Ce 25 juillet, le Moniteur belge a publié le décret wallon « relatif à quelques permis pour lesquels il existe des motifs impérieuxd’intérêt général », également appelé « décret par autorisation régionale » (DAR). S’il sert l’intérêtgénéral de la Région, le texte soulève toutefois des questions en termes de démocratie.
Intérêt général = intérêt régional
Tout d’abord, il n’y a pas de définition claire de l’intérêt régional – ou général. Le décret prévoit que «l’intérêt régional » est reconnu par le gouvernement soit d’initiative, soit sur la proposition du fonctionnaire délégué. L’exposé desmotifs signale « qu’il existe des critères objectifs [sans préciser lesquels] qui font qu’un projet est ou n’est pas d’intérêt régional etqui sont liés au regard que leur porte la Région wallonne quant à leur caractère social, économique, énergétique, de mobilité, patrimonial ouenvironnemental. » Ces explications laissent dubitatif le Conseil d’État pour qui cet « intérêt régional » s’avère être « une notionaux contours particulièrement flous, laissant un très large pouvoir d’appréciation discrétionnaire quant à la détermination des projets visés.»
À l’arrivée, le décret cadre surtout « les motifs impérieux d’intérêt général ». Ceux-ci concernent quatre sortes de projets:
• les aménagements d’infrastructures et bâtiments des aéroports régionaux de Liège-Bierset et Charleroi-Bruxelles Sud ;
• la mise en place du RER ;
• les modes structurants de transports en commun pour Charleroi, Liège, Mons et Namur ;
• les chaînons manquants routiers et fluviaux prévus dans le cadre du développement du réseau transeuropéen de transport.
Dans la foulée, le décret avalise treize permis concernant des projets d’intérêt général : huit concernent les aéroports régionaux, deux leRER, un autre la construction et l’exploitation de la station d’épuration du Hain à Braine-le-Château et les deux derniers l’installation du centre administratif de lasociété Fedex à La Hulpe, lequel pourra accueillir 700 travailleurs.
Mise en place d’un système
Avec ce décret, d’autres permis d’urbanisme, d’environnement et les permis uniques sont susceptibles d’être reconnus permis d’intérêt régional. L’exposé desmotifs mentionne la liaison E420 visant à créer une liaison autoroutière entre Charleroi et la France, ainsi que le contournement de Couvin, ou encore la liaisonCerexhe-Heuseux-Beaufays qui a pour objectif de compléter le ring de Liège.
Dans la pratique, il appartiendra au gouvernement de présenter les permis concernant ces projets au Parlement. Ce dernier aura soixante jours pour les ratifier. Si le Parlement ne statue pasdans les délais, le permis sera considéré comme refusé. Enfin, les permis d’intérêt régional ne seront effectifs qu’au lendemain de lapublication au Moniteur belge du décret qui les concerne.
Le vote
Les débats parlementaires ont été houleux. Du côté d’Écolo, le député Bernard Wesphael1 n’a pas mâché ses mots. Pourlui, il y a un triple déni de démocratie :
• le texte dénie la possibilité pour les citoyens et les associations d’aller en recours au Conseil d’État contre des dossiers mal ficelés. Le députédoute des possibilités de recours – prévues par le décret – devant la Cour constitutionnelle ;
• le décret nie la séparation des pouvoirs, puisqu’il permet au Parlement de cumuler des fonctions législatives et exécutives ;
• enfin, le décret dénie le pouvoir parlementaire : pour les treize permis ratifiés, les parlementaires n’ont pas eu accès aux différentes pièces dudossier et le délai a été de cinq jours… au lieu des soixante inscrits au décret.
Et de pointer le risque de lobbying visant à contourner les procédures habituelles. Des courriers circuleraient déjà, avec pour demande de faire passer despermis ordinaires en permis d’intérêt régional. Au vote final, Écolo a, en toute logique, voté contre le décret.
Pour sa part, le MR émet de sérieux doutes quant à la procédure. « Le décret ratifie des permis qui ont déjà étédélivrés, tout en prévoyant un mécanisme pour l’avenir », remarque le député Willy Borsus2. Selon lui, le Parlement est appeléà la rescousse pour sauver certains dossiers qui patinent. Il se demande si c’est vraiment là le rôle du Parlement. Néanmoins, le MR est convaincu qu’un certain nombre deprojets sont assez importants pour le développement socio-économique de la Région wallonne (RER, aéroports…). Dès lors, le parti a décidé des’abstenir, plutôt que de s’opposer au texte.
Position d’IEW
De son côté, Inter-Environnement Wallonie3 pointe non seulement le non-respect de la séparation des pouvoirs et le problème d’accès au recours pour lescitoyens et les associations, mais aussi le non-respect de la hiérarchie des normes – un permis délivré par décret aura la même valeur que le Code wallon del’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (Cwatup), il ne devra donc pas en respecter toutes les règles, au contraire d’un permis ordinaire.
« Nous n’avons pas une opposition de fond à la délivrance ponctuelle d’un permis par décret, précise Janine Kievits, chargée de mission à IEW, etnous sommes d’accord avec l’idée que l’intérêt public doit primer sur l’intérêt privé. Toutefois, l’esprit dans lequel ce décret aété conçu nous pose question. C’est au Parlement de cadrer le gouvernement et non l’inverse or que voit-on ? Des parlementaires ont été priés de voter treizepermis dont ils n’ont pas eu l’occasion d’étudier ou même de consulter les dossiers : c’est le gouvernement qui a cadré le parlement. C’est contraireà la démocratie parlementaire. » Enfin, et surtout, le décret instaure un véritable système pour des procédures et des projets qui devraient constituerl’exception.
Janine Kievits déplore cette tendance à confondre l’intérêt public et l’intérêt régional. « Au niveau de la Région, dès qu’il y acréation d’emploi, on dit que c’est d’intérêt
régional. Or, si l’on prend le cas du permis demandé par le promoteur Codic [pour l’implantation de Fedex], on sertavant tout un intérêt privé. En procédant ainsi, on prend le risque qu’un sentiment négatif se développe par rapport aux industriels ou promoteurs carde plus en plus de gens auront l’impression – justifiée – d’un deux poids, deux mesures dans la délivrance des permis. »
Et si on écrivait des textes lisibles…
À Inter-Environnement Wallonie, on est conscient du problème du gouvernement par rapport aux recours. « Mais le gouvernement s’y prend mal, regrette Janine Kievits. Lescritiques formulées par certains politiques à l’égard du Conseil d’État nous font douter qu’il aient compris le rôle de celui-ci dans un systèmedémocratique. Le Conseil d’État ne donne pas raison au premier venu. Il contrôle les irrégularités. Or le Cwatup est illisible, il est donc normal qu’il y ait deserreurs de procédure et donc des recours accueillis. »
Même constat de la part de Willy Borsus : « Le Cwatup a subi treize changements au cours de cette législature. Actuellement, on aménage le territoire avec des règlesde plus en plus dépassées ou qui sont en perpétuel changement et sont incompréhensibles. Le débat sur le DAR ne doit pas occulter le débat sur le Cwatup», insiste le député MR.
Il apparaît indispensable de rédiger des textes lisibles. Si le DAR peut jouer un rôle positif, ce serait sans doute celui-là. « Le fait que le parlementdébatte de certains permis pourrait être l’occasion pour les parlementaires de s’enrichir sur la manière de faire les textes », note Janine Kievits.
1. Bernard Wesphael, Groupe Écolo :
– adresse : Maison des parlementaires, rue Notre-Dame, 9 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 94 64
– courriel : bernard.wesphael@teledisnet.be
2. Willy Borsus, Groupe MR :
– adresse : rue du Tan, 1, bte 2 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 16 55
– courriel : willy.borsus@mrpw.be
– site : www.willyborsus.be
3. IEW :
– adresse : bd du Nord, 6 à 5000 Namur
– tél. : 081 25 52 80
– courriel : j.kievits@iewonline.be
– site : www.iewonline.be