La dégressivité des allocations de chômage a fait couler beaucoup d’encre il y a un peu plus d’un an. Peut-on déjà tirer des enseignements?
C’est probablement le dossier chômage dont on a le plus parlé. Pour sa valeur symbolique, mais aussi pour les effets réels qu’il engendrera. La dégressivité accrue des allocations de chômage (voir tableau) est entrée en vigueur au 1er novembre 2012 pour les cohabitants. Au 1er mars 2013 pour les chefs de ménage ou les isolés. Si l’on dit accrue, c’est que les allocations étaient déjà dégressives avant cette date. Mais de manière moins marquée et moins rapide. Enfin, si aujourd’hui les montants disponibles au cours des premiers mois de chômage sont plus importants qu’auparavant, les allocations pour les chômeurs « longue durée » sont sensiblement plus basses. Ce qui pousse certains intervenants à dire que la réforme fragilisera encore un peu plus cette tranche de chômeurs.
Un an et demi après son entrée en vigueur, il est cependant encore compliqué de tirer des plans sur la comète : de par sa nature dégressive et donc étirée dans le temps, cette réforme n’a pas encore produit ses « pleins effets ». Elle recouvre de plus des réalités très différentes, puisqu’elle tient compte du passé professionnel de chaque demandeur d’emploi. Du côté de l’Onem, on semble bien en peine de fournir plus que des estimations. « Sur les 500 000 chômeurs complets indemnisés percevant actuellement des allocations de chômage, environ un tiers est concerné par la réforme », déclare-t-on au service communication. Des chiffres qui viennent confirmer grosso modo ceux qui étaient avancés par les syndicats tout juste avant la mise en place de la réforme. « Au 1er novembre 2012, nous parlions d’environ 140 000 personnes concernées », se souvient Philippe Borsu, administrateur à la FGTB fédérale.
Beaucoup d’intervenants en sont donc réduits à effectuer les mêmes constats qu’il y a deux ans. « Toujours aussi négatifs », note Pedro Rodriguez, responsable national des travailleurs sans emploi à la CSC. Du côté de la FGTB, Philippe Borsu note que l’augmentation des allocations en début de chômage est positive. Pour le reste, son constat est très réservé. Notamment concernant les effets de cette dégressivité sur l’« efficacité » de la recherche d’emploi des chômeurs, qu’il juge nuls. Un avis que l’on retrouve également du côté Marc De Vos, directeur d’Itinera Institute, un think tank situé à Bruxelles qui travaille sur les questions d’emploi. À deux nuances près. Un, Marc De Vos est favorable à la dégressivité des allocations de chômage. Deux, il pense que ce système aurait pu inciter les gens à retrouver du travail. Problème : pour ce professeur de droit du travail belge, européen et international à l’Université de Gand et à la VUB, le gouvernement belge n’a pas organisé la dégressivité comme il l’aurait fallu. « Le système tel qu’il a été mis en place est une victoire à la Pyrrhus des libéraux. C’est une mesure budgétaire et symbolique qui fait intervenir la dégressivité trop tard. Elle se concentre en fait sur les chômeurs de longue durée. Or on sait que ce public a de vraies difficultés pour trouver de l’emploi et qu’à leur niveau, il faudrait plutôt investir dans la formation ou l’accompagnement. Ici, l’incitant financier n’aura pas d’effets, ou des effets négatifs. »
CPAS : plus d’aides complémentaires
À parler d’effets négatifs, on a beaucoup entendu les CPAS se plaindre des conséquences de l’activation sur leur travail. En cause : un afflux massif de personnes exclues du bénéfice du chômage par l’Onem et qui s’adresseraient aux CPAS pour une demande de revenu d’intégration sociale. Mais qu’en est-il de la dégressivité ? A-t-elle un impact sur la fréquentation des CPAS ? Pour Ricardo Cherenti, coordinateur de la cellule insertion professionnelle de la Fédération des CPAS wallons, « les CPAS ressentent les effets de la dégressivité sur le public se présentant chez eux, mais il n’y a pas d’afflux ». Explication : malgré la dégressivité, les allocations de chômage restent dans bien des cas supérieures aux montants du revenu d’intégration sociale octroyé par les CPAS.
Ricardo Cherenti note cependant qu’un autre effet pointe le bout de son nez : l’augmentation des demandes d’aides financières complémentaires faites aux CPAS. Celles-ci peuvent prendre différentes formes : une intervention dans le paiement des factures de gaz, d’électricité et d’eau, dans les frais paramédicaux ou encore dans l’achat de fournitures scolaires, par exemple. Et dans ce cas, le coordinateur voit un effet direct de la dégressivité accrue des allocations de chômage. « Nous voyons arriver dans les CPAS un public que nous ne rencontrions pas auparavant, note-t-il. Un public pour qui les fins de mois sont de plus en plus compliquées, et qui n’arrive plus à nouer les deux bouts, parfois dès la deuxième semaine. Il s’agit souvent de familles avec enfants, souvent des femmes. Et les demandes d’interventions concernent des couches-culottes, un achat de lunettes, des frais médicaux ou dentaires. »
Ricardo Cherenti chiffre aussi le coût total de la dégressivité pour les CPAS wallons : de 11 à 14 millions d’euros. « De manière générale, du fait de l’activation, cela devient intenable pour les CPAS. Je ne comprends pas que le gouvernement fédéral n’ait pas une réflexion plus globale sur les effets de son action », déplore-t-il avant de noter que d’ici peu les CPAS devront réduire certains de leurs services non obligatoires, comme les repas à domicile, pour pouvoir tenir le coup.
Distorsions régionales ?
Qu’« attendre » de la dégressivité des allocations de chômage dans le futur ? Chacun a son agenda. Du côté des syndicats, la CSC annonce une campagne de recours juridiques contre la dégressivité en travaillant sur des situations individuelles. À la FGTB, on signale que le syndicat sortira bientôt un mémorandum en vue des élections. Un point sera consacré au dossier. Avec un espoir de faire encore bouger les lignes. « La dégressivité est certes en place depuis presque un an et demi mais nous pensons qu’il est encore possible de revenir dessus », plaide Philippe Borsu.
Pour Marc De Vos, la régionalisation pourrait venir redistribuer les cartes. Rappelons que les services régionaux de l’emploi se verront bientôt attribuer le contrôle des efforts de recherche d’emploi des demandeurs d’emploi. Une compétence aujourd’hui dévolue au fédéral par le biais de l’Onem. Et puis surtout, une bonne partie des aides à l’emploi – réductions groupe cible – seront également régionalisées. Une combinaison qui, selon Marc De Vos, permettrait aux Régions de mettre en place ce qu’il appelle une « assurance emploi ». « On pourrait utiliser l’argent des aides à l’emploi pour un accompagnement plus important. Le chômeur passerait par une phase d’ajustement, puis par un accompagnement où l’on introduirait la dégressivité des allocations au cas par cas, selon la situation de la personne. Et l’on garderait des aides à l’emploi résiduaires pour les personnes les plus éloignées de l’emploi », analyse-t-il en affirmant que ce système pourrait diminuer le chômage « en amont ». Reste le risque de distorsion du système si d’aventure les Régions décidaient de développer des politiques différentes à ce niveau. Car le paiement des allocations, lui, restera bien au Fédéral.
La dégressivité des allocations de chômage ne s’applique pas aux
- chômeurs avec complément d’entreprise (anciennement prépension) ;
- chômeurs âgés d’au moins 50 ans, au chômage depuis au moins un an et qui perçoivent un complément d’ancienneté ;
- chômeurs complets qui perçoivent des allocations d’insertion ;
- chômeurs temporaires ;
- chômeurs de moins de 50 ans, au chômage depuis au moins un an et ayant travaillé au moins 20 ans comme salariés (augmentation progressive jusqu’à 25 ans d’ici 2017) ;
- chômeurs ayant une incapacité de travail permanente d’au moins 33 % ;
- chômeurs depuis au moins un an, mais qui perçoivent des allocations minimales.
Suivant la norme européenne, toute personne qui vit avec moins de 60 % du revenu médian national est considérée comme pauvre. Selon les deniers chiffres que nous avons trouvés (et qui datent de 2011), le seuil de pauvreté en Belgique pour une personne isolée équivaut à 1 000 euros par mois. Le seuil de pauvreté d’un ménage composé de deux adultes et de deux enfants est de 2 101 euros par mois. Des montants à comparer avec ceux octroyés dans le cadre de la dégressivité accrue des allocations de chômage (voir tableau). Source : Statbel
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- info@itinerainstitute.org
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- http://www.ucw.be