Ces écrits ont accompagné les engagements politiques et académiques de Gwenola Ricordeau depuis maintenant une vingtaine d’années, deux décennies que l’auteure de Pour elles toutes. Femmes contre la prison est convaincue de la nécessité d’abolir le système pénal, c’est-à-dire la prison, la police et les tribunaux.
«Nils Christie, Louk Hulsman et Ruth Morris appartiennent à une génération qui, à partir du milieu des années 1970, en proposant des réponses radicales et alors inédites à ces questions, a contribué à un renouvellement profond des réflexions théoriques sur le système pénal, c’est-à-dire les institutions (forces de police, tribunaux et prisons essentiellement) chargées de sanctionner ce que le droit (pénal) qualifie d’‘infraction’ (contraventions, délits et crimes)», explique Gwenola Ricordeau dans sa présentation.
Comme elle le reconnaît, ces auteurs montrent bien que la cible de l’abolitionnisme est le système pénal, et non pas la seule prison, et ce, d’autant plus que les textes réunis dans ce livre envisagent concrètement des solutions pour éviter d’y recourir et des manières de résoudre les «situations-problèmes», pour reprendre une expression utilisée par Louk Hulsman plutôt que celle de «crimes».
Plus qu’un prêt-à-penser
«Plutôt que de proposer un prêt-à-penser, ces écrits suggèrent d’interroger ce qui reste encore largement considéré comme des évidences, notamment l’idée que le système pénal ait un réel effet sur la criminalité, ajoute Gwenola Ricordeau. Pris ensemble, ces trois auteurs ont contribué à remettre en cause la manière dont le crime est pensé en tant que catégorie pénale. Cela s’est notamment traduit, dans l’abolitionnisme, par une attention croissante portée aux ‘préjudices’, aux ‘torts’ ou encore aux ‘situations-problèmes’, plutôt qu’aux seuls actes qualifiés de ‘crimes’ par le système pénal.»
Si ces textes sont des classiques du genre, les publications en français sur l’abolitionnisme pénal restent pourtant rares, malgré l’intérêt que suscitent les approches critiques de la prison et du système pénal. Mais elle le souligne aussi, la lecture de ces trois textes amène naturellement à s’interroger sur le bilan politique de la première vague de l’abolitionnisme pénal, «d’autant que ses aspirations se sont heurtées au durcissement des politiques pénales et au formidable développement, partout dans le monde, de l’‘industrie de la punition’, pour reprendre l’expression de Nils Christie», relève Gwenola Ricordeau.
Quant à l’abolitionnisme en lui-même, on a assisté à un renouvellement des pensées abolitionnistes au cours des dernières décennies, en s’appuyant essentiellement sur trois champs de réflexion comme le capitalisme, la race ou le genre et la sexualité, permettant d’ouvrir de nombreuses voies à une remise en cause fondamentale du système pénal. Aujourd’hui, c’est sur de nouveaux fronts que se développent, selon Gwenola Ricordeau, les réflexions abolitionnistes, par exemple celui de l’environnement. «Ainsi, des questions comme les conséquences écologiques de l’existence des prisons ou le ‘greenwashing’ auquel procède le système carcéral (la mise en place de potagers, etc.) sont de plus en plus discutées au sein des luttes abolitionnistes.» Tandis que, par ailleurs, dans le même champ, note l’auteure dans un entretien accordé à notre revue, «il est préoccupant de voir un essor des approches pénales des questions environnementales, avec la criminalisation de certains comportements ou les appels (en Belgique ou en France) à la création d’un crime d’‘écocide’».
Gwenola Ricordeau, Crimes et Peines. Penser l’abolitionnisme pénal avec Nils Christie, Louk Hulsman et Ruth Morris, Caen, Grevis, coll. «Enquêtes politiques», 2021, 200 pages.
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Lire notre entretien «Comment un système qui repose sur la punition pourrait-il pacifier les relations sociales?» avec Gwenola Ricordeau au sujet de son dernier ouvrage sur www.alterechos.be