Certains parents n’oublieront pas de sitôt leur nuit du 29 novembre1. Les files pour l’inscription devant les écoles, ce n’était pourtant que la faceémergée de l’ « iceberg décrétal ». Benoît Galand du mouvement socio-pédagogique « ChanGements pourl’égalité »2 (CGé) s’est attaché à en décrypter les enjeux et difficultés.
La surmédiatisation, les tensions dans les files devant certaines écoles, à la fin du mois de novembre 2007, n’étaient certes pas propices à uneréflexion sereine et pertinente sur le décret inscriptions… Au-delà des débats parlementaires, des pétitions visant l’annulation du décret, desdéclarations à l’emporte-pièce, il y a place pour un vrai questionnement sur le devenir scolaire des enfants, sur la promotion d’une mixité sociale effectiveet sur les enjeux et difficultés du décret. Benoît Galand de la CGé remet en perspective questionnements, critiques et alternatives dans une étude d’unetrentaine de pages au titre gentiment provocateur « Inscriptions scolaires et mixité sociale, beaucoup de bruit pour rien ? »3. Une question à laquellel’auteur répond indirectement en troisième partie de son analyse en rappelant que le décret a eu le mérite de « mettre sur la place publique des tensions quihabitent notre système scolaire », ainsi que de « rendre visible des files qui existaient dans certaines écoles mais qui étaient auparavant masquées par unétalement dans le temps ». Autrement dit : de mettre fin à une certaine hypocrisie, un déni des réalités scolaires.
Ségrégation sociale
Aussi, l’auteur pose le débat dans son contexte, celui d’un système d’enseignement où la mixité sociale est l’une des plus faibles des paysoccidentaux, un enseignement parmi les plus inégalitaires aussi, ce qui pénalise de facto son efficacité. Reste à savoir si le décret apporte uneréponse suffisante à cette problématique. D’aucuns ont fustigé « un décret liberticide » les privant de choisir librement un établissementscolaire, mais Benoît Galand rappelle a contrario que « le jeu du libre choix de l’école a plutôt pour effet d’accroître la ségrégationsociale entre les établissements », étant donné les inégalités de départ entre les familles. Ce n’est pas parce que les familles les plusdéfavorisées auront accès à des établissements réputés pour la qualité de leur enseignement qu’elles y inscriront automatiquement leursenfants.
Pour autant, le décret répond à un écueil majeur : celui des refus d’inscription ou des exclusions pour des motifs inacceptables. Les témoignages quel’auteur a recueillis4 à ce sujet révèlent l’abjection de certaines pratiques qui, si elles ne sont pas représentatives de celles de la majoritédes écoles, risquent pourtant de discréditer l’ensemble de l’institution. « On peut craindre une série d’effets négatifs, en termesd’éducation à la citoyenneté et de cohésion sociale, de cette violence institutionnelle et du contre-modèle qu’elle transmet : certaines pratiquesrapportées sont non seulement illégales, mais constituent un dévoiement des missions assignées à l’école », souligne l’auteur.
Quant à l’évaluation du décret, Benoît Galand se refuse à lui attribuer plus qu’un bulletin provisoire, arguant que l’impact réel sur laségrégation sociale ne pourra être mesuré qu’à la rentrée de l’année 2008-2009. Il en détaille cependant les bons points – rendreeffective la liberté de choix d’une école pour les parents, apporter de la transparence dans les inscriptions – et les « peut mieux faire ». Il doute que ledécret, seul, puisse modifier en profondeur les inégalités scolaires et propose une série de « pistes d’action complémentaires » comme un meilleurcontrôle du respect des règles légales – par des statistiques fiables sur les refus d’inscription et d’exclusion –, une gestion centralisée desinscriptions, la prise en compte de critères sociaux pour des inscriptions prioritaires, etc. Des exemples de bonnes pratiques qu’il suffit parfois d’aller piocher enCommunauté flamande.
Améliorer la mise en œuvre du décret
La ministre-présidente Marie Arena a pris acte d’une certaine grogne quant à l’application, sur le terrain, de son décret et a multiplié les rencontres avecles acteurs concernés. Associations de parents d’élèves, organisations syndicales, fédérations de pouvoirs organisateurs, directeurs d’écoles etassociations d’aide aux jeunes en difficultés scolaires ont pu exprimer leurs doutes, leurs craintes ou leur enthousiasme sur le texte et sa mise en pratique effective. Par cetteévaluation contrastée des acteurs de terrain, la ministre entend réexaminer « les modalités de mise en œuvre du nouveau dispositif et dégager des pistespermettant de les améliorer ». Marie Arena a mené une vingtaine de rencontres depuis début décembre et devrait en présenter le bilan au Parlement, avantd’en débattre au sein de la Commission Éducation, en février. L’objectif étant de conserver la philosophie du texte sans que les parents se sententobligés de passer la nuit de veille d’inscription à la belle étoile.
1. Pour rappel, le décret Inscriptions précise que les inscriptions pour les élèves du 1er cycle du secondaire sont ouvertes à partir du 30 novembre,afin que certains ne se voient plus opposer un refus d’inscription sous prétexte de listes bloquées plusieurs années à l’avance.
2. CGé, ChanGements pour l’égalité :
– adresse : chaussée de Haecht, 66 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 218 34 50
– courriel : etudes@changement-egalite.be
– site : www.changement-egalite.be/
3. L’étude est téléchargeable gratuitement sur : http://www.changement-egalite.be
4. Avec le concours du Collectif « Pour une école ouverte à tous », regroupant une douzaine d’associations active
s dans la défense des droits scolaires desjeunes et de lutte contre les discriminations.