Fin janvier de cette année, la FEF (Fédération des étudiants francophones)1, est montée au créneau pour dénoncer le nombre croissantd’étudiants dépendant du revenu d’intégration sociale et les « incohérences » du système.
Les revendications de la FEF ne sont pas nouvelles et reviennent de manière saisonnière se rappeler au bon souvenir des élus politiques. Depuis 2005, date à laquelle laFédération avait rédigé une longue note argumentée2, les exigences sont restées identiques : supprimer la notion de contratd’intégration, enlever la limite d’âge fixée à 25 ans, permettre le choix du CPAS compétent par l’étudiant, etc. La FEF dénonce en outre la« quasi-impossibilité de négocier le projet du CPAS faute d’une position trop délicate », « l’obligation de travailler alors que les études demandent untemps d’apprentissage conséquent en dehors des heures de cours » ou encore un revenu d’intégration sociale (RIS) « bien en dessous du seuil de pauvreté ».« De plus en plus d’étudiants émargent au CPAS, indique Mathias El Berhoumi, le président de la FEF, et les pratiques des CPAS en la matière diffèrentfortement d’une commune à l’autre. Nous demandons clairement une révision de la loi Vande Lanotte de 2002. »
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Lorsque le CPAS accepte, qu’en « vue d’une augmentation de ses possibilités d’insertion professionnelle, la personneconcernée entame, reprenne ou continue des études de plein exercice dans un établissement d’enseignement agréé, organisé ou subventionné par lesCommunautés ; cette personne est considérée comme étudiante. » Elle doit être majeure et âgée de moins de 25 ans. Depuis la Loi Vande Lanotte de2002 qui invite, entre autres, les CPAS à soutenir les bénéficiaires dans leurs études, le jeune étudiant est ainsi amené à signer un contrat avec leCPAS, ce qu’on appelle le PIIS, le Projet individualisé d’intégration sociale. Un contrat soumis à une évaluation régulière par le CPAS.
Une progression constante
Si on regarde l’évolution en six ans en Wallonie, par exemple, elle est impressionnante. 3 866 bénéficiaires étudiants en 2002 pour 6 068 en 2008, soit uneprogression de 57 % ! Au CPAS de Charleroi3, on ne peut que confirmer. « Le nombre d’étudiants bénéficiant du RIS est passé de 299 pourl’année scolaire 2004-2005 à 372 pour 2007-2008, on assiste à une augmentation de 10 % par an, constate Éric Dosimont, le premier directeur du service social du CPASde la Ville. Il est clair que, de façon générale, le CPAS de Charleroi encourage positivement les jeunes à poursuivre des études ou des formations qualifiantes.Mais il y a aussi d’autres facteurs explicatifs… » Éric Dosimont en identifie essentiellement quatre : « premièrement, la dégradation économiquegénérale qui fait gonfler toutes les demandes d’aide. Deuxièmement, la création de ce soutien aux étudiants, droit relativement récent, crée enquelque sorte « un appel d’air » et suscite une demande. Troisièmement, la croissance des situations de conflit jeunes-parents et enfin, une espèce de tradition qui veut que dans certainsmilieux populaires, le jeune s’assume à partir de 18 ans même si paradoxalement cette « autonomie » se réalise en faisant appel au CPAS. »
« De plus en plus de ménages ne peuvent plus payer d’études à leurs enfants, renchérit Christophe Ernotte, directeur général de laFédération des CPAS wallons4. Les personnes se rendent compte aussi qu’en ayant un diplôme en plus, elles multiplient leur chance de décrocher un emploi.»
À la FEF, si on s’inquiète de cette progression, par ailleurs liée aussi au coût exponentiel des études, encore dénoncé par laFédération tout récemment, on renfonce le clou sur la problématique des différences d’interprétation et d’accompagnement entre CPAS. Sur ladisposition au travail par exemple, la FEF demande le maintien du revenu d’intégration sociale sans obligation de travailler pour l’étudiant, tout au long de sesétudes. « Dans la pratique, la disposition au travail est souvent interprétée par les CPAS comme un mois de travail obligatoire durant l’été pourcontinuer à toucher le revenu d’intégration. Dans de nombreux CPAS, l’octroi du « 12e mois » de revenu d’intégration, correspondant au revenud’intégration pour l’un des mois d’été, est considéré comme une faveur. Bien souvent, l’argument de la seconde session ou del’impossibilité de trouver un travail est considéré comme « trop léger » pour justifier que l’étudiant ne consacre pas du temps dans un job. Il arrive demanière courante que l’étudiant qui ne trouve pas de job se voie suspendre son revenu d’intégration parce qu’il n’a pas « fourni tous les efforts » pourdécrocher un boulot. Dans quelques CPAS, cette pratique tend parfois à une systématisation du refus du 12e mois pour tous les étudiants. »
Pour Christophe Ernotte, la poursuite d’un travail ne peut porter atteinte aux études, cela n’empêche pas de pouvoir jober durant l’été «mais c’est une question de bon sens que de ne pas faire travailler le jeune durant une seconde cession ». Selon la dernière radioscopie de la Fédération enmatière de politiques d’insertion socioprofessionnelle dans les CPAS, ils étaient en 2008, en Wallonie, quelque 18 % d’étudiants bénéficiaires àexercer durant leurs études un travail. Un chiffre en forte hausse puisqu’en 2006, ils n’étaient que 8 %. « Cette progression est probablement le signe, peut-on liredans les commentaires, d’une part, d’un durcissement des conditions d’octroi par les CPAS, mais aussi du travail en réseau mis en place par les centres et qui permet auxtravailleurs sociaux de trouver plus facilement des opportunités d’emploi à proposer. »
Échec et réorientation
Autre sujet d’achoppement pour la FEF, le choix des études. La Fédération considère qu’il appartient au seul étudiant d’être juge desétudes qu’il désire entreprendre. Elle refuse également que le CPAS puisse décider de l’orientation ou de l’opportunité pourl’étudiant de poursuivre ses études. Une demande non pertinente pour la Fédération des CPAS. « Tous les étudiants n’ont pas toujours lacapacit&
eacute; d’entreprendre les études dont ils ont rêvé, c’est aussi le rôle des CPAS, à un moment donné, de mettre un frein si on voit que lejeune va droit à l’échec. Il faut alors le réorienter, sinon il s’agit de gaspillage d’argent public. Il est important que les CPAS se dotent d’outilsd’évaluation. »
Au CPAS de La Louvière5, la présidente, Danièle Staquet, nous confie qu’en général, le choix de l’étudiant est respecté,« sinon, nous avons une cellule « bilantage » quand on pense qu’il faut réorienter. Nous avons un assez bon taux de réussite en général dans le supérieuret l’universitaire. Une enquête est d’ailleurs en cours à ce sujet. »
Par ailleurs, la FEF revendique le droit à l’échec pour l’étudiant même s’il rate une ou plusieurs années. « Au CPAS de Charleroi, avanceÉric Dosimont, le Conseil de l’action sociale tient compte, bien entendu comme la loi l’y oblige, de la situation financière des jeunes, mais envisage également largementl’aspect social des situations et donc accepte un accident de parcours. Même si les évaluations se font au cas par cas, un redoublement est quasi toujours accepté. En casde triplement, il est arrivé que le Conseil de l’action sociale accepte de maintenir le soutien dans certaines situations particulières mais généralement, on tente alorsd’orienter le jeune soit vers d’autres études soit vers une formation qualifiante, par exemple par le biais de l’article 60 ou 61. » À La Louvière, pas de règlesystématique : « c’est du cas par cas, selon le rapport de l’assistant social. »
Relevons encore parmi les nombreuses revendications de la FEF, la suppression du taux cohabitant pour les étudiants koteurs. « Si le kot est la résidence permanente, le tauxisolé est d’application, explique le directeur de la Fédération des CPAS. Par contre, si l’étudiant revient le week-end chez ses parents, partage lesdépenses ménagères avec ses co-koteurs et qu’ils vivent sous le même toit, c’est le taux cohabitant qui est appliqué [NDLR : on passe ainsi actuellementde 711 euros au taux isolé à 474 euros au taux cohabitant]. À la Fédération des CPAS, nous serions favorables à un RIS au taux intermédiaire entreisolé et cohabitant qui soit appliqué à toute personne bénéficiaire du RIS vivant en habitat partagé. »
Parmi les CPAS qui prennent en charge les étudiants, ceux des grandes villes sont sans surprise davantage mis à contribution. Ainsi, une récente enquête de laFédération des CPAS wallons indique que le taux moyen pour les grands CPAS wallons6 est de 14 %. La Louvière (27 %) a un pourcentage très élevéjusqu’ici inexpliquée, sinon par la très grande ouverture du CPAS local. « Sur la base de cette enquête qui comprend bien d’autres chiffres, confie ChristopheErnotte, nous allons pouvoir voir comment cela se passe dans les différents CPAS, quelles sont les règles appliquées, qui fait un accompagnement, qui n’en fait pas, etc.»
De son côté, la FEF va, à la fin de ce mois, rencontrer des comités d’usagers de CPAS. Objectif ? « Se concerter pour relancer le fédéral surces questions. »
1. FEF, Fédération des étudiant(e)s francophones asbl :
– adresse : rue de la Sablonnière, 20 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 01 54
– courriel : contact@fef.be
– site : www.fef.be
2. La note « Revenu d’intégration et étudiants » a été adoptée au Conseil fédéral du 15 mars 2005 et peut êtreconsultée sur le site de la FEF.
3. CPAS de Charleroi :
– adresse : bd Joseph II, 13 à 6000 Charleroi
– tél. : 071 23 30 23
– site : www.cpascharleroi.be
4. Fédération des CPAS wallons :
– adresse : rue de l’Étoile, 14 à 5000 Namur
– tél. : 081 24 06 50
– courriel : christophe.ernotte@uvcw.be
– site : www.uvcw.be/cpas
5. CPAS de La Louvière :
– adresse : rue du Moulin, 54 à 7100 La Louvière
– tél. : 064 88 50 11
– site : www.lalouviere-cpas.be
6. Mons, Tournai, La Louvière, Namur, Liège et Charleroi