Dès le 1er juillet 2016, les jeunes Bruxellois de moins de 25 ans au chômage depuis 18 mois se verront proposer un contrat de travail d’un an. Ce dispositif porte un nom: les contrats d’insertion.
Article publié dans Alter Echos n°426, le 28 juin 2016.
Pour Didier Gosuin, il s’agit d’«une des mesures phares» de l’accord de gouvernement à Bruxelles. De son côté, Gregor Chapelle fait carrément dans l’emphase en évoquant une «une politique d’emploi keynésienne». Mais de quoi le ministre bruxellois de l’Emploi et le directeur général d’Actiris peuvent-ils bien parler? Des contrats d’insertion pardi. Dès le 1er juillet 2016, tout jeune Bruxellois de moins de 25 ans inscrit chez Actiris depuis 18 mois se verra proposer l’un de ces fameux contrats par Actiris. Et quand on parle de contrat… on parle bien de contrat. Il s’agira donc d’une embauche à durée déterminée – douze mois – dans le secteur non marchand ou public. But de l’opération: donner au jeune une première expérience professionnelle et lui permettre d’acquérir certaines compétences. Avec, cerise sur le gâteau, la possibilité de venir contrer les mesures d’exclusion du chômage issues du fédéral. Douze mois de travail, c’est en effet suffisant pour récupérer ses droits… Et ne pas tomber au CPAS… Ce sont les communes qui vont être contentes.
De leur côté, les employeurs auront aussi quelque chose à gagner puisque le système est basé sur le dispositif ACS. Ils bénéficieront ainsi d’une prime de 24.000 euros – pouvoirs locaux – à 27.000 euros – organismes publics ou asbl – par an et par jeune en plus de réductions de cotisation sociale. Mine de rien, il s’agit d’un changement de paradigme. En général, c’est le chômeur qui est considéré comme responsable de sa recherche d’emploi. Ici, la responsabilité pèsera sur les épaules d’Actiris. Un renversement de situation que l’on trouvait déjà au sein de la Garantie jeunes, lancée à Bruxelles il y a un an et demi. Il n’y a rien d’étonnant à cela: le contrat d’insertion se situe dans la lignée de la Garantie jeunes.
Pour rappel, près de 12.000 jeunes s’inscrivent chaque année chez Actiris. Six mille trouveraient un emploi dans les six mois et n’auraient pas besoin d’aide. Six mille autres seraient plus en difficulté. C’est à eux que s’adresse la Garantie jeunes puisqu’elle permet de proposer 3.000 formations, 2.000 stages et 1.000 emplois aux jeunes de moins de 25 ans inscrits chez Actiris. Le contrat d’insertion vient donc en quelque sorte compléter cet arsenal en bout de course puisqu’il sera proposé après 18 mois de chômage. Le jeune sera d’ailleurs pris en charge par une cellule «contrat d’insertion» logée elle-même au sein de la cellule «Youth Guarantee» en charge de la Garantie jeunes. En phase de croisière, on parle de de 800 à 1.000 contrats d’insertion par an.
Pas de l’occupationnel?
En mars 2016, un appel à projets a été lancé à destination des employeurs intéressés. «849 équivalents temps pleins ont été demandés par les employeurs, mais nous avons octroyé seulement 655 postes», explique Didier Gosuin (Défi). Les projets ont été sélectionnés par Actiris selon des critères évaluant leur pertinence, leur qualité, l’objectivation des compétences ainsi que l’accompagnement offert au jeune. «Il faut qu’il y ait une véritable plus-value au niveau de l’accompagnement. Nous ne sommes pas là pour faire de l’occupationnel», explique Didier Gosuin. Détail piquant: les projets proposant des postes surqualifiés ont été écartés, d’après Gregor Chapelle. Difficile de demander trop en termes de qualifications à un jeune de moins de 25 ans au chômage depuis 18 mois…
Malgré cela, 655 postes ACS, cela reste beaucoup alors que le système est pratiquement gelé depuis quelques années. Trop pour le budget de 5,529 millions d’euros pour 2016 voté par le gouvernement? «Il n’y aura pas 655 jeunes d’un coup, tempère Didier Gosuin. Les postes vont se remplir progressivement.» Il y a quatre mois, le cabinet déclarait ainsi s’attendre à conclure entre 250 et 300 contrats au second semestre 2016. Un constat qui risque de poser problème aux employeurs. «Ils vont devoir parfois attendre l’arrivée d’un jeune alors qu’ils en ont peut-être besoin», explique Gregor Chapelle. Une dernière phrase qui souligne un autre problème: «Certains employeurs ne sont peut-être pas tout à fait dans une démarche d’insertion socioprofessionnelle, souligne Gregor Chapelle. Il faudra leur expliquer.»
Autre détail qui a son importance: puisqu’il s’agit bien d’un poste ACS, les employeurs l’ont obtenu pour plusieurs années. Ils verront donc les jeunes s’y succéder année après année. Et ne pourront pas trop faire la fine bouche: trois jeunes – aux profils supposés les plus adaptés – leur seront proposés. «De facto, les employeurs se verront présenter des candidats reflétant la diversité du public bruxellois en recherche d’emploi», affirme le cabinet de Didier Gosuin. Ce qui devrait limiter les effets de discrimination. Mais si l’employeur dit «non» trois fois, fini le poste ACS.
Quant au jeune, pourra-t-il répondre «nièt» aux emplois proposés sans risquer de se voir sanctionné? Du côté de Didier Gosuin, la réponse n’est pas très claire. «Je ne vais tout de même demander à Actiris de faire des efforts pour des jeunes qui refusent d’en faire», finit tout de même par lâcher le ministre. Gregor Chapelle, lui, se veut plus rassurant. «Si le jobcoach estime que le jeune ne veut pas s’engager alors qu’il est compétent, cela sera mis dans son dossier. Et avec le flux de transmission d’info, cela arrivera à l’Onem. Mais cela ne correspond pas vraiment à la philosophie d’Actiris, ce type de sanctions n’arrive pas plus de trois fois par an.»
Et le marchand?
Du côté des partenaires sociaux, on se montre plutôt positif. «Il s’agit d’un vrai contrat de travail, contrôlé et supervisé par Actiris, une vraie étape pour une insertion dans un emploi durable et de qualité, explique Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGTB Bruxelles et membre du Comité de gestion d’Actiris. Même si, au sein de la FGTB, certains disent qu’on aurait par exemple mieux fait d’engager des employés statutaires au sein des pouvoirs publics.»
À la Confédération bruxelloise des entreprises non marchandes, le ton se veut aussi relativement positif. «Pour les jeunes, l’élément clef pour trouver un travail, c’est l’expérience, note Gabriel Maisin, conseiller économique à la CBENM. Dans ce contexte, les contrats d’insertion sont intéressants.» Le conseiller souligne aussi qu’aucun critère de qualification n’a été établi. Un point positif pour un secteur non marchand souvent en recherche de profils plutôt qualifiés. «On pourra donc peut-être accueillir des bacheliers», suppose-t-il.
Mais qu’en est-il de l’opinion des employeurs du marchand, eux aussi membres du comité de gestion d’Actiris? Actuellement, les contrats d’insertion ne leur sont pas destinés, les ACS ne s’appliquant que dans le non-marchand. Mais il se chuchote qu’un prochain appel à projets pourrait leur être proposé. Avec des outils adaptés. «Il s’agit d’un enjeu important, le marchand doit aussi prendre sa part de contribution à l’intérêt général. Ce qu’il rechigne à faire. S’occuper d’un jeune moins qualifié, cela prend du temps. Le secteur préfère embaucher quelqu’un qui sort de Solvay», souligne Philippe Van Muylder. Un secteur marchand qui, d’après Gregor Chapelle, a d’ailleurs déjà décliné une première invitation de la part d’Actiris.
Du côté de Beci, Olivier Willocx, administrateur délégué, souligne l’impossibilité d’avoir des emplois subsidiés dans le secteur marchand. Les risques de concurrence déloyale sont trop grands. Quid de l’idée de disposer de contrats d’insertion dotés d’un autre outil? «Nous en avons déjà, cela s’appelle des stages d’insertion», rétorque l’administrateur délégué. Avant de suggérer de mener plutôt un débat sur la durée des stages, trop courts dans certains secteurs d’après lui.
En savoir plus
«Garantie pour la jeunesse : Bruxelles mise gros», Alter Échos n°393, novembre 2014, Julien Winkel
«Chômage des jeunes : l’Europe s’agite», Alter Échos n°36, juin 2013, Eric Ravenne