Le rôle des services de prestation éducative et philanthropique (Spep) est peu connu. Ils sont mandatés pour mettre en œuvre des réponses à ladélinquance juvénile en milieu ouvert. Parmi leur arsenal, on compte les prestations éducatives, la médiation et les concertations éducatives de groupe.Décryptage avec l’équipe du Radian1, un Spep bruxellois.
Pour les jeunes ayant commis des délits, le futur n’est pas forcément fait de barbelés. Des solutions en milieu ouvert, sous forme de« réparations » peuvent être proposées. Les prestations éducatives, les concertations de groupe ou la médiation sont des options à ladisposition des juges de la jeunesse ou du parquet ; et les Spep sont chargés de les mettre en place. Michel Heinis, est directeur du Radian, l’un des trois Spep bruxellois. Il accueilleavec intérêt la volonté de la ministre de l’Aide à la jeunesse d’encourager les solutions en milieu ouvert et imagine que les Spep auront un rôle à jouerà cet égard : « Peut-être que ces services seront un peu étoffés », déclare-t-il, assez heureux que l’on s’intéresse aux Spep.Mais surtout, il espère que ces mesures seront considérées comme une réponse valable à la délinquance juvénile.
Historique
Les Spep sont nés de la remise en question des placements en milieux fermés du début des années ’80. L’idée de créer des structures mandatées, enmilieu ouvert, pour répondre à des infractions commises par des jeunes a abouti à leur création en 1985. Deux ans plus tard, la Communauté française comptaitun Spep par arrondissement judiciaire, et trois à Bruxelles.
Leur activité principale consiste à encadrer des jeunes qui sont contraints par le juge de la jeunesse, à réaliser des travaux d’intérêtgénéral, des « prestations éducatives d’intérêt général ».
En 1993, le Radian et deux autres Spep (à Liège et Charleroi) lancent un projet pilote de médiation. Un projet qui sera repris lors de la dernière réforme de laloi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse, en 2006, par Laurette Onkelinx (PS), alors ministre de la Justice.
Mettre l’accent sur la responsabilité du jeune
La prestation éducative est l’activité historique des Spep. En 2009, les intervenants du Radian ont vu 152 jeunes défiler dans leurs locaux pour se lancer dans des travauxd’intérêt général à la suite d’un délit. Parmi eux, environ 85 % sont allés au bout de leur prestation… Il faut dire que ceux qui brossentretourneront devant le juge, une perspective qui n’est certainement pas là pour les réjouir.
Concrètement, la prestation éducative commence par une convocation envoyée par le juge. Le jeune et ses parents devront bon gré mal gré se rendre au Spep. Lesdiscussions, souvent franches, permettent alors d’aborder une réflexion sur le « pourquoi » d’une telle mesure, sur l’acte délictueux lui-même et surl’intérêt d’une réparation. Sur la base de ces entretiens, le personnel du Spep réfléchit au meilleur type de travail d’intérêt généralqui correspond au jeune.
– Lors de la comparution devant le juge immédiatement après avoir commis l’infraction. Il s’agit d’une mesure provisoire en attendant qu’il soit statué sur le fond del’affaire. La durée de prestation ne dépasse pas les 30 heures.
– Lors du jugement au fond du dossier. La prestation peut impliquer un travail de 150 heures maximum.
Il existe trois domaines de prestation, en collaboration avec des asbl ou des services communaux. Le domaine dit « relationnel » implique un travail auprès despersonnes, il peut s’agir d’une immersion dans un home pour personnes âgées, ou d’un accompagnement de personnes handicapées. Dans ce cadre, c’est la relation à l’autre quiest approfondie. L’autre possibilité de prestation embarque le jeune dans des travaux manuels, comme l’entretien d’un parc ou d’un jardin. Bernadette Goffe, intervenante au Spep, estime qu’ilest important que le jeune ait un minimum d’intérêt à ce qu’il fait, c’est pourquoi la palette est variée. Enfin, le troisième type de prestation est plusadministratif. Il s’agit de travail de bureau, généralement dans des associations.
Dans tous ces cas de figure, le Spep met l’accent sur la responsabilité, sur l’engagement du jeune. Michel Heinis explicite l’intérêt de ces travaux : « Laprestation permet de décaler le jeune et peut lui faire découvrir des milieux différents, souvent solidaires. » Bien sûr, derrière la théoriegénéreuse, il existe des cas de récidive : « On a nos abonnés, c’est certain, raconte Bernadette Goffe, mais des jeunes ont d’énormesproblèmes. Ils ont un parcours chaotique, alors c’est vrai que la justice, pour eux, pense plus souvent à l’enfermement. »
Laisser une place à la victime
Dans le paysage judiciaire, la médiation a fait une apparition récente. Si elle est pratiquée à titre expérimental depuis les années ’90, l’outil aété coulé dans la loi en 2006.
Alors que les prestations ne peuvent être ordonnées que par le juge, ici, le juge mais aussi le parquet peuvent proposer une médiation. Il s’agit d’une offre faite au jeune età la victime, et non d’une mesure contrainte. Il est à ce propos important de préciser que le législateur – dans une logique de gradation – a obligé leparquet à étudier la possibilité d’une médiation dans chaque dossier qui lui passe entre les mains, avant de saisir le juge de la jeunesse.
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Si la prestation éducative est considérée comme une réparation du jeune vers la société, la médiationpermet au jeune de réfléchir aux actes et de parler du délit… avec la victime. Cela implique une forme de reconnaissance des faits par l’auteur. La grande nouveauté decet outil à disposition du juge et du parquet est qu’il laisse une place à la victime. Pour Michel Heinis, « c’est un règlement à l’amiable qui prend en comptele vécu du jeune et le vécu de la victime. Cela peut permettre au jeune de traverser une erreur en en réalisant les conséquences. De l’autre côté, la victimepeut être entendue et recevoir une réparation. Par ce biais, elle peut aussi changer de regard sur le jeune. Les personnes se parlent, cela dénoue les tensions, car la victime etle jeune ne sont plus anonymes ».
Bien sûr, cette démarche ne va pas de soi et demande un gros travail tant auprès du jeune qu’auprès
des victimes, surtout pour certains délits traumatisants. Dansle monde des intervenants sociaux de l’Aide à la jeunesse, cette nouvelle approche n’est pas forcément évidente à adopter. Selon le directeur du Radian, « nousavons encore du boulot pour trouver le bon équilibre victime/jeune. Ce sont deux logiques différentes et l’éducateur a souvent envie de « sauver » le jeune,il ne faut pas que cela se fasse au détriment de la victime ».
Les étapes d’une médiation
• Une médiation est proposée à un jeune et à une victime par le parquet ou le juge de la jeunesse.
• Le service Radian rencontre séparément les deux parties.
• Ces entretiens sont l’occasion d’aborder en profondeur le sens d’une médiation et de préparer la rencontre.
• Ensuite, la victime et le jeune se rencontrent et cherchent un accord sur le type de réparation qui conviendrait le mieux.
• Dans l’accord figure généralement un volet « relationnel », souvent des excuses et, parfois, l’acceptation des excuses par la victime, ainsi qu’un voletmatériel. Il peut s’agir d’un dédommagement financier ou de travaux chez la victime. Dans l’immense majorité des cas de médiation, il faut que le dégât soitréparable physiquement.
• Entre la proposition de médiation et l’exécution de l’accord, plusieurs mois peuvent s’écouler.
La médiation est de plus en plus utilisée, même si certains parquets jouent le jeu plus que d’autres. Quant aux juges, selon Michel Heinis, « ils aiment bien lamédiation mais ne la proposent jamais seule, pour le moment c’est encore nouveau, ils s’en servent comme d’une mesure complémentaire, par exemple, à une prestationéducative ».
Les Spep sont des partenaires clés pour les solutions en milieu ouvert. Ils sont également outillés pour appliquer des concertations restauratrices de groupe, une sorte demédiation élargie aux proches, les impliquant dans le processus. Cette mesure, née dans des sociétés fermées, comme la Nouvelle-Zélande, n’est pasissue d’une expérimentation préalable et fonctionne dans certains arrondissements judiciaires. Elle est censée être proposée par le juge de la jeunesse mais,à l’heure actuelle, à Bruxelles, cette offre restauratrice attend encore son heure.
1. Le Radian asbl :
– adresse : rue du Marché aux herbes, 105, bte 21 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 215 16 76
– site : www.leradian.be
– courriel : asbl.radian@skynet.be