« Quand culture et travail social se parlent, des femmes et des hommes s’émancipent » titrait l’invitation lancée par le centre cultureld’Ottignies pour son colloque du 2 octobre dernier. Le jour venu, les opérateurs culturels étaient presque seuls engagés dans un monologue et un étalaged’expériences dont le public fut bien en peine de percevoir les vertus polyphoniques.
Dans les chants polyphoniques, les moments les plus riches sont ceux où des voies différentes émettent en même temps des sons « qui frottent »,où des notes à la limite de l’harmonie créent une tension qui attire l’attention, enrichit la palette des sensations.
Les nombreux étudiants d’écoles sociales venus y assister ont dû chercher en vain une tension de ce genre lors de la longue litanie d’exposéségrenés au fil de la matinée. Le colloque était organisé par le centre culturel d’Ottignies1 en partenariat avec le conseil consultatif desaffaires sociales, de la famille et de la santé de la commune, dans le cadre d’un forum des solidarités.
L’enjeu de la journée était « de montrer comment l’articulation des droits culturels avec la défense des droits politiques (et donc sociaux) permetd’inventer de nouveaux modes de solidarité », a posé d’entrée de jeu Patrick Van Laethem, vice-président du conseil consultatif, reprenant lesociologue Touraine. Plusieurs intervenants ont stigmatisé le passage au XXIe siècle comme un retour au XIXe du point de vue de la condition des plus pauvres. Peusont parvenus à dire comment l’art dans le travail social permettrait de reculer moins loin, disons dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Intégrer, autonomiser, faire émerger ?
Entre la recherche d’autonomie (qui suppose une intégration des normes) qui est au cœur du travail social et la stimulation de la créativité (qui suppose debousculer les normes), au centre du travail culturel, il y a une tension qui traverse le rapport entre les acteurs de ces deux secteurs, a relevé, en substance, Michel Goffin, professeurà l’Institut Cardijn. Face aux animations socio-artistiques et socio-culturelles, il s’est demandé à quelles conditions on pouvait considérer être enprésence d’un espace d’innovation qui favorise le droit d’exister et de participer sans contrainte. Le pire, selon lui, serait que la culture soit perçue comme unenouvelle dimension d’exclusion qui s’ajouterait aux autres (économique, sociale, professionnelle) et deviendrait une nouvelle normalité à intégrer par certainspublics.
Emblème antithétique de l’approche intégrationniste, l’asbl Lézarts Urbains a opté dans les années ’90 pour le soutien àl’émergence de cultures urbaines au départ marginales : le rap, le slam, les danses de rue, le graf, le hip-hop, etc. Il s’agit de forger une « culture pourprendre la parole, gagner le respect et pour prendre du plaisir », tant « le minifoot et les voyages à la mer, c’est bien mais, à défaut d’unenvironnement social plus équilibré, la culture est décisive pour s’en sortir », a déclaré Alain Lapiower, directeur de l’association.
L’Artiste ou l’Institution, l’individu ou le collectif
Les autres intervenants de la matinée, pour la plupart dirigeants ou animateurs d’institutions culturelles, ont insisté sur les qualités requises de la part destravailleurs culturels et des artistes, pour mener à bien les projets. Pour Bernard Tirtiaux, psychothérapeute et écrivain, l’écoute comme capacité àaccompagner chez l’autre le processus créateur, « en stimulant sans orienter », serait une vertu cardinale que seul l’animateur artiste pourrait apporter.Pour Matteo Segers, ancien coordonnateur artistique de la Zinneke Parade : « Le rôle de l’artiste va être de comprendre et de digérer les intentions del’institution et d’amener les participants à le remettre en question voire à s’insurger contre elles. »
« L’institution doit pouvoir assumer cette autonomie, mais elle a aussi le devoir d’énoncer clairement au groupe, dès le début, jusqu’oùelle est prête à assumer cette autonomie », a tempéré Isabelle Gillard, coordinatrice pour le Brabant wallon d’Art. 27, asbl qui privilégie uneapproche par l’accès et l’éducation à la culture.
« L’égalité des droits, dont celui de créer, doit être garantie contre la tentation d’établir des droits de seconde zone, non prioritaires,dans un contexte où l’accès aux droits fondamentaux est de plus en plus conditionné », a quant à lui plaidé Régis Demuylder, secrétairegénéral d’ATD Quart Monde.
Pour le reste, les exposés ont tourné autour des conditions pratiques de travail entre professionnels de bords différents (le rapport au temps des uns et des autres estdifférent) ou la promotion des projets culturels des uns et des autres.
Enfin, se faisant l’écho de travailleurs sociaux sur le terrain, Isabelle Gillard a relevé l’appauvrissement des outils d’intervention communautaire, àdimension collective, qui accompagnent la tendance croissante au contrôle et à l’individualisation du travail social.
Culture et travail social se parlent-ils ?
Quels sont dès lors les points de contact entre les projets des opérateurs culturels et la question sociale s’est, en substance, demandé Luc Carton, rapporteurgénéral de la journée et inspecteur à la Direction générale de la Culture, chargé de mission sur l’évaluation des politiques publiques enmatière culturelle.
Faisant écho… aux non-dits de la journée, il a estimé que la question sociale était la grande absente. « La problématique desinégalités n’a pas été construite ; le travail social n’a pas été défini, alors qu’il est de plus en plus vécu comme unlieu de souffrance sociale extrême due notamment à l’indignité des tâches assignées par l’État social actif ; enfin, où étaientles acteurs sociaux : syndicats, mutuelles, collectifs, etc. ? »
Endormir ou réveiller la question sociale ?
En l’absence de réelle mise en débat entre points de vue différents, la journée serait passée à côté d’un enjeu essentiel :celui du sens à donner au travail socio-culturel. « En caricaturant, on pourrait dire qu’il y a deux directions, a poursuivi le rapporteur dans son interpellation auxpart
icipants. Soit une humanisation des souffrances sociales ; dans ce cas, la culture apparaît comme la dernière chance du travail social. À l’opposé, letravail culturel peut réveiller la question sociale et mettre en évidence le déficit de conflictualité sur cette question. »
Qu’en est-il dans les CPAS, par exemple ? « Certains d’entre eux pourraient s’engager dans une approche culturelle du travail social déconnectée de laquestion des droits sociaux des usagers. » Les esprits sont-ils mûrs dans les conseils de l’action sociale pour aller au-delà de l’aide et de l’activation, versune défense collective des droits sociaux des usagers par eux-mêmes ?
Pour tendre vers cet horizon, Luc carton a pointé trois pistes : « Transgresser les cloisonnements intersectoriels et institutionnels (la culture relève essentiellement de laCommunauté française, le social des Régions) ; démocratiser les pratiques dont il a été question durant toute la journée ; chercherl’implication du meilleur des travailleurs sociaux, des opérateurs culturels, des artistes et des gens ! »
La feuille de route d’un prochain colloque ?
1. Centre culturel d’Ottignies :
– Ferme du Douaire
– adresse : av. des Combattants, 2 à 1340 Ottignies
– tél. : 010 41 37 26
– site : www.poleculturel.be