la ligne spéciale Covid (02/533 40 90): «Nous avons eu des pics de 400 appels par jour et on est passé de 30 dossiers à 100 dossiers par semaine. Nous essayons de mettre en place des outils comme des webinaires pour informer les indépendants de manière plus collective et nous comptons aussi sur les services de médiation de dettes pour la prise en charge des dossiers.»

Enfin, les tribunaux du travail, comme le reste de l’appareil judiciaire, ont travaillé à guichets fermés et les procédures de règlement collectif qui permettent l’arrêt des poursuites en cas de non-paiement de dettes et la recherche de solutions entre créanciers et débiteurs, le tout encadré par la justice, n’ont pas augmenté de manière significative. Elles auraient plutôt connu un tassement, lié là aussi à la méconnaissance du public de l’existence des services pouvant les aider à introduire de telles requêtes.

Tous s’attendent pourtant à une augmentation significative des demandes d’aide pour cause de surendettement, liées à des factures en souffrance, des loyers, des taxes ou d’autres dettes restées impayées, et ce, dès l’été et à la rentrée. Avec un risque certain d’embouteillage et des listes d’attente qui vont encore s’allonger pour la prise en charge des dossiers.

Le report des crédits hypos et (enfin) consos

Très vite, au début du confinement, une mesure a été prise pour permettre aux particuliers de reporter le paiement des mensualités de leur prêt hypothécaire, contracté pour un immeuble servant à la résidence principale du ménage. Cette mesure est assortie de conditions: avoir une perte de revenus avérée et liée au Covid, être en ordre de paiement des précédentes mensualités au 1er février 2020, ne pas avoir une somme équivalente ou supérieure à 25.000 euros sur un compte à vue, d’épargne ou d’investissement. Le report concerne le principal et les intérêts pour une période de maximum six mois (avec ou sans intérêts supplémentaires, selon la catégorie de revenus à laquelle appartient l’emprunteur) et une date limite au 31 octobre 2020. S’il a fallu quelque temps pour que le dispositif se mette en place et que les banques répondent présentes (certaines n’étant pas aussi prestes que d’autres), on dénombrait le 15 mai dernier 113.000 reports de crédits hypothécaires, ce qui a pu soulager un certain nombre de propriétaires de leur logement confrontés à des difficultés financières liées au Covid. Il faut néanmoins insister sur le fait qu’il s’agit d’une possibilité laissée aux organismes prêteurs que d’accorder cette faveur, et non une obligation.Du côté des crédits à la consommation, il aura fallu attendre le vote au Parlement, le 20 mai dernier, d’une proposition de loi obligeant, cette fois, le report des mensualités à ceux qui en font la demande. En effet, les traites d’un crédit à la consommation peuvent également grever le budget Que se passera-t-il dans six mois ou l’an prochain quand il faudra assumer ces paiements?. Des conditions analogues à celles retenues pour le report d’un prêt hypothécaire prévalent : avoir subi une perte de revenus liée au coronavirus, ne pas être en retard dans ses remboursements de plus d’un mois au 1er avril 2020 (ce qui permet de ne pas prendre en compte les impayés d’avril comme facteur d’exclusion) et ne pas posséder de biens mobiliers pour une valeur de plus de 25.000 euros. Le report de paiement porte sur le capital et les intérêts et sa durée est de maximum trois mois, renouvelables une fois. Aucuns frais de dossier ni de frais administratifs ne seront facturés, mais des intérêts seront dus pour cette période de report. La loi votée est entrée en vigueur rétroactivement le 1er mai.

 

 

1] https://www.nbb.be/doc/dq/f/dq3/histo/pfe2004.pdf

[2] Pour plus d’infos: https://www.test-achats.be/famille-prive/coronavirus/news/5e-sondage-corona-perte-revenus

[3] https://www.eulerhermes.com/fr_BE/actualites/dernieres-actualites/othr-le-coronavirus-peut-mener-a-une-forte-recession.html

[4] Pour tout contact avec cet organisme spécialisé dans les matières relatives au crédit et à l’endettement, ainsi qu’aux services financier, l’OCE est joignable par mail ou par téléphone :consultations@observatoire-credit.be – 071/33.12.59.

[5] Pour tout contact: www.ced.com

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

Pssstt, visiteur, visiteuse du site d'Alter Échos !

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, notamment ceux en lien avec le Covid-19, pour le partage, pour l'intérêt qu'ils représentent pour la collectivité, et pour répondre à notre mission d'éducation permanente. Mais produire une information critique de qualité a un coût. Soutenez-nous ! Abonnez-vous ! Et parlez-en autour de vous.
Profitez de notre offre découverte 19€ pour 3 mois (accès web aux contenus/archives en ligne + édition papier)