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Santé

Covid et maisons de repos : « On a mis de côté des gens à cause de leur âge »

Quel a été l’impact des mesures Covid-19 sur les droits humains dans les maisons de repos (et de soins)? C’est la question posée par Unia dans une étude qualitative qui sera publiée le 1er octobre prochain. Interview avec Rachid Bathoum, formateur-chercheur, et Fatima Hanine, juriste au service politiques et société de l’institution qui lutte contre la discrimination, promeut l’égalité et protège les droits fondamentaux.

23-09-2021
© Flickrcc Juan Ignacio Valdivia

Alter Échos: En 2020, Amnesty International et Médecins sans frontières ont chacun publié leur rapport sur la situation des maisons de repos pendant la pandémie1. Avec cette recherche, au cours de laquelle vous avez interrogé les directions et le personnel médical, les administrations ainsi que des associations représentants les personnes âgées et leur familles, vous avez souhaité aller plus loin. Quelle a été votre approche?

Rachid Bathoum: Amnesty International et Médecins sans frontières ont soulevé cette question après le premier confinement. Ils ont mis en lumière les problèmes structurels de ce secteur et ont montré comment la crise Covid a été gérée dans l’urgence dans ces institutions. Ils ont souligné que des droits avaient été mis à mal. Nous avons voulu approfondir cette question des droits bafoués, comme le droit à la vie, le droit à la mort, celui à accéder à des dispositifs d’accompagnement de fin de vie… Nous avons pris deux portes d’entrée: une juridique et l’autre sociologique. Et nous avons travaillé dans une temporalité plus longue. Nos conclusions se rejoignent, mais elles sont exprimées autrement.

Fatima Hanine: Depuis 2018, Unia est reconnue par l’ONU comme institution nationale de protection des droits de l’Homme. Au-delà de notre travail de dénonciation des discriminations, nous avons cette compétence d’enquête sur les droits humains, et notamment en matière de santé.

AÉ: La situation des maisons de repos a été mise sous le feu des projecteurs avec le Covid. Mais les problématiques liées à ce secteur sont bien antérieures à la pandémie…

RB: Effectivement. À Unia, nous organisons des sensibilisations et des formations par le biais de l’intervention sociale, entre autres dans des hôpitaux et des maisons de repos. Nous travaillons donc avec ces institutions depuis des années. Au moment du Covid, nous nous sommes dit que c’était le moment d’interpeller sur ces questions, des problématiques à propos desquelles il était difficile de se faire entendre par le politique auparavant.

FH: Dans nos réflexions, nous essayons de faire en sorte que tant les professionnels que les patients soient traités de manière équitable et sans discrimination, mais aussi de manière humaine, dans la philosophie du concept du «care». Ce concept désigne un secteur mais comprend aussi une dimension politique. Chez Unia, nous luttons contre toutes les formes de discriminations. Le secteur du «care» nous intéresse car on y trouve une grande majorité de femmes d’origine étrangère, qui doivent s’occuper de personnes vulnérables alors qu’elles sont elles-mêmes vulnérables. Elles se retrouvent parfois à exercer ces professions sans l’avoir choisi car elles ont été dirigées dans ce sens au cours de leur parcours migratoire. Cela mène à une ethno-stratification du marché de l’emploi et dans le secteur, beaucoup de femmes sont victimes de racisme voire de harcèlement. Dans notre recherche, nous avons voulu entendre le personnel des maisons de repos sans le juger. Les droits des résidents ont été fragilisés, mais le problème est complexe et collectif. Nous avons essayé de comprendre comment ces institutions ont vécu cet épisode Covid.

RB: Les directeurs et le personnel des maisons de repos ont été montrés du doigt dans les médias. Ils se sont sentis jugés. Nous avons voulu mettre en avant la complexité de la situation et voir comment ces mesures qui venaient d’en haut ont été intégrées dans les dynamiques internes et les pratiques des travailleurs.

«Comment toutes ces mesures ont-elles pu être mises en place sans ces personnes alors que ce sont les premières concernées par la problématique?» Rachid Bathoum, Unia

AÉ: Quels sont les constats que vous souhaiteriez mettre en exergue?

RB: Le côté humain. On a mis de côté des gens à cause de leur âge. Les résidents des maisons de repos sont devenus des citoyens sans voix, presque sans visage. Comment toutes ces mesures ont-elles pu être mises en place sans ces personnes alors que ce sont les premières concernées par la problématique? Leur droit à l’autonomie et à la participation a été nié. Il s’agit presque d’un âgisme institutionnel et politique.

FH: Depuis dix, vingt ans, les politiques parlent du vieillissement de la population et de la nécessaire prise en compte des personnes âgées. Dans la crise Covid, le politique a infantilisé ces personnes. Elles ont le droit de choisir leur fin de vie, si elles veulent prendre des risques ou non. Or elles ont été isolées et les visites de leurs familles ont été interdites.

AÉ: Vous avez dans votre rapport élaboré une série de recommandations…

RB: Oui, 56 recommandations ont été ventilées selon à qui elles s’adressent (secteur, politique…). Elles concernent les droits à la santé, à la vie, à la liberté, le droit de faire ses choix… Mais ce qui traverse tout, c’est la question des stéréotypes.

FH: Il faudrait qu’on arrête de parler de la prise en charge des personnes âgées, ce qui suppose qu’elles sont un poids, mais plutôt de leur accompagnement. Il faut faire respecter leurs droits et mettre en place un monitoring de ces droits. Comment porter plainte? Aujourd’hui la possibilité existe sur papier, mais il faut la rendre effective. Cela pourrait passer dans les maisons de repos par la mise en place d’un référent interne, une sorte de personne de confiance sur ces sujets.

«Comment porter plainte? Aujourd’hui la possibilité existe sur papier, mais il faut la rendre effective.» Fatima Hanine, Unia

AÉ: Vous évoquez aussi la nécessité d’une nouvelle convention internationale des droits humains des spécifique aux personnes âgées…

RB: Les recommandations de notre rapport émanent des acteurs de terrain. Celle-ci est spécifiquement portée par Unia. Aujourd’hui, il existe de telles conventions pour protéger les droits des enfants, des personnes handicapées et des femmes. Cette convention permettrait d’améliorer la protection des droits des personnes âgées.

FH: S’il la ratifie, notre pays devra rendre des comptes parce que c’est un outil contraignant de l’ONU. Tous les ans, il faudra rendre un rapport et dire ce qu’on a fait pour améliorer la situation. Cela pourrait mettre la pression.

Le rapport d’Unia «L’impact des mesures Covid-19 sur les droits humains dans les maisons de repos (et de soins): une étude qualitative» sera publiée et présentée le 01/10/2021, à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées.

Date et heure

Le vendredi 1er octobre, de 9h30 à 11h.

Intervenants

Rachid Bathoum et Fatima Hanine (Unia): «L’impact des mesures Covid-19 sur les droits humains dans les maisons de repos et de soins: une étude qualitative»

Jacinthe Dancot, infirmière, maître de conférences à l’ULiège, membre du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique, co-rapportrice de l’Avis n°78: «Avis n°78 – Égalité de traitement et autonomie des personnes résidant en MR/S en contexte de pandémie de Covid-19»

Christine Permanne, présidente de l’Association des directeurs de maisons de repos (ADMR) et directrice d’une MR/S: «L’expérience pratique, le quotidien des professionnels et des résidents lors de la première vague du Covid-19»

Infos sur le site de Unia et inscriptions via ce formulaire.

En savoir plus

Sur la situation des maisons de repos, mise en lumière et exacerbée pendant le Covid, relisez «Maisons de repos, maisons de chaos», Alter Échos n° 484, mai 2020, Martine Vandemeulebroucke.

Sur la participation des patients, des citoyens et des travailleurs de la santé aux politiques santé pendant le Covid, replongez-vous dans notre dossier «Imaginer une santé en commun» (dossier), Alter Échos n° 490, janvier 2021, ainsi que dans l’article «‘Laissés pour compte’, les travailleurs des maisons de repos ont pris les choses en main», Alter Échos n° 490, janvier 2021, Julien Winkel.

Sur la place des personnes âgées dans notre société et le concept d’âgisme, redécouvrez notre dossier «Les vieux ne battent pas en retraite» (dossier), Alter Échos n° 474, juin 2019.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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