En Europe, le taux de « suicidité » est entre deux à six fois supérieur en milieu carcéral qu’en dehors. Un rapport suffisamment éloquent pour tenter d’en comprendre les raisons et les solutions à y apporter.
A l’instar de ce qui se passe dans la société, il est une problématique dont on parle peu lorsque l’on aborde le milieu carcéral : celle du suicide1. « La mort n’a plus droit de cité », explique Jean van Hemelrijk, psychothérapeute. « Tout est fait pour l’empêcher, la contrôler. » Qui plus est en prison, lieu de dépossession de la liberté et du corps. Pourtant, le suicide reflète en partie les maux de la société, y compris ceux de la vie vie en milieu carcéral.
« On meurt en prison. On meurt de prison », entame Dan Kaminski, professeur à l’école de criminologie de l’UCL. « Il n’y existe pas de programme national de prévention du suicide », déplore-t-il. L’accompagnement dépend le plus souvent du bon vouloir des associations de terrain (offrant un accompagnement psychologique), à la motivation d’individus isolés et au dynamisme des services d’aide aux détenus.
La logique de l’empêchement
Dans le contexte carcéral, « le suicide est considéré comme un outil dans les mains du détenu, s’inscrivant dans un rapport de force. Il est un indice de sa difficulté de réinsertion sociale nécessitant de prolonger sa peine. Le suicide est vu comme un mauvais usage de la liberté, à prévenir ou à soigner », explique Dan Kaminski.
Cette manière d’envisager tant la politique carcérale que le rapport au suicide est révélateur de l’inadaptation des structures. Selon le criminologue, « le savoir-risque y prime sur le savoir clinique. Le programme de la prison vise à la limitation de ce risque. Mais les réponses de contrôle et de soins apportées sont inadaptées », décrie Dan Kaminski, puisque la gestion statistique prendrait le pas sur le questionnement des conditions de vie en prison.
L’analyse du suicide à partir de la prison ne peut se faire en dehors de ce contexte. Privé de liberté et de maîtrise de soi, le suicide est « une réappropriation ultime de son corps », estime-t-il.
« La prison ne mène pas de facto au suicide, mais elle constitue un motif, un incitant supplémentaire », réagit Dan Kaminski, selon qui « la prison ne fournit rien dans son dispositif pour réduire la souffrance », suivant ainsi la logique de la moindre éligibilité (voir encadré). Et de citer Gisard : « La prison est un lieu de privation d’aller et venir, rien de plus », laissant place à l’interprétation double et antagonique : la prison est la punition. Elle ne doit donner lieu ni à des peines supplémentaires ni à des moyens de rendre l’emprisonnement plus « vivant ». Le criminologue parle dans ce second cas d’une vision mortifère du milieu carcéral. « Le programme de la prison maintient le détenu en vie sans autre dimension », regrette Dan Kaminski. Or il devrait exister des « manières vivantes d’enfermer » afin de mener à la réinsertion.
Cette doctrine veut que l’homme détenu doive obligatoirement vivre dans des conditions moins favorables que le plus démuni des hommes libres. « Cette vision n’ouvre pas l’option de l’amélioration des conditions de vie. Au contraire, elle amène à un durcissement de celles-ci. » Et Dan Kaminiski d’aller plus loin. « La suivre, c’est tracer un chemin vers la mort » puisque l’on n’offrirait aucune perspective au détenu. « Chaque époque organise son horreur… »
Quelles modalités d’enfermement voulons-nous ? Quelles politiques carcérales ? « On souhaite enfermer le moins possible. Mais il faut aussi mieux enfermer.» Comment ? On constate un manque criant de services de soutien psychiatriques. Or « il faut ramener la dimension clinique au cœur du projet, aux côtés des détenus », estime-t-il.
Avoir un réseau
Tant à l’extérieur qu’au sein des prisons, « le réseau d’appartenance est primordial », explique Jean van Hemelrijk. Or comment gérer ce réseau dans l’environnement cloisonné qu’est l’univers carcéral ? « Il est important que les détenus rencontrent des personnes de l’extérieur », insiste Dan Kaminski, parce qu’elles ont « un accès illimité mais ne disposent d’aucun pouvoir ». Elles sont là gratuitement, sans calculer, « alors qu’en prison, tout se monnaie ». Ces relations permettent « de trancher avec un environnement dans lequel le détenu est systématiquement instrumentalisé ». Il appelle dès lors à « changer la dynamique ».
A l’instar de ce qui se fait en dehors les murs, il est primordial de « travailler la culpabilité, la honte, la peur, la colère, l’ennui, l’humiliation », conclut Jean van Hemelrijk qui insiste sur la dimension de durée dans le temps dans laquelle doit s’inscrire la prévention. S’il est un enseignement, quelque peu fataliste, que tire Dan Kaminski, c’est celui-ci : « La prison n’est pas faite pour la vie. »
1. Dans le cadre du colloque organisé par le Centre de prévention du suicide:
– adresse : av. Winston Churchill, 108 à 1180 Uccle
– tél. : 02 650 08 92
– courriel : cps@peventionsuicide.be
– site : http://www.preventionsuicide.be