Edito.
Fin de l’année 1993, entrait en vigueur la loi Onkelinx. Elle abrogeait le délit de vagabondage et de mendicité. Et marquait un véritable tournant dans la politique d’aides aux sans-abri. De «mendiant», la personne à la rue devient sans-abri. D’un individu à punir, on le considère désormais comme une personne en situation de précarité et d’exclusion, requérant des politiques sociales adaptées. Théoriquement… car la criminalisation des sans-abri n’a pas totalement disparu aujourd’hui, en témoignent les arrêtés mendicité pris par certaines communes et l’éclosion d’un mobilier urbain dissuasif pour ne pas dire répulsif.
Cette loi «contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire», comme le dit son intitulé, instaure aussi un droit pour les bourgmestres de réquisition des immeubles abandonnés depuis plus de six mois, afin de le mettre à la disposition de personnes sans abri.
Un quart de siècle plus tard… On constate que cette loi ne fut que très rarement appliquée. En juillet 2017, le bourgmestre d’Etterbeek y avait recours – une première en Région bruxelloise! – afin de loger temporairement des sans-papiers après une forte mobilisation citoyenne. Vincent de Wolf confiait en commission parlementaire qu’il avait dû jouer au contorsionniste avec la loi, «contexte d’urgence» oblige, comme c’est souvent le cas quand il s’agit de loger des personnes à la rue. C’est d’ailleurs, de l’avis des défenseurs des droits au logement, les nombreux obstacles contenus par la loi qui ont rendu impossible sa mise en œuvre, notamment la condition que la commune en question et/ou son CPAS ne sont pas eux-mêmes propriétaires… d’un logement inoccupé.
Le Front commun des SDF a donc décidé début de cette année d’enterrer symboliquement cette loi devant un lieu qui l’est tout autant lorsqu’on évoque les logements vides: le Gesù.
Cet ancien couvent a été occupé pendant près de trois ans par des centaines de sans-abri et de sans-papiers, avant d’être expulsés, sur ordre du bourgmestre de Saint-Josse Émir Kir en novembre 2013. Depuis? Il est vide… Son propriétaire a proposé un projet d’hôtel, de logements et un parking, recalé par le Conseil d’État. Le nouveau permis récemment délivré – après un recours d’associations sur les charges d’urbanisme – impose finalement au promoteur la création de 20 logements conventionnés (contre 9 auparavant). «Vingt logements accessibles (et non sociaux!) pour un hôtel cinq étoiles, ce n’est pas cher payé», déplore Inter-Environnement Bruxelles, à l’origine du recours avec l’Atelier de recherche et d’action urbaines. Ce n’est pas cher payé, en effet. Au regard des 40.000 personnes toujours en attente d’un logement social à Bruxelles.
Un autre chiffre aussi: 4.175. C’est le résultat du dénombrement de sans-abri effectué par la Strada, le centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri, révélé par la RTBF début du mois. En 2016, 3.386 personnes avaient été comptabilisées, c’était le double par rapport à 2008.
En 2014, l’accord de gouvernement bruxellois annonçait sa volonté de «travailler d’une façon équilibrée sur les dispositifs d’accueil à court terme d’une part et sur les solutions structurelles à long terme permettant une réelle insertion dans notre société d’autre part». La nouvelle ordonnance relative à l’aide aux sans-abri votée en mai 2018 semble suivre ce même équilibre. Le texte réorganise la politique d’accueil et s’éloigne du seul prisme de l’urgence. Mais la répartition du budget reste en défaveur des dispositifs d’insertion, à l’instar du programme Housing First en place à Bruxelles depuis 2015 et repris désormais dans la nouvelle ordonnance (lire en ligne notre dossier Housing First, vers la fin du sans-abrisme?, Alter Échos n°423, mai 2016). Si Pascal Smet et Céline Fremault annonçaient fièrement il y a quelques mois que le budget était passé de 420.000 euros en 2015 à 1.420.000 euros en 2018, il ne constitue toujours que 4% du budget global de l’aide aux sans-abri (35 millions annoncés)… Ce n’est pas cher payé.