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Regard critique · Justice sociale
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Winston Churchill a le vent en poupe. Alors qu’il était quelque peu tombé dans l’oubli, l’ancien Premier ministre britannique, décédé en 1965, s’est vu dédier depuis peu un nombre croissant de biographies. Le grand écran lui a consacré un biopic (Darkest Hours, sorti en 2017). Et pour ceux que les longues soirées d’ennui du confinement ont fait se tourner vers Netflix, ce cher Winston y fait une apparition longue et remarquée dans les saisons 1, 2, 3 et 4 de la série «The Crown».

Conséquence de ce regain de popularité, les citations prêtées à cet orateur hors pair ont elles aussi connu une nouvelle popularité. Elles sont nombreuses, mais il y en a une qui l’emporte sur toutes les autres, une qui, les soirs de quiz dans les bars irlandais, a toutes les chances de se voir conviée. Il faut dire qu’elle en jette. Jugez plutôt: «Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.» Un classique… Pourtant, un an après le début de la pandémie et des mesures sanitaires qui l’accompagnent, on se dit que certains politiques feraient bien de se rendre dans un pub – quand les bars auront enfin rouvert – afin de déguster une «pint» de bière plate et de l’entendre à nouveau, cette citation. Qui sait, peut-être auront-ils aussi la chance de se voir poser une question sur les événements qui eurent lieu en mai 1991, à Forest? Des événements que l’on finit par appeler «Les émeutes de Forest» et auxquelles nous consacrons le dossier du numéro d’Alter Échos que vous tenez dans les mains. Peut-être le rapprochement entre Winston et Forest s’opérera-t-il également dans leur esprit? Ce serait même souhaitable.

Pourquoi? En 1991, dans le quartier de Saint-Antoine, situé dans le bas de Forest, l’ambiance n’était pas toujours tendre. C’est tout un quartier qui finit par exploser sous l’influence de conditions de vie dégradées, d’un sentiment de déclassement, de déni de certains droits fondamentaux, de relations tendues avec la police. Sous l’influence, en gros, d’une impression d’avoir été oubliés par les pouvoirs publics. Depuis, des politiques diverses et variées ont été mises en place et, comme vous pourrez le lire, le Forest de 2021 n’est pas celui de 1991. Mais de nombreux problèmes subsistent, comme dans d’autres quartiers «populaires» de Bruxelles, Liège ou Anvers. Ils sont connus: manque de formation, chômage endémique, logements trop petits ou trop peu nombreux, absence de perspectives.

En temps normal, ils constituent déjà un souci. Mais, avec les mesures sanitaires, la situation s’est aggravée. Elle est certes mauvaise pour beaucoup de monde, mais ce sont bien les quartiers fragilisés qui souffrent le plus des conséquences du semi-confinement dans lequel nous vivons depuis un an. Respecter le confinement est plus compliqué quand on vit dans un petit logement, ce qui peut engendrer des situations de tension avec les forces de l’ordre (pour certains, lorsque l’on vient d’un quartier populaire, on «traîne en rue» alors que d’autres, issus de zones plus aisées, «flânent»)… Espérer garder son emploi relève presque de l’illusion quand celui-ci est précaire – ou au noir – et que la crise frappe. Garder des perspectives d’avenir est compliqué quand on n’a pas ou que l’on a peu de qualifications, que l’on subit des discriminations, et que l’on sait que, dans le «monde d’après», la concurrence sera rude avec ceux, plus diplômés, qui auront aussi perdu leur job…

Dans des quartiers déjà sous tension, la pandémie et les mesures sanitaires sont venues remettre une couche de difficultés supplémentaires que les décideurs, singulièrement au niveau fédéral, semblent parfois ignorer. Un sentiment d’être, à nouveau, «oublié» pourrait s’y développer. Au point de basculer dans une situation identique à celle de mai 1991? «Les conditions sont parfaitement réunies», nous a répondu Fabien Houlmont, qui fut président de la Fédération syndicale de la gendarmerie belge de 1987 à 1991 et qui a vécu les «émeutes». Des événements qui font partie du passé de notre pays, peut-être un peu moins «grande histoire» que celui évoqué par Winston, mais que nos dirigeants feraient bien de ne pas oublier, au risque de le revivre.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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