Didier Vrancken, professeur de sociologie à l’ULg, vient de publier Le crépuscule du social aux Éditions Labor1. Il y traite de l’évolution de l’État social.D’emblée, il s’inscrit en faux contre l’idée d’un secteur social qui n’en finirait pas d’agoniser sous les fortes tensions qui traversent les sociétés occidentales (criseéconomique, crise de sens…). La crise livre une histoire qui recèle des éléments, des savoirs qu’il faut non pas chercher à corriger mais plutôtà déplacer, en les inscrivant dans de nouvelles relations productrices d’histoire et de sens.
Il questionne la nature et l’évolution de l’État social depuis trois décennies. « Né dans la crise et la critique, (…) l’État n’est pas lerésultat passif d’un état de développement social et économique hérité de l’époque industrielle et entré subitement en crise ». C’estplutôt le résultat d’un processus inachevé de régulation. C’est « une réalité dynamique et diversifiée dont l’impératif desolidarité doit être recherché non comme vestige d’un passé révolu, mais comme garant d’un lien entre les différentes composantes sociales ».
L’État, de l’injustice à l’indignation
Dans le premier chapitre, D. Vrancken retrace « l’invention du social ». L’État social y est vu comme « le résultat d’un compromis préféréà l’affrontement direct du capital et du travail ». L’analyse s’ancre dans les réalités politico-institutionnelles belgo-belges, examinant les clivages idéologiques,confessionnels et linguistiques qui consacrent l’existence de « piliers » et formatent les modalités des négociations sociales. À partir des années 70, lemodèle évolue vers de nouvelles configurations des relations entre l’individu, la société et ses institutions. On assiste à « un phénomène dedéstabilisation des stables À duquel émerge la figure de la victime. L’exclusion devient la nouvelle question sociale. D. Vrancken souligne l’écart qui se manifeste alorsau niveau du modèle de l’État social, entre une « logique d’imputation de la faute » et une logique de « socialisation des risques partagés par laquelle «la dénonciation de l’injustice sociale a laissé la place à l’indignation face à la souffrance ».
Le deuxième chapitre pointe la naissance de la notion « d’État social actif ». Elle traduit la volonté des pouvoirs publics « d’activer » lasociété en conditionnant l’octroi de droits sociaux à la responsabilisation et l’implication au sein de la société. S’appuyant sur l’exemple des politiquesd’insertion par l’emploi et les politiques sécuritaires, l’auteur montre comment les réponses se territorialisent et s’individualisent, aboutissant à une contractualisation avecles bénéficiaires.
Souffrances du sujet
Ce « nouvel esprit du capitalisme » consacrerait l’idée d’un homme en réseau, hypermobile, développant un capitalisme de type cognitif où la plus value estavant tout créatrice, imaginative dans le cadre d’une production de biens et de services immatériels.
« Le passage à l’état social actif se traduit par le maintien de l’équation de départ puis son aménagement progressif qui a conduit à une dualisationdu marché du travail et à l’entretien d’une précarité contenue, dans le but de sauvegarder l’emploi et le système de protections sociales ». Pour DidierVrancken, il importe de ne pas sous-estimer la dimension politique de l’État en ne s’intéressant qu’à la dimension économique. Si la crise de l’État social estgénéralement associée à une augmentation de la charge des dépenses sociales, il faut aussi s’intéresser aux « nouvelles donnes de l’expérience» : le passage de la blessure physique à la blessure intérieure consacre l’arrivée de nouvelles formes de souffrances centrées sur l’intériorité,l’expression de la subjectivité. Des valeurs comme la réalisation de soi contribuent à brouiller les frontières entre vie professionnelle et le reste del’expérience, avec des répercussions sur la conception du social. Au lieu d’être à l’intersection de l’économique et du politique, le social se déplacedésormais au centre d’un triangle composé également d’une dimension individuelle liée à la subjectivation de l’expérience.
Pour répondre à la question de la redéfinition des termes du Pacte social que ces constats amènent, l’auteur relève quelques initiatives actuellement en cours deréalisation. Alors qu’au cours de ses développements, l’auteur avait mobilisé des analyses relevant du secteur de l’insertion, de la sécurité, il s’arrêteà la question des temps sociaux et à l’articulation des nouvelles attentes émanant de la sphère professionnelle et de la vie hors travail.
1 D. Vranken, Le crépuscule du social, Bruxelles, Labor, 2002, 89 p., 9 euros.
xavier
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