Plusieurs opérateurs titres-services dénoncent les conditions régnant dans le système. Dans l’impossibilité de s’y retrouver financièrement, ils parlentde fermeture ou d’action en front commun…
C’est une tradition, maintenant : chaque début d’année connaît sa petite période de crispation autour des titres-services. Après les polémiques d’il y adeux ans concernant les bénéfices supposés engrangés par certains opérateurs et, notamment, les agences locales pour l’emploi (ALE), la saga del’élargissement du système à la garde d’enfant ou encore les griefs formulés à l’encontre du dispositif par la Cour des comptes en janvier 2009, c’est au tour de ladiminution des « subsides » par titre et de l’ancienneté des « travailleurs TS » de faire parler d’eux.
Depuis un peu plus d’un mois, une série d’opérateurs se sont en effet plaints d’un coût par travailleur de plus en plus difficile à supporter. Un groupe de structuresactives dans la province de Namur tout d’abord. Les CPAS et les services d’aide aux familles et aux personnes âgées ensuite. Et finalement, dans une optique un peu différente,certaines ALE. Point commun à l’ensemble de ces acteurs : tous affirment œuvrer à une insertion et un emploi durable et de qualité pour leurs travailleurs titres-services.Un objectif qui leur mettrait le couteau sur la gorge eu égard aux conditions actuelles régnant dans le système. « Le non-marchand s’est engagé dans lesystème des titres-services en offrant des postes dignes, à durée indéterminée. Il y a, chez les acteurs de ce secteur, un encadrement conséquent destravailleurs. Nous ne sommes pas une simple boîte aux lettres… Cet engagement a néanmoins un coût », déclare Michel Degodenne, directeur de la FCSD1(Fédération des centrales de services à domicile).
Quelques années en plus, des euros en moins
Concrètement, le premier souci concerne le « subside » versé aux structures pour chaque titre-service qui, au fil des années, serait passé de 23,56 eurosà 20,80 euros. Un manque à gagner important. « Cette diminution induit une situation qui commence à devenir difficile à tenir au niveau financier. Si nous continuonsà suivre les règles du jeu, nous courons à la catastrophe », déclare Alain Piron, directeur de Natise2, et qui, pour l’occasion, coordonneégalement un ensemble de neuf structures namuroises comprenant entre autres – en une sorte de synthèse de tous les opérateurs s’étant manifestés – l’ALEde la ville de Namur, le CPAS de Namur ou encore les services d’aide familiale à domicile. Et de poursuivre : « Nous avons toujours privilégié un emploi et un encadrementde qualité. Or, dans le contexte actuel, nous ne pouvons presque plus payer notre personnel, nous travaillons presque à perte. Si nous ne faisions que du commercial, cela irait, mais vuque nous nous donnons une autre mission, nous commençons tout doucement à arriver au bout de nos possibilités. Pour 2011, nous prévoyons d’ailleurs de perdre de l’argentpour chaque heure prestée en titres-services. » Et le « collectif » de plaider pour un moratoire sur l’agrément de nouvelles structures et pour l’octroi de subsidessupplémentaires dès lors que l’encadrement offert aux travailleurs se révèle de qualité. « Dans le Namurois, on ne compte plus les nouvelles structurestitres-services qui ouvrent régulièrement, continue Alain Piron. Alors que le marché est contracté et que le Forem considère que les travailleurs titres-servicessont un métier en pénurie… »
L’ancienneté, un handicap ?
Deuxième problème : l’ancienneté des travailleurs titres-services. Un point sur lequel insiste particulièrement la Fédération des CPAS deWallonie3 qui s’est fendue, il y a quelques jours, d’un communiqué de presse sur le sujet en front commun avec la section CPAS de l’Association de la Ville et des communes de laRégion de Bruxelles-Capitale et « de Afdeling OCMW’s van de vereniging van de vlaamse steden en gemeenten ». Dans celui-ci, elle cite notamment une étude menée par leCerisis et l’ULG, qui affirme que si l’on prend un travailleur TS « (…) avec désormais quatre ans d’ancienneté, on constate que dans la plupart des cas, il n’est plus rentablepour son employeur, avec ou sans aide à l’emploi. Après cinq ans dans la même structure, il y a en effet extinction progressive des aides à l’emploi (…) Tous lesprestataires ne sont cependant pas affectés de la même manière. Ainsi, ceux qui dépendent d’une commission paritaire dont l’ancienneté n’est pas limitéeà deux ans (comme la CP 318, le Comité C) subissent davantage le poids de l’ancienneté des travailleurs… »
« Pour nous, le critère décisif, c’est l’ancienneté des travailleurs, lance Jean-Marc Rombeaux, conseiller à la Fédération des CPAS. Il faut savoirque le secteur de l’aide aux familles et aux personnes âgées ainsi que les CPAS, notamment, connaissent une liaison linéaire entre ancienneté etrémunération… » Ainsi, la CP 318 pour les services des aides familiales et les aides seniors reconnaîtrait vingt-cinq ans d’ancienneté et les « ComitésC », qui gèrent notamment, par région, l’échelle barémique des CPAS, reconnaîtraient jusqu’à vingt-sept ans d’ancienneté en Wallonie et àBruxelles. Un cas de figure qui ne concernerait pas la CP 322.010 (qui regroupe entre autres certaines entreprises et les opérateurs d’intérim ayant développé une sectiontitres-services), où l’ancienneté reconnue ne serait que de trois ans… Dans ce contexte, le montant versé par titre-service ne permettrait pas de faire face à laditeancienneté. « Lorsque nous avons interpellé le politique, on nous a dit qu’il était difficile de tenir compte de l’ancienneté dans le système destitres-services », continue Jean-Marc Rombeaux. La surcharge de travail pour Sodexo serait ainsi trop importante si d’aventure elle devait être amenée à tenir compte del’ancienneté de chaque travailleur individuellement. Des arguments que Jean-Marc Rombeaux réfute. « Dans le secteur des maisons de repos, les 1 600 maisons présentes enWallonie représentent 60 000 travailleurs. Et l’Inami calcule leur ancienneté. Il est clair que cela ferait plus de travail pour Sodexo, mais il faut savoir ce que l’on veut…»
Les ALE en remettent une couche
Dès lors, la tension monte. « S’il n’y a pas un geste de la part de la ministre (ndlr – Joëlle Milquet (CDH), la ministre fédérale de l’Emploi), certainsservices vont devoir stopper leurs activités, prévient Michel Degodenne. Bien sûr, il serait facile de prendre des travailleurs et, comme le font certains, de les licencier unefois que les aides à l’emploi sont
arrivées à terme. Mais c’est quelque chose que nous ne voulons évidemment pas faire puisque nous défendons une politiquequalitative de l’emploi. Nous avons interpellé Madame la ministre, mais rien ne bouge pour le moment. Si la situation n’évolue pas, on se dirige vers des actions en front commun avecles syndicats et les autres fédérations comme la Fasd (Fédération de l’aide et des soins à domicile), la FSB (Fédérations des services bruxellois) etles syndicats… » Du côté du « collectif » namurois, le ton se veut ironique : « On peut se dire que le social n’a plus sa place dans le système destitres-services, mais bon… »
Comme si cela ne suffisait pas, les agences locales pour l’emploi (ALE) semblent également fourbir leurs armes. On se souvient que ces opérateurs s’étaient déjàmanifestés en novembre 2009. Le nouveau budget fédéral prévoyait en effet d’aller piocher quelque 55,2 millions d’euros dans les réserves des ALE ayantdéveloppé une activité titres-services. Une démarche fort peu appréciée à l’époque, d’autant plus que les entreprises titres-servicescommerciales n’étaient pas visées par cette démarche et que les agences locales dénonçaient un manque de concertation dans l’élaboration de la mesure. Plusde cinq mois plus tard, la tension semble toujours à son comble. Aux dernières nouvelles, les ALE flamandes, fédérées dans une plate-forme qu’elles comptentinstitutionnaliser dans la VVSG (Vereninging van de vlaamse steden en gemeenten), ont déjà contacté un avocat afin de questionner la légalité de ladite ponction.Une ALE liégeoise mettrait également en place une démarche semblable. Enfin, à Bruxelles, la plate-forme des ALE/TS bruxelloises, qui fédère les dix ALEactives dans les titres-services à Bruxelles ont proposé que les Agences locales des trois régions se fédèrent afin d’agir ensemble.
Du côté du cabinet de Joëlle Milquet4, on prend note, tout en rétorquant : « Nous sommes en train de préparer l’évaluation dusystème. Nous sommes conscients de tout cela mais il est prématuré pour le moment d’apporter une réponse à ces questions. » Concernant les structures,le cabinet ajoute: « Des contacts réguliers ont lieu avec les acteurs de terrain. Une réunion constructive a été d’ailleurs effectuée avec lesreprésentants des travailleurs la semaine dernière (ndlr – du 15 au 21 mars). Des propositions et suggestions d’amélioration ont par ailleurs étéactées. » Enfin, au sujet des ALE, il conclut : « Le comité restreint a décidé que l’avenir des ALE sera l’objet de discussions avec lesRégions et ceci dans le cadre de l’activation des demandeurs d’emploi. »
1. Fédération des CSD :
– adresse : place Saint-Jean, 1 à 1000 Bruxelles
– tél.: 02 515 02 08
– courriel : csd@mutsoc.be
– site : www.fcsd.be
2. Natise :
– adresse : rue Henri Lemaître 25 à 5000 Namur
– tél.: 081 65 40 40
– courriel : info@cpasnamur.be
– site : www.cpasnamur.be
3. Fédération des CPAS, Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– site : http://www.natise.be
4. Cabinet de Joëlle Milquet, ministre fédérale de l’Emploi :
– adresse : av. des Arts 7 à 1210 Bruxelles
– tél.: 02 220 20 11
– courriel : milquet@milquet.belgium.be
– site : www.milquet.belgium.be