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Regard critique · Justice sociale
Photo de Mohammed (visage cerclé de rouge), ouvrier sans-papiers ayant travaillé dans la station Arts-Loi.

C’est l’histoire d’un post «malheureux».

Le 29 mars, la zone de police Mons/Quevy annonce via Facebook avoir interpellé 5 personnes dans le quartiers de la gare. En séjour illégal, elles sont privées de leur liberté et la police de conclure : «Préserver la sécurité au sein de notre ville et plus particulièrement dans le quartier de la gare est une de nos priorités, comme le prouvent les résultats de notre action.»

Doctorant en sciences sociales (Ulg), Jonathan Colin est l’une des personnes qui réagit sur la toile. Il estime qu’on «se retrouve peut-être en Belgique avec ce que Didier Fassin mettait en évidence pour la France, à la fois dans « La force de l’ordre » (il faut s’occuper quand on n’est pas occupé, sinon l’ennui guette) et « L’ombre du monde » (augmentation de la répression des petites infractions, alors que dans le même temps, on diminue les actions à l’égard de la criminalité économique et financière), mais aussi Laurent Mucchielli (augmentation du taux d’élucidation en se centrant sur les affaires pour lesquelles constatation de l’infraction = son élucidation)».

Mais ce chercheur qui travaille sur la place dans l’espace public des jeunes subsahariens refuse de sombrer dans le discours du flic raciste. «Il faut remonter les chaines pénales. La police répond à des ordres, souvent au politique. Que va-t-on cibler au niveau de la politique criminelle? Il faut regarder l’ensemble de la société, Les policiers répondent à une demande, à des ordres, au niveau local ou fédéral.»

Un «arrivage» d’illégaux

Loin de faire marche arrière, le commissaire Borza, responsable de ces arrestations, confirme au contraire le lien entre «personnes en séjour illégal» et «insécurité». Rappelant d’abord «le sentiment d’insécurité relativement élevé dans le quartier de la gare», le commissaire souligne que «si la police de Mons ne veut pas stigmatiser une communauté ou des personnes vivant dans la précarité, force est de constater objectivement que ces trafics, surtout de drogue mais aussi d’objets volés, sont souvent menés par des personnes en situation illégale. Ces trafics sont parfois même organisés par des réseaux plus structurés employant de la main d’œuvre facilement « recrutable » ou influençable. Récemment, selon nos informations, Mons aurait encore connu un ‘arrivage’ d’une dizaine de personnes en situation irrégulière. Impossible de dire si elles sont à ce jour liées à un trafic de drogue ou non mais c’est une possibilité que nous devons prendre en compte dans nos actions quotidiennes visant à rétablir la sécurité dans ce quartier.»

Et de préciser que sur les cinq personnes interpellées le 29 mars, deux sont poursuivies pour trafic de drogue. «On parle de drogues dures. Ce phénomène existe depuis un bon moment malheureusement.  (…) Vous pouvez sonder tous les commerçants du quartier, le problème d’insécurité est notamment lié à la présence de ces personnes errant en rue et qui semblent en séjour illégal. C’est la majorité des profils qui vendent. Evidemment, la police ne peut pas tenir de statistiques liant séjour illégal et trafic. Ce constat est posé par notre expérience et connaissance du terrain.»

Le parquet de Mons non seulement confirme ces deux arrestations, mais également l’exploitation d’une population en séjour illégal pour ces trafics de drogue. «Il y a eu une interpellation et deux personnes ont été mises sous mandat pour trafic de drogue. De l’héroïne, explique le magistrat Dominique Schollaert. Je suis d’accord avec ce que le commissaire a déclaré. Même s’il n’y a pas de recrudescence particulière du phénomène, c’est toujours le même type de délinquant. On parle de traite des êtres humains, de personnes fragiles. Ce sont indirectement des victimes d’organisations criminelles hyper puissantes.»   

Hasard du calendrier ou criminalisation des sans-papiers?

Peut-on pour autant faire ce lien systématique entre un statut et une criminalité comme Justice et Police semble le valider?

«Quand bien même un tel lien pourrait être fait, à savoir que des personnes en séjour illégal sont impliquées dans du trafic de drogue (ou toute autre infraction), le seul critère du séjour illégal n’est pas suffisant que pour justifier un ciblage par les services de police, explique Manu Lambert, juriste à la Ligue des Droits de l’Homme. Il faut également qu’il existe d’autres critères objectifs (témoignages, images de vidéosurveillance, etc.) ou subjectifs (comportements suspects, etc.).» 

La commune de Mons, qui a fait retirer le post dérangeant, semble d’ailleurs embarrassée avec la communication de sa police. Elle juge le post maladroit. «La tournure de phrase permettait un doute, mais, en aucun cas, l’intention était de lier les illégaux à l’insécurité. Toute forme de stigmatisation envers une population/communauté est proscrite. La zone de police Mons Quévy regrette cette publication maladroite et redoublera de vigilance à l’avenir.»

Si sur les 5 personnes sans-papiers, deux étaient concernées par le trafic, trois n’avaient commis aucun délit.

Cette confusion entre «sans-papiers» et «insécurité» n’est pas entretenue qu’à Mons. Une manifestation à Bruxelles pour dénoncer l’exploitation de travailleurs sur le chantier de la station de métro Arts-Loi (manifestation qui, forcément, rassemblaient beaucoup de sans-papiers) s’est retrouvée coincée dans un vaste contrôle de la Stib accompagné de la police. Bilan: l’arrestation de 31 personnes en séjour illégal. L’argument de la police fédérale évoque (via un communiqué) une action plus large que sur la seule station Arts-Loi (1): cette action avait pour but de réduire davantage encore la criminalité dans les transports en commun bruxellois et de renforcer le sentiment de sécurité des usagers. Hasard du calendrier ou criminalisation des sans-papiers?

Myria pose la même question concernant les opérations Gaudi (2). Ces actions policières visent les «escrocs en séjour illégal»(3). Qui se trouve dans le collimateur, les escrocs en général ou les escrocs illégaux? Selon Myria, «en outre, le nombre d’étrangers arrêtés dans le cadre des opérations pour le simple fait de leur situation de séjour irrégulier, sans s’être rendus coupables de vol à la tire, n’est pas clair». Comment la police identifie-t-elle les personnes «illégales»? A la tête, bronzée, du client, soit du profilage ethnique, une pratique contraire à la réglementation belge, européenne et internationale? Impossible à dire. Par ailleurs, Myria s’interroge sur la communication de ces actions: «Le fait de limiter la communication aux personnes arrêtées qui sont en séjour illégal peut donner lieu à des stéréotypes. Il y a en effet un risque que le public y perçoive un lien systématique entre séjour irrégulier et criminalité.»

Comme à Mons donc.  Ou en guise de solution temporaire, le comité de soutien n’a trouvé qu’une seule parade, temporaire, à signaler aux sans-papiers: «Evitez autant que possible le quartier de la gare!»

 

 

 

 

 

 

 

[1] Des contrôles ont été effectués sur l’axe Nord-Midi, entre la Gare du Nord et la Gare du Midi, ainsi qu’au niveau de 24 stations/arrêts du réseau de métro/tram/bus (notamment la Gare de l’Ouest, Saint-Guidon, Madou, Liedts, Simonis…).

[2]«MyriaDocs #2, Être étranger en Belgique en 2016», Alexandra Büchler et Mathieu Beys, 5 décembre 2016.

(3) Note de politique générale Asile et Migration, 3 novembre 2015, Doc. Parl. 54, 1428/019, pp. 4, cité par Myria.

 

Olivier Bailly

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