À Roubaix, dans le nord de la France, Crouzet est une entreprise dite «libérée». On y prône l’autonomie des salariés et la souplesse de l’organisation. Reportage.
Crouzet est une entreprise «libérée». C’est en tout cas le qualificatif qu’on lui accole depuis que Jean-Maurice Morque l’a reprise en 2009. C’est à Roubaix, dans le nord de la France, que l’on trouve l’atelier et les bureaux de cette entreprise de conception et de fabrication de meubles. «Des pièces uniques, pas de travail en série ici», affirme fièrement le patron en pointant une des créations de Crouzet, un mur vert sur lequel on peut écrire au marqueur et effacer autant qu’on le souhaite.
La notion d’entreprise libérée, objet de colloques et d’articles de presse, ne couvre pas de définition très précise. On sait que la «libération» implique généralement de reconsidérer la structure pyramidale et rigide de la hiérarchie d’entreprise, d’impliquer les salariés dans la prise de décision et de favoriser leur autonomie et leur bien-être au travail. Une série de critères qui font sens chez Crouzet, où l’on promeut un système «ouvert», où le client est appelé bénéficiaire et où l’autonomie est affichée comme une valeur cardinale.
Jean-Maurice Morque n’a pas eu à s’offrir les services de boîtes de consultance qui facturent des coachings en «sociocratie» ou en «holacratie», pour proposer un autre modèle de management. «Tout ça est venu assez naturellement, témoigne-t-il. Le point de départ, c’est la confiance.»
Accepter les erreurs
Le fonctionnement de Crouzet se veut assez souple. «Nous avons beaucoup de liberté dans notre travail, témoigne Ludovic, salarié de l’entreprise. Ce n’est pas pour autant de l’autogestion. Jean-Maurice Morque est le responsable.» Chaque salarié peut porter plusieurs casquettes. Faire un peu de marketing, de ressources humaines, de relations avec les bénéficiaires. Tous cherchent de nouveaux débouchés. Chacun est responsable de projets, «en fonction des compétences, de l’urgence et des affinités», explique Jean-Maurice Morque.
Les décisions sont prises rapidement, souvent lors de réunions improvisées et sans forcément passer par la chaîne hiérarchique (qui n’a pas disparu, deux «leaders» font tampons entre les salariés et le directeur).
«Presque tout se décide collectivement», explique Ludovic, «en fonction de ceux qui sont présents lorsqu’une question se pose.» Une façon de fonctionner qui n’est pas sans danger du point de vue du dirigeant qui, pourtant, assume son choix: «En libérant, il y a des conneries qui sont faites dans certaines décisions. Il faut alors les financer. Et éviter qu’elles se reproduisent. Je prends le risque de faire des erreurs. Mais ce mode de fonctionnement, à l’inverse, nous permet d’être très réactifs.»
Quant aux journées de travail, chez Crouzet, elles ne sont pas ponctuées de réunions «chronophages», qui «empêchent de travailler». On se réunit tous les matins pour un café convivial, pour créer des liens. Puis, en fonction des besoins, on discute, on échange, selon les opportunités. Ce temps libéré permet… de ne le compenser par rien. «Nous nous arrangeons pour ne pas planifier 100% de notre temps, explique Jean-Maurice Morque. Quand tu n’as pas de temps, tu réfléchis moins, tu es moins accueillant.»
Peu d’accidents de travail
Cette «libération» concerne-t-elle les décisions stratégiques de l’entreprise? Jean-Maurice Morque l’affirme: «La décision d’être une entreprise de croissance, qui embauche, tournée vers l’international, je l’ai fait accoucher à l’équipe.» Néanmoins, certains salariés nuancent un peu ce point de vue: «Les décisions stratégiques, financières, restent bien logiquement dans les attributions du dirigeant.»
Quoi qu’il en soit, Crouzet entend favoriser l’épanouissement de ses salariés, leur bien-être et leur sécurité. Un indicateur positif: le peu de rotation de personnel et l’absence d’accidents du travail depuis 2012. «Ce qui est très rare dans une menuiserie», conclut un salarié.
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