L’asbl FOR.E.T. forme aux métiers de l’Horeca des candidats pas ou peu qualifiés. Cette association forestoise propose des formations de commis, de serveurs ou de valets de chambre qui propulsent vers l’emploi. Et ça marche: 70% des stagiaires décrochent un boulot à la sortie. Quels sont les ingrédients du succès?
«Les sauces?» «Ça va, elle maîtrise.» «Les garnitures?» «Elle gère.» Bienvenue dans l’une des plus vieilles associations bruxelloises de formation par le travail (AFT). Attablés dans la petite salle, Maggy discute avec le chef. Le décor est soigné: de belles tables en bois, des portraits de poissons, de grandes armoires d’apothicaire où trônent les assiettes cernées de beaux vases garnis de fleurs fraîches. Tous les deux passent au gril un à un les équipiers de la petite brigade qui cuisinent au comptoir, à quelques mètres des clients. La table d’hôte de l’asbl accueille chaque jour entre 40 à 50 couverts. À côté, le restaurant pédagogique sert du mardi au vendredi une soixantaine de personnes, à l’heure du déjeuner. Dans les deux cuisines du grand restaurant, on compte une vingtaine de stagiaires s’activant aux fourneaux. Divisés en deux groupes, ils sont sous la supervision de professionnels issus de l’Horeca, dont une chef irlandaise. Ce qui explique la présence d’une belle pièce de viande venue de l’île sur le menu. De manière générale, les plats du jour dépassent rarement les 12 euros. «La carte est renouvelée chaque semaine, avec des plats, des entrées de saison, ce qui oblige nos stagiaires à maîtriser le plus d’ingrédients.» Petite, bon franc-parler, communicative, Maggy Iglesias est la directrice de l’asbl. Et ce, depuis le début. Elle est incollable sur son histoire.
Le tournant arrive en 1998 avec l’agrément AFT.
Petit retour en arrière. Début des années 1990, émeutes dans le quartier Saint-Antoine. À l’époque, la tension est à son comble: un simple contrôle d’identité déclenche les jets de pierres. La question est alors la suivante: comment mieux intégrer les populations fragilisées, issues de l’immigration, notamment les jeunes? C’est dans ce contexte que naît l’asbl FOR.E.T., acronyme de FORmation Emploi Tremplin. À ce moment, l’objectif était déjà d’offrir un nouveau parcours pour l’emploi. «À l’origine, ça s’appelait le Collectif Action Formation urbaine, tout un programme», sourit celle qui en était déjà la directrice. L’asbl prend finalement son nom définitif, à savoir FOR.E.T. Ses débuts sont modestes: 12 stagiaires, six en bâtiment, six en restauration sont formés par trois encadrants. Le tournant arrive en 1998 avec l’agrément AFT. Le feu vert pour devenir un atelier de formation par le travail, comprenez «atelier-apprentissage-métier-sur-le-tas». Ensuite, les événements s’accélèrent. L’asbl arrête ses cours dans le bâtiment pour mieux se consacrer aux métiers de l’Horeca. Sitôt dit, sitôt fait, le training valet de chambre arrive en 2005, suivi de celui de commis de salle sept années plus tard. Aujourd’hui, l’asbl, toutes formations confondues, c’est un peu moins de 100 stagiaires à l’année. Des jeunes, pour la plupart, majoritairement des femmes (à 60%). Les conditions d’admission? «Les formations sont réservées à un public peu ou pas du tout diplômé, répond la directrice. On sait que l’on a des gens qui viennent de loin, parfois qui ont bravé les mers.»
Un tremplin vers l’emploi sous conditions
Attirés par le bouche-à-oreille et par des cours subsidiés par Bruxelles Formation, les candidats sont nombreux. Cinq cents en moyenne chaque année. Rien de plus normal dans une commune où, en 2016, 30% des 15-24 ans pointaient au chômage chaque mois. Mais avec seulement 96 admissions une fois par an, la sélection est rigoureuse à l’asbl. Être inscrit chez Actiris et être majeur sont une chose. Mais la motivation sera résolument la clé pour être pris à l’association. Les stagiaires doivent respecter le contrat pédagogique. Pas d’absences injustifiées: tout le monde doit respecter une présence à 85% sur les centaines d’heures de formation. Si absence il y a, le stagiaire se verra notifier jusqu’à trois avertissements, avant son renvoi éventuel. Un mois après son arrivée, le nouveau stagiaire a droit à un entretien individuel pour savoir si tout se passe bien.
«On sait que l’on a des gens qui viennent de loin et qui ont bravé les mers», Maggy Iglesias, directrice
Mais l’asbl n’a pas oublié de se mettre au niveau de ses candidats. Notamment pour ceux et celles dont la maîtrise du français ou du néerlandais est insuffisante. Pour ces padawans au métier de commis de cuisine, l’asbl leur propose une préformation de quelques mois, afin de les préparer au mieux à la véritable formation. Et il vaut mieux. Car dans la cuisine d’envoi du restaurant pédagogique, c’est du costaud. Lorsque le chef frappe dans ses mains, les stagiaires s’agitent. Difficile de les approcher pour leur poser une question, tant ils sont mis en condition. «C’est voulu», ajoute Maggy. Ici, l’asbl ne travaille qu’avec des professionnels de l’Horeca pour rapprocher le plus ses stagiaires des conditions professionnelles. Après six mois intensifs où ils tournent sur tous les postes de cuisine, les commis doivent enchaîner en trouvant un stage professionnel. C’est ce dernier qui doit concrétiser le passage vers l’emploi. Une recette qui fonctionne et les chiffres le démontrent. Pratiquement neuf candidats sur 10 arriveront au bout de leur formation. Sept sur 10 trouveront un emploi à la sortie, dont trois à l’issue de ce fameux stage professionnel.
Une réussite qui tient à plusieurs facteurs. Le premier est la proximité avec le monde professionnel. Les stagiaires sont supervisés par des chefs, des pros du restaurant et de l’hôtellerie. La formation n’est pas le seul atout de l’asbl FOR.E.T. La mise en réseau l’est également. Le stagiaire est aidé pour trouver son stage professionnel. Cette dernière fait bénéficier de son réseau à ses jeunes protégés. C’est ainsi que l’on retrouve d’anciens stagiaires dans les cuisines du restaurant de l’Atomium ou dans la salle de la brasserie Toucan à Bruxelles. Enfin, certaines formations garantissent parfois une sortie certaine vers l’emploi; c’est le cas pour le training femme/valet de chambre, un training qui «cartonne», pour reprendre les mots de Maggy Iglesias.
La ILDE, le joker emploi
L’asbl FOR.E.T. accueille un public déboussolé. Il n’a plus rien à voir avec les anciens prisonniers en voie de réinsertion qui venaient à l’association dans les années 1990. Aujourd’hui, presque neuf candidats sur 10 proviennent des frontières extérieures de l’Europe. Ce qui pose des défis considérables: 89% des stagiaires n’ont pas de diplômes. Beaucoup ne peuvent justifier d’une bonne maîtrise de la langue française ou du néerlandais. De telles lacunes ne peuvent être corrigées en six mois de formation. Il faut aussi savoir combler le fossé culturel durant cette période, notamment pour des jeunes issus de l’immigration qui n’ont pas l’habitude de travailler avec des produits belges. La solution passe par la ILDE, c’est-à-dire l’Initiative locale de développement pour l’emploi: une sorte de sas facilitant la transition entre la formation de l’asbl et le premier boulot.
L’embauche des anciens stagiaires ne dure que 18 mois au maximum.
Créée en 2009, la ILDE a vu le jour pour corriger les mauvais chiffres. Car, à la fin des années 2000, seule la moitié des stagiaires de l’association parvenait à trouver du travail à la suite de leur formation. Principalement à cause des difficultés linguistiques. Le nouveau mécanisme permet à des stagiaires d’avoir leur première embauche tout en restant sous la supervision d’un formateur. Comment ça marche? Il suffit de prendre exemple sur le partenariat qui unit l’asbl FOR.E.T. et l’auberge de jeunesse Sleepwell. Cette dernière est située en plein centre de Bruxelles, à deux pas de la rue Neuve et ne désemplit jamais. Depuis 2010, grâce à la ILDE, les deux partenaires s’unissent. D’un côté, l’auberge paye une prestation Horeca à l’asbl qui peut alors y embaucher ses stagiaires. Ainsi, quatre d’entre eux épaulés par un formateur professionnel, gèrent chaque jour 250 petits déjeuners. «C’est ce qui permet aux plus faibles, côté maîtrise du français, de se faire à l’emploi, à acquérir des compétences professionnelles», dit Maggy Iglesias, qui précise toutefois que l’embauche des anciens stagiaires ne dure que 18 mois au maximum. D’un côté, Sleepwell peut valoriser le côté embauche solidaire (et ne se prive pas de le faire sur son site internet), de l’autre côté, l’asbl peut aider ses stagiaires à accomplir leur transition personnelle vers le monde professionnel.
Une réussite subsidiée
L’asbl FOR.E.T. représente un modèle qui fonctionne… jusqu’à un certain point. Malgré sa réussite, elle reste très dépendante des subsides procurés par ses partenaires. «Pensez à les citer!», insiste Maggy. Actiris, Bruxelles Formation, le CPAS et la commune de Forest, le Fonds social européen et le Service public francophone bruxellois. Au total, l’asbl représente une petite affaire à 1.000.000 euros de budget annuel. Dix-neuf pour cent de cette somme provient des ventes du restaurant pédagogique, de la table d’hôte mais également des services prestés dans le cadre de la ILDE. Mais qu’importe pour Maggy, «l’important, c’est que le subside couvre la formation de nos stagiaires ainsi que la rémunération des formateurs». Le reste sert à gérer les imprévus.
La plus vieille association bruxelloise de formation par le travail peut se targuer d’être là depuis longtemps et pour longtemps. Confortablement installée depuis juillet 2016 dans le nouveau bâtiment communal «Divercity», l’asbl a tout ce qu’il faut pour former ses stagiaires. La construction du bâtiment a été subventionnée par la Région (contrats de quartier) de Bruxelles-Capitale, la commune de Forest mais aussi par le FEDER (le Fonds européen de développement régional). Les drapeaux bleus aux étoiles sont fièrement placardés sur les murs de l’asbl et sous le nez des clients. Avec son restaurant pédagogique, sa table d’hôte, l’association contribue finalement à remettre beaucoup de goût et d’emploi dans le quartier du pont de Luttre, ancienne friche industrielle. Depuis 2000, ce sont en effet plus 1.200 stagiaires qui ont accompli leurs formations à l’asbl.
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Alter Échos n° 439, «Insertion professionnelle: lentement mais sûrement», Julie Luong, 13 février 2017