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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

De moins en moins sociaux, les titres-services ?

Une évaluation des titres-services identifie les raisons de « sortie » du système par les travailleurs. Parmi elles : la faiblesse du salaire et la pénibilité du travail.

16-11-2012 Alter Échos n° 349

Idea Consult publie chaque année une évaluation concernant le système des titres-services. La livraison de cette année (qui se penche sur les résultats de 2011) pointe entre autres les raisons qui poussent certains travailleurs à quitter le système. Parmi elles : la faiblesse des salaires et la pénibilité du travail. Face à ce constat, Alter Echos est allé interroger plusieurs structures qui tentent, parfois difficilement, d’offrir de meilleures conditions de travail à leurs travailleurs.

Elle est épaisse, bien épaisse (194 pages), l’évaluation que produit chaque année Idea Consult au sujet des titres-services. Tellement d’ailleurs que l’ensemble des chiffres et constatations qui s’y trouvent pourraient donner lieu à une (bonne) série d’articles et de conclusions aux propos divers, et parfois opposés, selon le point de vue où l’on se place. Néanmoins, ce document permet de tracer certaines tendances générales (voir encadré) concernant l’évolution et les conditions de travail d’un système en croissance constante. Parmi elles, les raisons qui ont poussé 12 % des travailleurs à quitter le système et au sein desquelles on retrouve principalement la faiblesse des salaires (48 %) et la pénibilité du travail (35 %).

Un système en croissance
Quelques chiffres concernant l’évolution du système des titres-services :

  •  En 2011, on comptait 2 708 entreprises agréées actives contre 2 576 en 2010. En 2009, ce chiffre était de 2 292 et en 2004 de 504.
  •  Le nombre de travailleurs dans le courant de l’année était de 149 827 en 2011 contre 136 915 en 2010. En 2007, ce chiffre s’élevait à 87 152.
  •  Le nombre d’utilisateurs actifs était de 834 959 en 2011, contre 760 702 en 2010. Ce chiffre était de 190 734 en 2005.
  •  En 2011, le système comptait notamment 46,4 % d’entreprises commerciales (contre 16 % en 2004), 12,5 % d’asbl (21 % en 2004), 10,2 % de CPAS et communes (24 % en 2004), 9,4 % d’ALE (agences locales pour l’emploi) (31 % en 2004) et 4,1 % d’entreprises d’insertion (3 % en 2004). Il y a donc eu une forte hausse de la proportion de structures commerciales alors que celle du groupe des asbl/CPAS/ALE a connu une forte baisse. Pour le rapport, « la part décroissante des CPAS et des ALE est logique étant donné que le nombre des CPAS et des ALE est limité. Toutes les ALE et tous les CPAS avec services de nettoyage sont entrés très rapidement dans le système. Pour les asbl, ce raisonnement s’applique moins puisqu’il est relativement simple de créer de nouvelles structures ».
  •  Parmi les travailleurs, on compte 97 % de femmes, contre 3 % d’hommes. Six travailleurs sur dix sont peu qualifiés. A noter que la part des travailleurs âgés de 50 ans et plus est passée de 10,7 % en 2006 à 18,9 % en 2011.

L’emploi

Les chiffres concernant la « qualité » de l’emploi dans le système des titres-services :

  •  83 % des travailleurs déclarent avoir opté délibérément pour le système. En 2007, ce chiffre était de 84 %. Au total, 84 % des travailleurs se déclarent satisfaits.
  • 97 % des travailleurs effectuent du nettoyage, 71 % du repassage. 8 % déclarent avoir effectué un travail non autorisé au moins une fois. Dans ce contexte, 2,7 % des travailleurs ont fait de la garde d’enfant.
  •  Concernant le nombre de contrats, on est passé de 705 650 contrats en 2006 (11,43 contrats par travailleurs) à 227 873 en 2011 (1,5 contrat par travailleur). Pour Idea Consult, cette tendance serait due à l’augmentation des contrats à durée indéterminée. L’emploi en titres-services deviendrait donc plus stable et plus durable.
  •  94 461 contrats à durée indéterminée ont été conclus en 2011, contre 133 412 contrats à durée déterminée. D’après Idea Consult, ce seraient les entreprises d’intérim qui feraient augmenter le nombre de CDD : seulement 21 % de leurs contrats sont des CDI, pour 75 % aux ALE par exemple, alors que le taux moyen dans le secteur se situe aux alentours de 50 %.
  •  En 2011, le salaire horaire brut moyen était de 10,54 euros contre 8,76 euros en 2004.
  •  En cas de suppression d’une prestation, celle-ci serait remplacée dans 58 % des cas par une prestation chez un autre utilisateur. Le chômage temporaire est utilisé dans 22 % des cas. Dans 19 % des cas, le travailleur n’est pas payé.
  •  12 % des travailleurs interrogés ont indiqué qu’ils avaient quitté le système en 2011 ou début 2012. Pour 48 % d’entre-eux, la raison est la faiblesse du revenu. Pour 35 %, il s’agit de la pénibilité du travail.

Comme un air de déjà entendu

Ce constat et d’autres n’ont pas tardé à faire réagir la FGTB qui, dans une communiqué de presse daté du 25 octobre, notait que « la valeur de remboursement des titres-services ne permet pas d’améliorer les salaires et les conditions de travail : entre autres la constitution d’une ancienneté, de meilleurs frais de déplacement… » Des propos qui rappellent curieusement ceux tenus par une série d’opérateurs titres-services dans les pages d’Alter Echos il y a de cela deux ans et demi. A l’époque, ceux-ci affirmaient leur volonté d’œuvrer à une insertion et un emploi durable et de qualité pour les travailleurs titres-services. Mais ils pointaient la faiblesse… de la valeur de remboursement (passée de 23,56 à 20,8 euros en quelques années) pour illustrer leurs difficultés croissantes à assurer ces bonnes conditions de travail (notamment des contrats à durée indéterminée et une ancienneté au-delà des trois ans prévus par la CP 322.01, la commission paritaire pour les entreprises agréées fournissant des travaux ou services de proximité [titres-services]) à leurs travailleurs. Avec, planant derrière tout cela, l’ombre des opérateurs commerciaux titres-services (en d’autres mots le secteur de l’intérim) qui, n’offrant pas ce genre d’avantages avec autant de prodigalité, connaissaient bien moins de soucis.

Aujourd’hui, la situation semble donc n’avoir guère changé. « On pourrait bien sûr dire qu’il y a eu une hausse du salaire horaire moyen brut (voir encadré), note Eric Neuprez, secrétaire fédéral de la centrale générale de la FGTB[x]1[/x]. Mais cette hausse est due à l’indexation des salaires. Ce qui pourrait de plus mettre les employeurs en difficulté, car concernant les rentrées des employeurs, seule la partie de la valeur de remboursement prise en charge par le gouvernement (75 % de la valeur de remboursement) suit l’indexation. Alors que l’autre partie [NDLR celle versée par le client] ne le fait pas. »

Dès lors que les employeurs sont appelés à indexer à 100 % le salaire de leurs travailleurs titres-services, ce « gap » ainsi créé les amène à compenser de plus en plus de leur poche… « On pourra rétorquer que l’augmentation du prix des titres-services [NDLR la partie versée par le client, qui passera bientôt de 7,5 à 8,5 euros] pourrait compenser cela. Mais cette augmentation de la valeur faciale servira au gouvernement à stabiliser le système des titres-services et lui éviter de sortir de l’argent frais [NDLR pour un système en croissance et dont le budget annuel est compliqué à définir] », continue le syndicaliste.

Quand les aides s’éteignent

Ce problème se voit encore aggravé par le fait que les aides à l’emploi (Activa, Sine…) qui aident grandement les employeurs à mettre du beurre dans leurs épinards s’éteignent en général après quatre ans. Or, de l’avis de beaucoup, un travailleur n’est plus rentable dès ce moment. Si dans ce contexte une structure commerciale n’hésiterait peut-être pas à licencier son travailleur, les structures plus sociales se voient quant à elles mises en porte-à-faux par rapport à leurs objectifs d’insertion.

Des objectifs qui risquent donc de devenir intenables au regard de ce qui a été dit ? Se dirige-t-on vers un secteur titres-services de plus en plus « commercial » ? « Il y a clairement un risque pour les opérateurs « sociaux », comme les entreprises d’insertion. Cela risque de les condamner à revoir leur politique… », déplore Eric Neuprez.

Et effectivement, du côté de Natise[x]2[/x], une entreprise d’insertion qui faisait partie des structures interrogées il y a deux ans et demi, on a réagencé les choses… mais d’une manière quelque peu inattendue, quoique en adéquation avec la philosophie du secteur. Plutôt que de mettre des travailleurs à la porte, le directeur a préféré partir et se faire remplacer par un nouveau directeur ad interim fonctionnant en qualité de bénévole… « Avec la situation que vous connaissez, nous allions dans le mur, explique Jean-Pierre Martin, le nouveau directeur bénévole. Nous n’avions plus les moyens de payer un directeur, qui a donc pris le pli de trouver un autre poste. » L’entreprise d’insertion a donc poussé sa logique jusqu’au bout, et les chiffres sont repassés dans le vert. « On dit qu’on chouchoute nos travailleurs, mais nous sommes une entreprise d’insertion », justifie Jean-Pierre Martin.

Cela dit, d’autres structures adoptent des solutions plus « classiques ». Ainsi, rappelons-nous qu’il y a deux ans et demi, la FCSD[x]3[/x] (fédération des centrales de services à domicile) avait interpellé Joëlle Milquet (CDH), alors ministre fédérale de l’Emploi. « Nous lui avons proposé un système de remboursement différencié qui valorise les activités titres-services de qualité, mais la ministre n’a pas voulu suivre, déplore Marc Xhrouet, directeur de la FCSD. Et la situation a empiré sur cette base-là. » Conséquence : beaucoup de services ont dû quitter le système des titres-services au fur et à mesure. « Quand les services sont entrés dans le système des titres-services, nous avons eu un accord pour que les travailleurs puissent bénéficier des conditions en vigueur dans la commission paritaire des aides familiales. C’était une bonne chose pour les conditions de travail, mais financièrement le secteur s’est retrouvé dans une situation très compliquée. »

Notons que la Fédération des CPAS wallons[x]4[/x] fait état des mêmes difficultés. Si le secteur déclare être encore en mesure d’assurer l’ancienneté des travailleurs, Jean-Marc Rombeaux, conseiller, note que le secteur a décidé « de se maintenir mais de ne pas se développer plus ». Enfin, du côté de la plate-forme bruxelloise des ALE titres-services, on confirme également les problèmes du secteur. Rappelons d’ailleurs que les agences locales pour l’emploi ayant développé des activités titres-services sont censées subir de la part du fédéral une ponction de 55,2 millions d’euros sur leurs réserves. Une histoire vieille de deux ans, qui n’en est pas encore à son épilogue puisqu’un recours contre cette décision a été introduite au Conseil d’Etat par des ALE bruxelloises et wallonnes.

Vous avez dit régionalisation ?

Et puis il y a aussi la régionalisation du système, prévue pour 2014. « Cette régionalisation pourrait aussi poser question quant à l’amélioration des conditions de travail des travailleurs, explique Eric Neuprez. Il faudra en effet voir comment les Régions vont pouvoir, financièrement, maintenir le système ou le développer. » Une histoire de gros sous qui devrait, selon Marc Xhrouet, constituer néanmoins un momentum pour le secteur de l’économie sociale. « Les Régions n’auront pas les moyens de maintenir le système tel quel, nous dit-il. Je pense qu’il y a dès lors une perspective pour relancer les titres-services dans une optique d’économie sociale afin de créer des emplois de qualité qui permettent de répondre au vieillissement de la population plutôt que de continuer avec quelque chose qui enrichit le secteur privé. » Et notre interlocuteur de déclarer que la FCSD effectue déjà un travail de lobby à ce sujet.

Notons qu’à parler de régionalisation, les ALE sont elles aussi en pleine réflexion. Si les titres-services passeront dans le giron des Régions, les ALE feront de même, ce qui double le problème pour elles. Ne sachant pas à quelle sauce elles vont être mangées, les agences locales pour l’emploi de la plate-forme tentent dès lors à l’heure actuelle de voir dans quelles mesure les structures titres-services qu’elles ont créées seraient viables à l’extérieur des ALE. Histoire de protéger les travailleurs titres-services au cas où il arriverait malheur aux ALE… « Cela représente tout de même 300 travailleurs », explique Christine Dassy, coordinatrice de la plate-forme et par ailleurs directrice de l’ALE de Schaerbeek.

Pour l’entreprise agréée, la valeur de remboursement du titre-service (ce qu’elle perçoit) est fixée à 20,8 euros. Le gouvernement fédéral finance pour chaque titre-service la différence entre le prix d’acquisition du titre-service par le client (7,5 euros) et la valeur de remboursement (20,8 euros).

1. FGTB titres-services
– adresse : rue Haute, 26-28 à 1000 Bruxelles
2. Natise :
– adresse : rue Henri Lemaître, 25 à 5000 Namur
– tél. : 081 65 40 40
– site :http://www.natise.be
3. FCSD :
– adresse : place Saint-Jean, 1 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 515 02 08
– courriel : csd@mutsoc.be
– site : http://www.fcsd.be
4. Fédération des CPAS wallons :
– adresse  rue de l’Etoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 11
– courriel : commune@uvcw.be
– site : http://www.uvcw.be

En savoir plus

Alter Echos n° 292 du 29.03.2010 :
https://www.alterechos.be/index.php?p=sum&c=a&n=292&l=1&d=i&art_id=19874 Crispation annuelle autour des titres-services
– Titres-services : comme un train fou…

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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