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CPAS, are you «REDI» ?

En 2023, 424 CPAS wallons et bruxellois adoptaient un nouvel outil de calcul d’aides complémentaires, le logiciel REDI. Son objectif? Permettre aux bénéficiaires de participer pleinement à la société et soulager les assistantes sociales d’une surcharge de travail.

Anaïs Teyssandier 25-03-2025 Alter Échos n° 522
(c) Microsiervos, CC BY 2.0 , via Wikimedia Commons

Vous êtes-vous déjà demandé combien de jeans vous achetiez par an? À quelle fréquence vous changiez de nappe? ou de brosse à dents? Combien de boîtes de préservatifs vous procuriez-vous sur une année? Le nouveau logiciel mis à la disposition des CPAS, REDI, acronyme de REvenu DIgne, propose une réponse précise à chacune de ces questions. D’après lui, les Wallons et Bruxellois auraient besoin, pour vivre dignement, d’une nappe à 9 euros tous les cinq ans, de trois jeans à 19 euros chaque année, quatre brosses à dents à 50 centimes et une boîte de préservatifs de 30 pièces.

Ces chiffres proviennent des recherches et enquêtes réalisées par la plate-forme ESPRIst, de l’Université de Liège, sur le coût de la vie à Bruxelles et en Wallonie, dans l’objectif de définir des budgets de référence, ensemble de biens et services nécessaires à la vie des ménages. Les montants des différentes catégories, parmi lesquelles l’alimentation, la mobilité ou les loyers, varient en fonction des régions. Ainsi, d’après REDI, le budget mensuel d’une personne isolée en logement privé à Bruxelles s’élève à 1.569 euros, 49 euros au-dessus du seuil de pauvreté belge¹. En Wallonie, REDI préconise, pour le même profil, 1.427 euros par mois.

Au-delà de ces chiffres théoriques, inutile de rappeler que les différentes aides sociales (aide énergie, médicale ou encore alimentaire) auxquelles ont droit les bénéficiaires du RIS ou d’autres types de revenus (mutuelle, chômage, pension) ne suffisent pas toujours à soulager leurs dépenses, quand on sait que le RIS, par exemple, s’élève à 1.314,20 euros pour une personne isolée. Pour preuve, d’après le plan fédéral de lutte contre la pauvreté de 2020, «environ un quart des Belges n’étaient financièrement pas capables de faire face à une dépense imprévue»², chiffre quasi constant depuis 2008. Face à cette situation, le gouvernement De Croo annonçait la volonté de généraliser, à l’ensemble de la Belgique, l’utilisation du logiciel REDI, afin d’apporter une aide financière équitable aux bénéficiaires en état de besoin. Après deux ans d’utilisation, nous sommes allés à la rencontre des CPAS afin d’en savoir plus sur la mise en œuvre du logiciel sur le terrain.

Un outil sous contraintes

La participation au projet pilote s’est réalisée sur une base volontaire avec un budget de 70 millions d’euros, répartis sur deux ans, de mars 2023 à décembre 2024. Chaque CPAS a reçu un subside en fonction du nombre de structures participantes et des bénéficiaires inscrits. Il n’était employable qu’au remboursement des aides complémentaires calculées par le logiciel, car une fois ce subside épuisé, il revenait alors au CPAS d’assumer l’octroi des aides sur ses fonds propres. En fonction de la réalité financière des structures et de leurs usagers, les CPAS ont établi différentes stratégies locales d’utilisation du subside.

Des publics ont été priorisés, comme au CPAS de Saint-Gilles, à l’instar des familles monoparentales et des personnes isolées qui ont vu leurs dossiers traités en priorité. Au travers de cette stratégie, sur les 3.000 bénéficiaires aux revenus faibles du CPAS de Saint-Gilles, 400 ont pu être traités via REDI en deux ans. «La courte période de subvention ne permettait pas d’aider tout le monde. Nous avons donc traité en priorité les dossiers des familles monoparentales et des personnes isolées en logement privé qui, du fait d’un loyer très important, vivent avec un budget inférieur à ce que préconise REDI et pouvaient donc avoir accès à une aide complémentaire», explique Jérémy de Breyne, responsable du service général du CPAS de Saint-Gilles.

Le versement du complément financier a également fait l’objet de réflexions sur la base des aides sociales déjà octroyées par les CPAS. Ainsi, à Saint-Gilles, il a été décidé de n’accorder que 25% du solde négatif indiqué par REDI. À Molenbeek, c’est un forfait mensuel qui a été fixé: «Après de nombreuses simulations pour voir comment nous allions utiliser REDI, nous nous sommes rendu compte que l’aide complémentaire pour les isolés était essentielle. Nous avons donc déterminé des plafonds d’aide mensuelle supplémentaire de 250 € pour les personnes isolées et les familles monoparentales», indique Olivier Vanderhaegen, directeur des départements sociaux du CPAS de Molenbeek.

La participation au projet pilote s’est réalisée sur une base volontaire avec un budget de 70 millions d’euros, répartis sur deux ans, de mars 2023 à décembre 2024. Chaque CPAS a reçu un subside en fonction du nombre de structures participantes et des bénéficiaires inscrits.

Le montant proposé par REDI est avant tout indicatif, garantissant par là l’autonomie des assistantes sociales dans la décision du montant final et la place centrale de l’enquête sociale menée avec les bénéficiaires. Cependant, l’enveloppe fermée du subside et la courte période du projet ont mené à définir des critères contraignants à l’accès des nouvelles ressources. Alors quid de l’objectif initial: les bénéficiaires ont-ils eu l’occasion de vivre plus dignement pendant deux ans?

C’est ce qu’a voulu savoir le CPAS de Molenbeek au travers d’une recherche-action menée lors de la période de subvention REDI auprès de certains bénéficiaires et assistants sociaux. La première conclusion montre que les assistantes sociales développent une meilleure expertise dans l’enquête sociale et l’analyse d’un budget. C’est le même constat que partage Sarah Dominici, assistante sociale en chef du CPAS d’Aubange: «L’outil invite à aller plus loin dans l’enquête sociale et à réfléchir à des postes auxquels on n’aurait peut-être pas pensé, comme le poste loisirs, qui permet d’entretenir des relations sociales ou de fêter les anniversaires des enfants. Lors de l’enquête sociale, nous nous penchons davantage sur les charges vitales qui concernent le logement, la nourriture et le soin. Les gens eux-mêmes n’osent pas penser aux loisirs, par exemple.»

Un outil qui demande du temps

Malheureusement, l’augmentation de l’expertise a un coût que les assistantes sociales ne peuvent pas assumer: le temps. Les assistants sociaux molenbeekois et la majorité des CPAS déplorent un logiciel chronophage, comme le précise Olivier Vanderhaegen, directeur des départements sociaux du CPAS de Molenbeek: «L’encodage au sein du logiciel REDI prend plus de temps que la procédure habituelle, car, si on veut l’utiliser de manière sérieuse, il y a davantage d’éléments à renseigner.» Les quatre budgets du logiciel: dépenses fixes, argent pour vivre, provisions pour le futur et dépenses extras, renseignent aussi bien le prix d’internet, de l’assurance-incendie que le matériel de nettoyage de maison, les réparations de chaussures et l’épargne pour de futurs achats. Autant d’éléments que les assistantes sociales doivent vérifier pour obtenir le solde le plus juste possible. Un temps difficile à dégager et trop précieux pour la réalisation des missions premières des assistantes sociales: l’écoute, l’analyse et l’accompagnement.

Du côté des bénéficiaires molenbeekois, les aides REDI leur ont permis, par contre, de soulager leur endettement: «Avec une aide structurelle de quelques mois, les demandes pour le paiement des factures d’énergie ont baissé. La subvention REDI a permis aux personnes de purger certaines dettes plus facilement, mais, sur le temps court qui nous a été donné, la capacité d’épargne n’a pas été possible. Or, l’épargne est un élément central pour permettre aux personnes de ne plus faire appel au CPAS pour des aides complémentaires», ajoute Olivier Vanderhaegen.

En deux ans, la mensualisation des aides complémentaires REDI a permis, dans une certaine mesure, l’amélioration de l’autonomie des individus. En cela, le projet pilote met en lumière l’insuffisance du montant des revenus sociaux (RIS, mutuelle…) pour permettre à certains de vivre dignement et souligne le besoin d’un renforcement structurel du financement des aides sociales. Deux ans ne suffisent pas. Lutter contre la pauvreté demande une politique sociale inscrite au long cours. En voilà une nouvelle preuve, s’il en fallait une.

Lutte contre la pauvreté: deux visions qui s’affrontent

Le modèle de financement représente la critique la plus importante du dispositif REDI. Financement fragmenté, incertitude de la continuité du soutien fédéral, complexification de la charge administrative et paiement partiel du solde négatif sont autant d’éléments qui mènent à de sérieuses réserves de la part des CPAS.

Ces réserves concernent aussi la philosophie du logiciel, illustrant une volonté de lutte contre la pauvreté standardisée. Périne Brotcorne, co-autrice du rapport mené par l’UCL au sujet des deux années d’application du projet pilote, relève «une crainte de nombreux CPAS qui porte sur le fait que l’introduction de REDI conduise, à terme, à réduire les politiques de lutte contre la pauvreté au seul octroi d’une aide financière complémentaire, sur la base de caractéristiques individuelles et de conditions strictes d’activation, au détriment de mesures plus structurelles, comme l’augmentation du revenu d’intégration et du salaire minimum. Un plaidoyer souvent entendu parmi le personnel des CPAS est de remplacer ce mode fragmenté de subventions par un refinancement structurel du secteur des CPAS».

En deux ans, la mensualisation des aides complémentaires REDI a permis, dans une certaine mesure, l’amélioration de l’autonomie des individus. En cela, le projet pilote met en lumière l’insuffisance du montant des revenus sociaux (RIS, mutuelle…) pour permettre à certains de vivre dignement et souligne le besoin d’un renforcement structurel du financement des aides sociales.

Bien que le taux de participation soit important (80% des CPAS bruxellois et wallons), ce même rapport démontre que «l’incitant financier octroyé par le gouvernement fédéral»³ est la principale raison pour laquelle les CPAS utilisent REDI. Dans un contexte financier difficile, toutes les formes d’aides supplémentaires sont utiles à l’accomplissement des missions d’accompagnement des plus précaires, même si elles ne durent que deux années. À partir du 30 avril, la licence du logiciel, couverte par la subvention, sera à la charge des CPAS qui souhaitent continuer à l’utiliser. La subvention REDI utile au financement des aides complémentaires n’est en effet pas renouvelée.

Le nouveau logiciel REDI cristallise la confrontation, présente depuis de nombreuses années, de deux visions de lutte contre la pauvreté: standardisée et individualisée pour le fédéral versus adaptée aux spécificités locales et individuelles pour les CPAS. En cela, le rapport de l’UCL préconise une concertation de l’ensemble des acteurs politiques et des bénéficiaires sur la pertinence des deux modèles. D’après l’accord de coalition du gouvernement fédéral actuel, le climat ne semble pas être au dialogue. Il y indique que les «règles uniformes d’attribution de l’aide financière complémentaire seront appliquées»⁴.

(1) Risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

(2) 4e Plan fédéral lutte contre la pauvreté.

(3) Rapport UCL.

(4) Accord de coalition 2025.

 

 

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