Étienne Joiret est psychologue clinicien au centre hospitalier Jean Titeca (pédopsychiatrie). Il évoque la situation particulière de mineurs délinquants souffrant de troubles psychiatriques. Le récent rapport sur la communautarisation de la prise en charge de mineurs ayant commis des faits qualifiés d’infraction propose quelques changements à ce sujet. Explications.
Alter Échos: Lorsqu’un mineur commet un fait qualifié d’infraction et souffre de problèmes psychiatriques, quelle est la loi qui s’applique?
Étienne Joiret: Dans la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse, le juge peut prendre des mesures de soins médicopsychologiques «obligés». Soit en le plaçant en hôpital pédopsychiatrique, «en vue de soins», en argumentant sa demande sur la base d’un rapport médical, qui est une condition minimale; soit il peut le faire suivre par une équipe médicale en ambulatoire après avoir reçu une indication médicale. Il peut aussi prendre les mesures habituelles, par exemple, un placement dans un service de l’Aide à la jeunesse, avec une dimension médico-psychologique.
A.É.: Si le juge souhaite que le placement en hôpital soit plus contraignant, il doit s’appuyer sur une autre loi, celle de 1990 sur la protection de la personne des malades mentaux…
É.J.: Oui, le tribunal peut décider d’une «mise en observation» (il s’agit d’une mesure de «protection de la personne» réputée malade mentale, et notamment des règles concernant les internements non volontaires, NDLR). Pour cela, il doit respecter trois critères: diagnostic des symptômes d’une maladie mentale, le fait que la personne présente un danger pour elle-même ou autrui, et l’absence de tout autre traitement pertinent et accessible.
A.É.: Cette mise en observation est-elle une sorte d’enfermement déguisé?
É.J.: Non, il y a souvent un amalgame. On pense souvent que la loi de 1990 entraîne obligatoirement un enfermement. Même si ça peut être le cas en début d’hospitalisation, la durée de l’enfermement est souvent très réduite: quelques jours ou semaines. On parle souvent de placement en milieu psychiatrique fermé par exemple… mais ce concept de service fermé n’existe plus. Dans une même unité se côtoient des personnes avec des statuts juridiques différents. C’est le service qui est organisé de façon ouverte ou fermée, en fonction des situations des patients. Lorsque le médecin va décider que son service sera fermé, cela veut dire que l’état mental et éventuellement comportemental du patient justifie que la vigilance et la surveillance soient plus intensives. .
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intégrer dans la loi de 1990 (relative à la protection de la personne des malades mentaux) la notion de «troubles mentaux graves constituant des signes précurseurs de maladie mentale»;
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au sujet de l’hospitalisation dite «en milieu ouvert», donc décidée sur base de la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse: «Prévoir la tenue d’une audience après 40 jours d’hospitalisation afin d’évaluer (…) la nécessité de maintenir le placement»;
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en cas de mesure de limitation de la liberté d’aller et venir, le jeune fera l’objet d’une mesure de mise en observation prise en urgence par le procureur du Roi sur la base de 1990 et/ou il fait l’objet d’une mesure d’isolement sous autorité médicale (…);
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donner aux services agréés et aux IPPJ des outils leur permettant d’encadrer des mineurs vivant des situations complexes et adoptant des comportements inquiétants (…) pour éviter des décisions précipitées orientant ces jeunes vers la psychiatrie.
De la maladie mentale… au trouble mental
A.É.: Le groupe de travail sur la communautarisation propose de changer l’intitulé de la loi de 1990. Selon eux, la notion de «troubles mentaux graves constituant des signes précurseurs de maladie mentale» serait plus appropriée à la pédopsychiatrie…
É.J.: Le groupe présidé par Pierre Rans ne propose pas de changements majeurs à cet égard. Il faut dire que l’article de la loi de 1965 qui permet le placement «dans un établissement approprié en vue de son traitement» (art. 37, § 2, alinéa 7, NDLR) est suffisant dans la plupart des cas. Quant à la loi de 1990 (qui permet une contrainte aux soins, NDLR), elle reste utile, dans un nombre limité de cas. Il faudrait peut-être envisager des concertations pour apprécier si une adaptation des critères de la loi de 1990 est nécessaire. En effet, dans la loi de 1990 on parle de «maladie mentale». Il s’agit d’un des critères autorisant une mise en observation. La maladie mentale est un concept évolutif. C’est pour ça que le législateur avait décidé de ne pas le définir. La notion de trouble mental est plus large. Le but, en préférant la notion de trouble mental, serait, pour certains, d’éviter des abus. Des cas ont été pointés, par exemple le refus d’institutions médico-psychiatriques d’accueillir certains jeunes alors que des institutions de l’Aide à la jeunesse ou du secteur du handicap étaient dépassées face à des situations cliniques proches des troubles mentaux, sans être forcément compatibles avec la loi de 1990. Le risque avec cette notion, plus large, de trouble mental, c’est qu’on ouvrirait la psychiatrie à un très grand nombre de jeunes. Des adolescents qui se mettent en danger, aux comportements à risques, pourraient plus vite être considérés comme ayant des «troubles mentaux». Je suis donc d’accord avec l’idée qu’il faut réexaminer la législation à la lumière de l’expérience du terrain et de façon approfondie, mais tout en évitant de changer une loi pour des cas très minoritaires.
A.É.: Donc vous semblez plutôt favorable au statu quo?
É.J.: Pour ce qui concerne nos services, nous travaillons avec les deux lois. L’articulation est possible, même si parfois des questions se posent dans des situations dans l’entre-deux. Par exemple lorsqu’un jeune ne peut plus être suivi dans le cadre de la loi de 1990 car un des trois critères n’est plus présent. Le jeune peut néanmoins rester hospitalisé, mais dans le cadre d’une mesure relative à la loi de 1965. Cette transition suppose l’adhésion du jeune à son traitement. Comme on ne peut pas forcer un patient à prendre un traitement médicamenteux, il faut travailler très vite son adhésion. Il peut y avoir des cas où c’est compliqué. Concrètement, la mesure «loi 1990» doit être levée quand un jeune a développé une compréhension suffisante de sa situation médicopsychologique qui lui permet d’adhérer à un projet de soins personnel.
A.É.: Au sein des services, il existe des mesures d’enfermement, comme la mise en isolement, qui rendent parfois flous les concepts d’adhésion ou de contrainte. Des mesures pour lesquelles le groupe de travail sur la communautarisation estimait qu’elles devraient être mieux balisées…
É.J.: Oui il faut davantage de balises et de garanties. Mais, avant de décider à ce sujet, il faudrait un avis de l’Ordre des médecins pour trancher une question: l’autorité judiciaire doit-elle être informée en temps réel d’une situation qui touche au secret médical? Une piste pourrait être d’informer l’avocat du jeune. Mais attention: alerter les juges en cas de décision d’isolement pourrait être contre-productif. Cela pourrait changer les représentations que le juge a du jeune et le pousser à se dessaisir au profit de la justice pour adultes. Il faut donc bien réfléchir à la question. Je pense qu’il est indispensable de généraliser des protocoles relatifs aux mesures d’isolement. Chez nous, cela existe. Est-ce le cas partout? Dans ce protocole, on trouve les indications cliniques, la méthode pour cadrer au mieux ces pratiques difficiles à vivre par les patients mais aussi par les équipes.